Une
légende ?
Le GFEN est, comme nombre de mouvements
pédagogiques, héritier d’une longue histoire. La légende veut que ce soit
au retour de la première guerre mondiale, choqués par les horreurs
qu’ils ont découvertes, que de grands scientifiques se sont associés à
des pédagogues pour tenter de répondre à une redoutable question :
comment une société, bien qu’ « instruite » par les vertus
républicaines de la scolarisation de tous, avait-elle pu générer autant
de haine, de violence, de morts ? Henri Piéron, médecin et psychologue, Paul Langevin, physicien
le psychologue Henri Wallon ou le pédagogue Gaston Mialaret se
succèdent à la tête d’un mouvement qui, progressivement, se construit
une culture voulant associer étroitement les connaissances
scientifiques, l’histoire de leur construction, et les connaissances en
psychologie du développement et des apprentissages. On y apprend donc à
fabriquer, empiriquement, des « démarches » dont l’ambition est de
renforcer le pouvoir d’agir et de penser de ceux qui apprennent, grâce
à la force du collectif interrogeant le savoir qui résiste… Au cours
des décennies, une expérience se capitalise, donnant lieu à des
expérimentations pédagogiques (écoles du XXe à l’initiative de Gloton,
expérience de formation des maîtres au Tchad par O. et H. Bassis et
Jean Bernardin). Nombre d’ouvrages témoignent de cette créativité,
chacun pillant sans vergogne le groupe voisin pour mettre « à sa main »
ce qui a été inventé par les voisins.
Un mouvement pédagogique qui ne se centre
pas sur l’enfant…
S’il
s’inscrit naturellement dans le camp des « pédagogues », le GFEN ne
laisse que peu de prise à la critique de ceux qui raillent les adeptes
du spontanéisme et du puerocentrisme. Ce n’est pas l’enfant qui est au
centre, mais le rapport au savoir que construit celui qui apprend. Le
GFEN se méfie de l’individualisation ou de la remédiation, leur
préférant l’interrogation exigeante de l’histoire des savoirs. En ce
sens, le GFEN s’appuie donc bien sur les deux pieds de la pensée de
Vygotski : pas d’apprentissage sans théorisation des savoirs, pas
d’apprentissage sans confrontation entre moi et les autres. Evidemment,
selon les individus qui composent les groupes, telle ou telle entrée
sera favorisée : ici, les groupes locaux centrent leur activité sur les
procédés d’écriture ou le développement de soi, quand d’autres
s’intéressent davantage à la formation ou aux enjeux politiques de
leurs démarches.
Le
paradoxe (ou la conséquence…) est que le GFEN est aujourd’hui en
capacité de mettre sa pensée en connexion directe avec les nouveaux
savoirs issus des différents secteurs de la recherche : que ce soient
les récents travaux sur la motivation à apprendre, les conclusions des
chercheurs en psychologie sociale ou les travaux de Louis Harris sur la
théorie de l’Esprit, rien qui ne puisse se mettre en relation avec les
pratiques inventées dans les groupes GFEN, où on a appris (parfois
empiriquement) à conduire des modalités de démarche d’apprentissage qu
ne soient pas que des façades formelles, mais des interrogations
exigeantes de ce qui résiste quand on apprend. Paradoxalement, même les
très cognitivistes exigences d’automatiser les procédures de base ou de
favoriser les entraînements ne font pas peur au mouvement, qui théorise
que ce qui va fonder la capacité de l’élève à apprendre, c’est aussi de
concevoir son apprentissage comme une longue suite d’efforts,
d’erreurs, de remises en cause, à l’inverse des fatalités du « doué ou
non-doué » qui créent tant de malentendus chez les élèves en
difficultés.
Toutefois, l’appel à l’effort ne peut
suffire, si l’enseignant n’est pas en mesure de faire construire
progressivement de nouveaux « mobiles » à apprendre de l’élève, qui
vont déterminer son activité intellectuelle, contribuer à sa «
mobilisation » grâce à des retours réflexifs sur l’activité,
une interrogation de la notion d’aide, ou un changement de regard sur
les savoirs et l’histoire de leur conquête par l’humanité.
A la croisée des chemins…
Comme d’autres mouvements
pédagogiques, le GFEN est donc à un tournant de son histoire :
dépositaire d’une riche histoire qui le rend capable de se frotter aux
exigences de la « réussite de tous » qui est aujourd’hui en débat, le
mouvement est aussi dans une situation de grande fragilité économique
et militante. Les aides publiques qu’il reçoit sont faibles, les
effectifs de militants ne sont pas pléthoriques. Pourtant, le public du
congrès y croit : les plus chevronnés voient avec plaisir les jeunes
remplir les chaises vides, et tenter de s’approprier la suite, avec
anxiété et ardeur…
Une des pistes poursuivies par le
congrès est de travailler en collaboration avec les différentes
institutions de formation qui cherchent désespérément des formateurs
pour accompagner les établissements scolaires, les équipes de
prévention, les formateurs des métier du champ social. Au cours du
congrès, plusieurs responsables institutionnels sont venus en
témoigner. Mais les participants au congrès sont parfois circonspects
sur la volonté des structures bureaucratiques de faire bouger leur
fonctionnement, surtout en ces temps très libéraux où on est plutôt
tenté de chercher les voies de la « résistance ».
Pourtant, pour reprendre
les mots de Charlotte Nordmann dans la livraison d’été du Monde de
l’Education, «
il est urgent de repolitiser la question – et non seulement dans les
seuls termes, infiniment réducteurs, de la résistance à la
« marchandisation de l’école », aussi réelle que soit cette menace. Ce
qui exige de ne pas refouler la contradiction inhérente à la logique de
l’école, afin d’interroger sur les moyens de majorer la fonction
émancipatrice de l’école au détriment de sa fonction de hiérarchisation
».
Et nombre de militants du
GFEN (ou d’ailleurs !) se retrouvent dans sa conclusion : « L’émancipation politique est,
indissociablement, émancipation intellectuelle : il s’agit de sortir du
cercle de l’infantilisation et de s’autoriser à penser et à désirer
d’autres possibles. Dans une situation indéniablement précaire,
porteuse du pire, il est urgent de sortir de l’angoisse qui nous
paralyse, qui nous empêche de voir que l’effort pour maintenir le statu
quo est le plus sûr chemin vers la ruine de ce que nous voulons
défendre, qui nous fait renoncer à toute visée réellement souhaitable,
à toute perspective véritablement démocratique. Il est tout sauf naïf
d’affirmer qu’il faut restaurer notre confiance dans notre capacité à
agir et à cultiver notre désir d’une démocratie réelle. »