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Les pédagogies de projet ne sont pas nouvelles et appartiennent toutes à la galaxie des pédagogies actives. Le numérique semble inciter à leur diffusion dans l’éducation. Mais les nombreux exemples de pratiques citées dans Le Café pédagogique montrent que le numérique n’est pas toujours présent. Pourquoi cette approche pédagogique qui semble si riche et variée ne rencontre finalement qu’un succès partiel dans le monde scolaire ?

Une dynamique réelle pour la pédagogie de projet

Si l’on considère que John Dewey en serait l’initiateur, on peut constater qu’il y a, depuis cette époque du début du XXè siècle, une profusion d’écrits à ce sujet. La pratique des pédagogies de projet, des pédagogies actives, les témoignages recueillis, tout converge pour penser que ces pratiques sont « riches » pour les apprentissages. Production, expérimentation, investigation, enquête etc. un projet peut prendre de multiples formes : origine, déroulement, production peuvent toutes présenter une originalité mais chaque projet peut être aussi analysé comme un processus de transformation parfois lent, qui engage et souvent motive.

Le développement du numérique dans l’éducation peut parfois laisser penser qu’il pourrait inciter à mettre en place des pédagogies de projet. Comme nous pouvons l’observer chaque jour dans les articles de la rubrique « la classe » du site du Café Pédagogique, ils sont nombreux ces projets qui font appel parfois au numérique, mais aussi parfois pas. Car les enseignants qui en ont la possibilité ou qui se le permettent se rendent compte de la richesse de la démarche mais aussi de certaines de ses limites, compte tenu des exigences du système éducatif en termes de programmes, d’évaluation, d’organisation.

Individuel, collectif, collaboratif, le projet prend des formes pour les élèves qui dépendent des choix des enseignants. De même, du côté des enseignants, les dynamiques de projet peuvent être construites de manière individuelle ou collective. On lit dans ce texte de Philippe Perrenoud « Apprendre à l’école à travers des projets : pourquoi ? comment ? » une présentation assez large et complète de cette approche pédagogique qui en montre la richesse, mais aussi la complexité. On trouvera aussi de quoi approfondir ces questions dans ce bulletin de l’IFE de 2013 intitulé : Des Projets Pour mieux apprendre ? Pourquoi alors cette approche pédagogique qui semble si riche et variée ne rencontre finalement qu’un succès partiel dans le monde scolaire ?

Quelle place du numérique ?

Une première réponse vient de l’opposition « apprentissage en largeur/apprentissage en profondeur ». Dans une démarche de projet, la variété des apprentissages possibles est telle que certains considèrent qu’elle embrasse trop large et se révèle trop difficile pour certains élèves. Le manque de précision des apprentissages est une critique courante par rapport aux pratiques pédagogiques plus traditionnelles, plus magistrales : en effet la précision des contenus travaillés est plus claire, précise et contenue dans les limites choisies par l’enseignant. Dans une démarche de projet, c’est souvent ce manque de limites, de précision qui dérange, alors que l’enrichissement de l’élève semble plus large, plus riche, parfois plus informel.

Lorsque a été mis en place l’enseignement Sciences Numériques et Technologies , et auparavant l' »Enseignement de spécialité d’informatique et sciences du numérique », la question de la forme pédagogique de cet enseignement a été posée. Si certains y voyaient les fondamentaux de l’informatique, ils y associaient aussi une démarche pédagogique que le ministère confirmait basée sur la mise en activité des élèves. On peut lire en ligne dans le BOEN de 2011 le passage suivant : »Afin de refléter le caractère scientifique et technique propre à la discipline et de développer l’appétence des élèves en faveur de cet enseignement nouveau pour eux, il convient de les mettre en situation d’activité aussi souvent que possible. Une pédagogie de projet est à privilégier pour favoriser l’émergence d’une dynamique de groupe. ». En 2019 lors de la mise en place de SNT (et aussi SNI, spécialité de première et de terminale), cette approche par projet était confirmée par ses concepteurs (INRIA, Collège de France en particulier).

Rappelons aussi que l’approche par compétence initiée dans le B2i, le C2i puis confirmée par le PIX se traduit par une approche fondée sur une mise en activité de l’apprenant, et souvent dans une approche par projet. Toutefois, les tenants d’un enseignement des « fondamentaux » ont souvent comme principe de ne passer au projet que lorsque les bases sont acquises, reprochant à la pédagogie de projet de les négliger. Qu’apprend-on alors au travers d’une démarche de projet ? Une récente analyse de projets pluridisciplinaires menés dans l’enseignement agricole a mis en évidence l’appel à des compétences numériques multiples au travers de situations qui n’avaient pas a priori de liens avec le numérique. Entre recherche d’informations, comparaison de sources, analyses quantitatives, rédaction de documents de présentation etc. les élèves qui présentaient ces productions (maquette de ruissellement de l’eau, fabrication de gâteaux, expérimentation de semences anciennes…) ont bien fait appel à des compétences numériques dans un cadre pluridisciplinaire. C’est dans cette dimension des croisements disciplinaires que se trouve entre autres, le levier pour développer d’autres compétences. Les enseignants qui travaillent alors ensemble auprès des élèves partagent ainsi la dynamique pédagogique et peuvent ouvrir les élèves à d’autres horizons d’apprentissage. Parce que le cadre propre à chaque discipline peut être parfois limitant, le croisement disciplinaire permet d’entrer dans des projets plus complexes.

Le numérique porteur ou complément ?

Certains travaux de recherche signalent que la pédagogie de projet peut poser quelques problèmes : « Les difficultés rencontrées en pédagogie par projet« . ( Cantin, D., Hébert, N., Lépine, M. & Thomas, P. 2002.Québec français, (126), 72–75.). Sont posées comme points à examiner : l’autonomie, la motivation, le travail en équipe. Les auteurs évoquent aussi la difficulté que certains enseignants ont à mettre en oeuvre de tels dispositifs. Le sentiment de perte de contrôle de la situation est perturbant et peut amener à un sentiment de perte d’efficacité pédagogique. Ce n’est pas pour rien que dans l’ensemble des séances d’enseignement d’une semaine de cours les fameux projets prennent rarement plus de trois heures et encore pas toute l’année. Jadis Jean Marie Albertini évoquait cela dans un entretien que nous avions fait avec lui. Il souhaitait que sur une semaine de 25 heures de cours, au moins 9 heures soient consacrées aux projets pluridisciplinaires. On retrouve en partie dans cet article : « Facteurs de l’expansion des multimédias et les obstacles auxquels elle se heurte. » (Bulletin de l’EPI 1989, pp.58-66.) les fondements de cette réflexion.

Avec ou sans numérique, les pédagogies actives, parfois opposées de manière caricaturale aux pédagogies « magistrales », sont très riches, mais difficiles à évaluer de manière précise. Ainsi, dans ces pratiques, on observe de nombreuses compétences que le système scolaire a encore bien du mal à convoquer et à évaluer comme les compétences dites psychosociales si souvent convoquées dans des projets collectifs pluridisciplinaires. Pour avoir mis en place de telles pratiques pédagogiques, il y a déjà de nombreuses années, un peu à la manière des TPE mais dix années auparavant, nous avons pu en mesurer la richesse et l’engouement qu’elles peuvent susciter pour les élèves. Un peu à la manière des chefs-d’oeuvre des compagnons du devoir, mais dans une autre dimension, amener des élèves à réaliser des produits, des productions, issus de leur capacité à manipuler les connaissances et à les mettre en oeuvre dans des situations concrètes est au coeur des dynamiques de projet. Les moyens numériques ne sont pas les porteurs de cette pédagogie, mais bien plutôt les compléments, les enrichissements, mais aussi le coeur de nombreux apprentissages possibles dans ces démarches. Entre formel et informel les pédagogies de projet facilitent le lien que les élèves peuvent faire entre les pratiques sociales et les pratiques scolaires, l’usage quotidien du numérique en est un des aspects possibles.

Bruno Devauchelle