Les principales et principaux de collège était particulièrement mobilisé·es, hier, lors de la journée de grève. Cette mobilisation des personnels de direction a pris une ampleur, jusque-là inédite, quis’explique par la grande peine que connaissent actuellement les personnels de direction. Une peine multiforme. « Perte de sens du métier, reniement de leur éthique, entorse aux valeurs de la République, transgression des principes de la décision publique, les personnels de direction sont dans la tourmente alors que l’échéance de la préparation de rentrée approche ».
La peine de la perte de sens de leur métier
En demandant aux principales et principaux de collège de faire appliquer un dispositif unique d’accompagnement des élèves à besoin, la ministre désavoue tous les dispositifs pédagogiques existants dans les établissements scolaires. Ces dispositifs avaient été mis en place, patiemment, de concert entre personnels de direction et enseignants. Balayer la construction pédagogique déjà existante est une forme de déni de la capacité de pilotage pédagogique des personnels de direction, un manque de confiance flagrant dans leur capacité à mobiliser les équipes vers la réussite des élèves. Pour eux, les groupes de niveau sont ressentis comme une marque du désaveu. Les élèves à besoin ceux sont que les personnels de direction connaissent les mieux, car c’est pour eux qu’il faut prioritairement trouver des solutions novatrices qui favorisent la réussite des apprentissages. Ces réponses existent dans tous les établissements scolaires. Les médias ne le montrent pas mais la réalité du terrain est celle d’une grande diversité d’approches pédagogiques permettant d’adapter et d’individualiser les enseignements en fonction des besoins spécifiques des élèves. Retirer aux personnels de direction leur prérogative de pilotage pédagogique revient à les considérer comme des rouages de transmission des directives ministérielles. Quelles seront alors les sources d’épanouissement ? C’est avec une grande peine que les principales et principaux commencent à vivre la perte de sens de leur métier.
La peine du reniment de leur éthique
Le pilotage pédagogique des personnels de direction les amène à conduire le changement vers des pratiques pédagogiques qui répondent au mieux aux besoins des élèves. C’était l’essence même de leur métier. Les personnels de direction sont en posture de facilitation lorsque les enseignants leur proposent des solutions innovantes. Ils sont aussi amenés à susciter la concertation afin de trouver des adaptations collectives alors inscrites dans les projets d’établissements. Depuis de nombreuses années, les enseignants ont montré leurs capacités de concertation collective au travers des dispositifs élaborés en conseils pédagogiques. Ces dispositifs locaux sont des fiertés pour les enseignants. Les médias ne les montrent jamais ou rarement mais les parents qui s’intéressent à la vie du collège de leur enfant les connaissent bien. Du jour au lendemain, ces dispositifs vont être balayés par les groupes de niveau. Les enseignants le vivent mal, très mal. Comme les personnels de direction, ils ressentent une forme de déni de leur capacité d’ingénierie pédagogique, un manque de confiance flagrant. Clairement, les groupes de niveau viennent accentuer le mal-être déjà profond chez les enseignants. Pour les personnels de direction sont particulièrement sensibles au bien-être des enseignants qu’ils côtoient tous les jours, se pose une question d’éthique. Ils ont toujours porté une grande vigilance aux effets de leurs actions car ils ont une bonne connaissance des risques psychosociaux. Avoir la charge d’implémenter les groupes de niveau au collège, c’est être celui ou celle qui renforce le mal-être des enseignants. Cela n’est pas possible sans renier son éthique professionnelle. Pour les personnels de direction, après la perte de sens de leur métier, c’est la double peine.
La peine de l’entorse aux valeurs de la République
En implémentant les groupes de niveau, les personnels de direction vont devoir regrouper les élèves à besoin et dire aux parents, en les regardant dans les yeux, que c’est pour leur bien. Ils vont devoir répondre à toutes les objections des familles en justifiant des décisions qui ne leurs appartiennent pas. Oui, lors des mises en activité avec 15 élèves à besoin dans le même groupe, les enseignants ne disposeront plus du même temps que lorsqu’ils n’en avaient que 3 ou 4, pour pratiquer l’individualisation auprès de chacun. Mais il ne faut pas s’inquiéter. Oui, tous les procédés de pédagogies coopératives permis par l’hétérogénéité des classes ne seront plus possibles mais il ne faut pas s’inquiéter. Non, toute la recherche ne dit pas qu’il faut absolument jouer la carte de l’hétérogénéité pour améliorer la qualité des apprentissages car il a été trouvé un article qui disait le contraire, etc. Bref, on touche ici le domaine des valeurs. L’école de la République a toujours été celle du mélange et de la diversité, même si quelques îlots cultivent toujours, ici ou là, l’entre-soi. Pour les personnels de direction, c’est la triple peine de devoir faire appliquer un dispositif qui contrevient aux valeurs de la République.
La peine de la transgression aux principes de la décision publique
La Ministre de l’éducation a réuni l’ensemble des personnels de direction, par visio-conférence, le mardi 30 janvier. Lors de cette visio, elle leur a demandé de préparer une rentrée scolaire sur la base d’annonces ministérielles en précisant que le ou les décrets d’application ne seront adoptés qu’à la fin du mois de février. Il convient de s’interroger. Une ministre qui demande à des fonctionnaires de faire des actes qui n’auront pas de base légale au moment où ils seront posés est quelque chose de totalement inédit dans l’histoire de la République. Cela crée une grande confusion chez l’ensemble des personnels de direction. Ils constatent déjà que les clés de répartition de l’enveloppe dédiée aux groupes de niveau ont été très différentes d’une académie à l’autre. Cela n’est pas étonnant puisqu’en l’absence de textes réglementaires, les personnels qui ont procédé aux allocations ont dû « inventer » des critères spécifiques. Sans aucune référence à des dispositions en vigueur, des fonctionnaires ont ainsi posé, par eux-mêmes, des actes qui auraient dû avoir un encadrement réglementaire. Nous voyons là tous les écueils, et les dangers, qui se présentent quand on entre dans la logique de la réglementation par anticipation. Pour les personnels de direction, le malaise est perceptible. Toute la profession est face à un dilemme. Faut-il entrer dans la logique de la réglementation par anticipation ? Ne se met-on pas en faute professionnelle en choisissant d’entrer dans cette logique ? De manière générale, les dilemmes soulèvent des questions qui n’ont pas de réponse simple. Dans le cas précis, être traversé par un dilemme qui porte sur le respect des principes de la décision publique, relève de la quadruple peine pour les personnels de direction.
Un exercice de démocratie locale à venir
Perte de sens du métier, reniement de leur éthique, entorse aux valeurs de la République, transgression des principes de la décision publique, les personnels de direction sont dans la tourmente alors que l’échéance de la préparation de rentrée approche. Les conseils d’administration vont bientôt se réunir pour statuer sur les moyens prévisionnels. De façon inédite, tous les yeux vont être rivés sur les décisions prises par les 7 000 conseils d’administration des collèges. Ceux-ci sont des organes démocratiques, au sein des établissements scolaires où sont représentés les parents, les élèves, les collectivités locales et les personnels de l’établissement, afin de voter les grandes orientations, dont les moyens prévisionnels. Quels vont être leurs choix ? En toute logique, faire le choix d’entrer dans la réglementation par anticipation devrait se heurter au contrôle de légalité. En l’absence de décret, les décisions des conseils d’administration qui entérinent les moyens pour les groupes de niveau devraient être nulles puisque s’agira d’actes qui ne reposeront sur aucun fondement légal ou réglementaire, au moment où ils seront posés. Faut-il alors appliquer la réglementation en vigueur et uniquement la réglementation en vigueur au moment du conseil d’administration, ce qui revient à ne pas tenir compte des annonces ministérielles ? Le choix qui va se poser à brève échéance, dans tous les établissements scolaires est complexe. Heureusement pour les personnels de direction, ce choix ne repose pas sur leurs seules épaules et chacun se prononcera, en conscience, au sein des conseils d’administration, au cours d’un exercice inédit de démocratie locale qui permettra de résoudre sereinement, on l’espère, une crise démocratique latente.
Stéphane Germain
Principal de collège