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L’une des plus sérieuses inquiétudes qui devrait envahir rapidement le monde de l’enseignement est celle de la montée de la remise en cause, a priori, de toute information. Rappelons ici qu’une information est avant tout « un fait transformé en signe et transporté voire diffusé ou mis à disposition ». En d’autres termes une information suppose une intermédiation, technologique et humaine. Humaine car, même automatisée, c’est toujours un humain qui conçoit le cadre de la transformation du fait en information. Technologique, car même humaine, il y a une technique qui est convoquée pour transposer le fait en information, du langage à la voix, du sémaphore à l’octet.

Le soupçon qui se multiplie dans de nombreux cas, porte donc sur cette intermédiation et ses possibles travers. Qu’on appelle cela théorie du complot ou relativisme systématique (scepticisme ou agnosticisme ?), il est nécessaire de s’interroger sur notre rapport individuel à la véracité de l’information surtout si l’on prétend éduquer d’autres à ces informations. Car il est fréquent, si l’on a un minimum d’honnêteté intellectuelle, de se trouver en difficulté face à des informations que l’on accepte comme vraies sans forcément faire la démarche d’analyse critique. Il suffit de constater combien nous portons crédit à « ce qui se dit dans le poste », radio, télévision, ordinateur, ou simplement à ce qui est écrit, journaux, livres pour comprendre que nous sommes très vulnérables face à des informations qui nous sont transmises, sans que nous nous donnions les moyens d’en analyser l’intermédiation et la médiatisation.

Sans tomber dans un pessimisme profond, il nous faut accepter le fait que nous, adultes, éducateurs, sommes très démunis face au monde d’information et de communication que nous avons construit. L’arrivée de l’informatique, d’abord, puis celle d’Internet et plus récemment celle de la mobilité connectée nous déroutent. En effet nous utilisons des instruments dont très peu d’entre nous ont les codes, si tant est qu’il soit possible de les maîtriser. En d’autres termes, il nous faut accepter notre perpétuelle incomplétude dans notre perception, imperfection dans notre analyse. Le souci que rencontre l’enseignant face à ses élèves c’est que la consistance de son autorité se trouve mise à mal par un environnement informationnel et culturel qui fait de plus en plus souvent irruption au cœur de la salle de classe sous la forme d’une mise en cause, voire d’une opposition. C’est justement dans la mise en cause de l’information donnée que se manifeste le plus simplement cette évolution. Un enseignant ne serait « fiable » que parce qu’il détient certaines clés au travers d’une évaluation, d’un contrôle des connaissances qui est à la base du système de sélection et non plus au travers des clés de la connaissance. Loin d’être généralisée cette lecture se veut être une mise en alerte du système éducatif. On peut choisir le repli sur un univers fermé et autonome (l’image mythique est portée par cette information qui annonce que les patrons des entreprises informatiques mettent leurs enfants dans des écoles qui les mettent de côté). Mais la question n’est plus là, et d’ailleurs ces mêmes parents sont parfois les premiers à comprendre et faire utiliser ces technologies par leurs enfants au quotidien à la maison.

Cette évolution doit surtout interroger une instance comme le Conseil Supérieur des Programmes. Peut-on encore remplir le sac des contenus sans se soucier du contexte de leur transfert voire de leur transmission ? Peut-on continuer d’encourager le découpage discipline/horaire, alors que la complexité s’invite quotidiennement dans les débats ? Peut-on encore fonder l’autorité de l’école exclusivement sur des savoirs sans se préoccuper de leur contexte d’usage ?

Les propositions actuelles pour développer la formation des jeunes à l’information se partagent entre des tentatives d’enseignement et des pratiques d’éducation aux médias et à l’information. Certes on peut tout mettre dans ces deux conteneurs. Mais en réalité ils cachent bien mal cette difficulté de plus en plus grande à faire face à l’information mise en cause, aux convictions en forme de croyances et d’idéologie qui transforment les faits et les informations. Or ces discours s’autoalimentent, renforcés par les communications en ligne appuyées sur des algorithmes qui renforcent le communautarisme ou tout au moins l’entre-soi. Il ne s’agit dont pas uniquement de faire des cours de méthodologie ou de beaux débats à côté des autres disciplines. La dimension éducative de l’action du système scolaire prend de plus en plus d’importance dans le quotidien de la classe, de l’établissement. Celle-ci demande une ouverture de plus en plus grande à la vie active, non pas pour la faire rentrer dans la classe, mais pour travailler avec elle, aussi bien sur un plan technique que sur un plan philosophique. Or le symbole et le fait le plus important est le fait numérique avec toutes ses composantes. L’ignorer aujourd’hui c’est probablement passer à côté de la dimension éducative et culturelle du métier d’enseignant dans un monde tel qu’il est.

Bruno Devauchelle

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