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Au moment où s’ouvre le salon Eduspot on peut s’interroger sur ce que devient le plan numérique annoncé en 2015 par le précédent président de la République. Annonciateur d’un équipement massif des collégiens basé sur un volontarisme politique égalitariste (donnons à tous un équipement plutôt que de laisser chaque famille aux prises avec le choix d’équipement), le plan numérique rappelait, à son commencement, le fameux plan Informatique pour tous des années 1980, mais avec une autre ambition. Après les collèges connectés, puis les collèges préfigurateurs, on devait passer à l’échelle supérieure, la généralisation des équipements pour chaque élève au collège : « Des équipements individuels mobiles pour tous les collégiens d’ici la rentrée 2018 ». Etaient associés la formation des enseignants, la mise à disposition de ressources et la création d’un cadre de confiance (GAR, gestionnaire).

Ministère : réduire la toile

C’est là qu’intervenait le geste politique qui consiste à partager la charge des achats entre l’Etat et les collectivités territoriales. On aurait pu supposer un engouement général, mais il a fallu réduire la toile assez rapidement. Si dans certains départements les élus ont engagé la collectivité, dans d’autres il y a eu des hésitations, des réticences. Le changement de gouvernement a rebattu les cartes, comme à chaque fois. Le ministre, dont on remarque qu’il n’a pas fait d’autre grande annonce sur le numérique que l’interdiction des téléphones portables et autres smartphones, n’a pour l’instant rien fait d’autre que de restreindre, dans le budget les montants alloués au plan numérique annonçant ainsi son arrêt probable.

Imaginerait-on le ministre annoncer l’interdiction du smartphone au moment de l’ouverture d’Eduspot, manifestation organisée par les « industriels » du secteur des edtech ? Il est probable que cette interdiction, si on en juge les propos tenus à France Inter récemment, sera à géométrie variable : oubliées les ondes néfastes du Grenelle de l’environnement qui avait amené à la naissance du premier texte de loi. Mettre des tablettes ou des ordinateurs portables dans tous les collèges nécessite des infrastructures réseau et en particulier en wifi dans les établissements. De plus cela coute cher, comme en témoigne les propos du directeur de la direction du numérique éducatif (DNE) devant la commission de l’Assemblée nationale qui travaille sur le numérique à l’école rejoignant ainsi le rapport de l’ADF publié à l’automne dernier. D’ailleurs le directeur de la DNE n’hésite pas dans son propos aux députés à pousser le BYOD comme une idée d’avenir. Alors qu’il ne peut fournir aucun chiffre sur le déploiement du plan numérique (en a-t-il ? le député Studer lui rappelle qu’il doit les envoyer à la commission), la DGESCO à qui est posée la même question répond que la DNE a surement donné ces chiffres… On le constate, le plan numérique est peut-être déjà passé aux oubliettes, dans l’esprit de la centrale ? On peut effectivement se le dire en lisant le projet de loi de finance 2018 dans lequel l’absence quasi totale de référence à quoi que ce soit sur le numérique éducatif conforte notre analyse

Difficultés de déploiement

Qu’en est-il dans les communes, les départements, les régions ? Alors que le site officiel du plan numérique annonçait la rentrée 2018, on en est à 50% dans le meilleur des cas, comme en Bretagne. L’annonce d’un équipement par élève n’est pas adoptée, mais plutôt des équipements mobiles collectifs (académie de Poitiers) implantés sous forme d’équipements dans les collèges. Mais au-delà du nombre, il y a encore de nombreuses difficultés de déploiement. Entre les équipements partiels et difficiles à mettre en œuvre (charriots de portables ou de tablettes), l’augmentation du nombre d’établissements par l’association du primaire, on s’aperçoit aussi que le plan n’a pas été suffisamment anticipé pour les deux volets cruciaux que sont la formation (parce qu’elle est inadaptée la plupart du temps) et les infrastructures (souvent sous dimensionnées voire inadaptées). L’annonce d’équipements massifs ne suffit pas… Et comme les budgets sont incertains…

Le ministère de l’activisme au suivisme

Entre un effet d’annonce et une absence d’annonce, on se demande si le plan numérique n’est pas à l’instar de tous les autres, comme le dénonçait jadis Vincent Peillon en annonçant sa stratégie (2012), un projet de plus dont la mise en œuvre va laisser des traces aussi négatives que les précédents. Surtout cela démontre une nouvelle fois l’absence d’analyse et de compréhension du sujet, non seulement par les politiques, mais aussi par les cadres qui les accompagnent dans la mise en œuvre, de la DGESCO qui ne parle que de l’enseignement du code, à la DNE qui parle, sans chiffres, du plan numérique et qui évoque surtout le BYOD comme solution. Dans les deux cas, on ne voit pas où ça va. Les collectivités territoriales, interrogées aussi par la question des ENT et se demandant si le BYOD n’est pas une fausse bonne solution (cf. infrastructures et règlement général sur la protection des données (RGPD) se sentent probablement abandonnées. Quant aux entreprises, hormis Unowhy, dont le directeur de la DNE cite le nom à plusieurs reprises dans son audition, elles se réunissent à partir d’aujourd’hui et auront surement à coeur de demander dans quelle direction ça va. Surtout que nombre d’entre elles vivent surtout des commandes publiques…

Les PIA (Programmes pour les investissements d’avenir) qui étaient abondés depuis 2010 sont en train de se terminer, eux-qui finançaient, entre autres, les recherches et les actions dans le domaine du numérique éducatif. On peut sans risque affirmer que le Plan Numérique (PNE) est en « fin de vie ». Cette longue liste de plans qui a tenté de faire croire que le numérique avait réellement sa place dans le système scolaire est aujourd’hui complétée d’un nouvel épisode qui va se ranger sur les étagères des intentions non abouties. Finalement le compte est loin d’être bon et les déceptions nombreuses. Car cela alimente aussi les arguments de tous ceux qui refusent de donner une place réelle au numérique dans l’enseignement.

En proposant la solution BYOD, le ministère baisserait les bras devant les familles, les pratiques sociales et finalement les pratiques individuelles. Cela serait aussi le signe que l’écart entre le monde scolaire et la vie sociale est désormais placé sous le signe du suivisme, de la politique du fait accompli. Nous en avons souvent évoqué la perspective depuis le début des années 2000. Ca y est nous y sommes… Non nous ne revendiquons pas la séparation et l’étanchéité, nous revendiquons une prise en compte qui dépasse les groupes de pression et qui propose une véritable vision de l’humain éthique et responsable.

Bruno Devauchelle

Quelques repères:

Audition de la DGESCO, le 22 février 2018

Audition de CANOPE (M Panazol) et DNE (M Jeandron) le 14 février 2018

Et bien sûr tous les documents sur les projets de finance 2018