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« Une pratique de classe très acculturante contribue à la réussite des élèves dans tous les domaines d’apprentissage du lire-écrire. Les effets calculés des différentes variables tendent à confirmer que pour être bénéfique, l’acculturation à l’écrit a besoin d’être déployée dans toutes ses dimensions : Il ne suffit pas de mettre l’enfant en contact avec le livre, il faut aussi mettre en œuvre une médiation pour favoriser le développement d’une relation individuelle avec le monde de l’écrit ». Marianne Tiré et Anne Vadcar rendent compte d’une étude poussée auprès de plus de 100 classes de l’efficacité des pratiques d’acculturation à l’écrit, c’est à dire faire entrer l’élève dans une posture de lecteur.

Lors du colloque « LireEcrireCP (1) » (25/0915, Lyon) coordonné par l’Institut français de l’Éducation / ENS de Lyon, nous avons présenté les premiers résultats d’une recherche qui s’intéresse à l’impact des pratiques d’acculturation à l’écrit en classe de CP sur le développement des habitudes de lecture et la construction de compétences en lecture-écriture.

Notre objectif était d’interroger la nature de cette acculturation et de mesurer son incidence sur la progression des performances des élèves surtout pour ceux dont la médiation familiale à l’écrit est peu développée. Il existe de nombreux travaux (Bonnery, 2012 ; Devanne, 2006 ; Fijalkow, Pasa et Ragano, 2006 ; Frier, 2006 ; Giasson 2007 ; Tauveron, 2002 ; Terrail, 2013) qui mettent en évidence l’importance des pratiques acculturantes dans la construction des habitudes de lecture au CP sans qu’aucune étude n’ait réellement questionné de façon scientifique leur lien avec la progression des élèves.

La notion d’acculturation à l’écrit peut se définir comme « un travail d’appropriation et de familiarisation avec la culture écrite, ses œuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales : il s’agit de faire découvrir aux élèves le pouvoir d’action et de réflexion que confère la maitrise de la langue écrite. Les maitres parlent à ce sujet de construction d’un statut ou d’une posture de lecteur. » (Goigoux, 2003)

Nous avons travaillé à partir de deux types de données issues de l’enquête LireEcrireCP : celles qui ont été observées par les enquêteurs et celles qui ont été déclarées par les enseignants et recueillies par questionnaires. Dans cet immense corpus (3 semaines d’observation sur 131 classes), nous avons recherché les données relatives à l’acculturation comme l’utilisation des différents types d’écrit, des textes, des récits, des albums, ou encore la présence d’une offre culturelle variée (coin lecture, bibliothèque, abonnement à une revue, projet culturel) et de moments d’appropriation de la lecture (coin lecture, fréquentation d’une bibliothèque…).

Nous avons retenu 4 variables (2) pour décrire la part d’acculturation des pratiques observées en classes de CP et catégoriser les 131 classes de l’enquête des moins au plus acculturantes.

Les usages de l’écrit

La première variable « écrits » s’intéresse à l’utilisation dans les apprentissages de la lecture/écriture de différents types d’écrit (affiche, compte rendu, documentaire, légende, liste, poésie, récit, recette, message, autre) et du texte (par opposition à syllabe, mot ou phrase). Nos résultats montrent que 19% des classes proposent une durée d’utilisation et une diversité forte des types d’écrit toute l’année, 53% ont une offre moyenne en durée ou en diversité et enfin 28% des classes ne s’intéresse pas aux différents types d’écrits. L’usage du texte est beaucoup plus généralisé. Les classes travaillent sur le texte en moyenne 5h20 sur les 3 semaines de l’enquête et au cours de l’année, le temps consacré à la lecture de texte par semaine double et passe en moyenne de 1h13 à 2h20 en cohérence avec l’augmentation des capacités des élèves en lecture-écriture.

Le texte occupe ainsi une place croissante dans l’ensemble des activités du lire-écrire : de 16,1% des activités en 1ère semaine de l’enquête à 33,1% en dernière semaine. D’autre part, nous avons pu observer que seulement 50% des classes ont pratiqué la production du texte pendant l’enquête pour une durée allant de 9 min à 1h12. Même en fin d’année le nombre de classes qui produisent du texte est faible au regard de la cohorte de l’enquête ce qui en fait une activité assez moyennement utilisée conformément aux prescriptions des programmes (l’écriture de texte est exigible en fin de CE1 et les documents d’accompagnement préconisent l’écriture de phrase au CP et de texte au CE1).

Quels usages des albums ?

La deuxième variable « album » permet de décrire quantitativement l’usage de la littérature de jeunesse selon les paramètres suivants : nombre d’albums lus par semaine, modalités d’utilisation de l’album, lecture offerte et exposition au récit. Dans 10 % des classes on lit moins d’un album par semaine et dans 8 % des classes on en lit plus de 2,5. La pratique générale est donc l’utilisation pédagogique de 1 à 2 albums par semaine selon différentes modalités de travail : lecture offerte, lecture approfondie ou mise en lien avec d’autres albums.

Nous avons postulé que la variété des modalités de travail de l’album multiplie les occasions d’appropriation individuelle de ce type d’écrit. Les 3 modalités ont été déclarées par 55% des classes. La lecture offerte qui est une véritable occasion de bâtir une culture commune et un socle commun d’œuvres patrimoniales n’est pas pratiquée dans 9% classes et seulement 30% des classes en font une pratique régulière et ritualisée. L’exposition au récit, c’est-à-dire écouter et/ou écrire des histoires, ne fait pas forcément référence à l’album mais y est fortement liée.

Nous avons observé que :

– dans 29% des classes de l’échantillon, les enseignants consacrent des durées faibles à très faibles au récit en production (13 min en moyenne) et réception (1h en moyenne).

– dans 20,6% des classes, les enseignants consacrent des durées faibles à très faibles au récit en réception (56 min en moyenne) et élevées à très élevées en production (1h23 min en moyenne)

– dans 19,8% classes les enseignants consacrent des durées élevées à très élevées au récit en réception (2h19 min en moyenne) et faibles à très faibles en production (18 min en moyenne),

– dans 40 classes 30,5% dans les enseignants consacrent des durées élevées à très élevées et comparables accordées au récit en réception (2h10 en moyenne) et en production (1h31 en moyenne) ;

Quels espaces de l’écrit ?

La troisième variable « usages et espaces de l’écrit » permet de quantifier l’offre culturelle dans la classe et de la qualifier grâce aux moments d’appropriation individuelle de la lecture déclarés par les enseignants. Nous nous sommes appuyés sur les réponses que les enseignants ont données aux questions : y a t-il un coin lecture dans la classe ? La classe fréquente-t-elle une bibliothèque? La classe est-elle engagée dans un projet culturel en lien avec la lecture et l’écriture ? La classe est-elle abonnée à une revue ? Les résultats montrent que l’absence de coin lecture est rare (7,6 %), qu’une grande majorité de classes (71,8%) fréquente une bibliothèque ou est engagée dans des projets culturels (62,6%) en lien avec la lecture et l’écriture mais que l’abonnement à une revue reste minoritaire (37,4%).

Quatre catégories de classes ont pu être définies en fonction du nombre d’offres culturelles :

– 13,7% des classes offrent une très faible variété des pratiques acculturantes (0 ou 1 élément de l’offre culturelle sans coin lecture),

– 27,5% des classes offrent une variété moyenne des pratiques (2 éléments de l’offre culturelle dont le coin lecture),

– 35,1% des classes offrent une assez grande variété des pratiques (3 éléments de l’offre culturelle dont le coin lecture),

– 23,7% des classes offrent une grande variété des pratiques avec tous les éléments de l’offre culturelle.

Les moments d’appropriation individuelle de la lecture sont ceux où les enfants ont la possibilité de construire une relation personnelle avec le livre ou la lecture par la manipulation des livres lus par l’enseignant, l’accès libre au coin lecture et la fréquentation régulière (2 ou 3 fois par mois) d’une bibliothèque. Cette fois encore 4 catégories de classes ont pu être distinguées. Dans 13% des classes il n’y a aucune modalité d’appropriation individuelle. Dans 33,6% des classes l’appropriation est faible c’est-à-dire qu’il n’y a qu’une seule modalité sur 3. Dans 39,7% des classes il y a 2 modalités sur 3. Et seulement 13,7% permettent une forte appropriation. Dans ces classes, les élèves manipulent les livres lus par l’enseignant, ont un accès libre au coin de lecture de la classe et vont dans le cadre de l’école à la bibliothèque plusieurs fois par mois.

L’acculturation à l’écrit

La quatrième variable « acculturation à l’écrit » construite à partir des 3 qui viennent d’être décrites permet alors de caractériser l’échantillon des classes de l’enquête. On observe une répartition assez régulière en trois tiers : 31,8% de classes peu acculturantes, 35,4% moyennement acculturantes et 32,7% fortement acculturantes. Dans les classes du dernier tiers, les enseignants utilisent beaucoup d’objets acculturants comme les types d’écrit, l’unité texte et les albums pour mener les apprentissages du lire-écrire et incitent également les élèves à lire grâce à la présence d’un coin lecture en accès libre, la fréquentation régulière d’une bibliothèque et la mise en œuvre de projets culturels.

Au-delà de la caractérisation, ces variables ont été utilisées statistiquement afin de les confronter à la progression des performances des élèves (projet « LireÉcrireCP », ibid.). On constate alors que, toutes choses égales par ailleurs, les pratiques acculturantes des classes du dernier tiers, celles que nous avons pu caractériser comme très acculturantes, ont eu un effet bénéfique sur la progression en code, compréhension, écriture et de manière globale des élèves de niveau initialement faible ou moyen. Les classes moyennement acculturantes ont le même effet mais seulement pour les élèves initialement de niveau moyen. Ces effets sont très liés à la variable « album » et « usages et espaces de l’écrit ».

Ce résultat, très intéressant, confirme l’hypothèse selon laquelle une pratique de classe très acculturante contribue à la réussite des élèves dans tous les domaines d’apprentissage du lire-écrire. Les effets calculés des différentes variables tendent à confirmer que pour être bénéfique, l’acculturation à l’écrit a besoin d’être déployée dans toutes ses dimensions : Il ne suffit pas de mettre l’enfant en contact avec le livre, il faut aussi mettre en œuvre une médiation pour favoriser le développement d’une relation individuelle avec le monde de l’écrit. On peut enfin dire que les pratiques d’acculturation aident en particulier les élèves faibles et qu’en ce sens elles aident à réduire les inégalités scolaires.

Marianne Tiré – Anne Vadcar

Sur le rapport Goigoux et l’enquête Lire écrire au CP

Notes :

1 Pour une présentation complète du projet, voir GOIGOUX, R. (2014). « Lire Écrire CP, un programme ambitieux ». Bulletin de la Recherche, Institut français de l’Education, n°31, p. 2-3.

2 Ces variables sont précisément décrites dans l’article à paraitre du prochain numéro de Repères intitulé « Pour une approche objective des pratiques d’acculturation en classe de CP : essai de catégorisation et premières analyses » (Bazile, Ragano, Tiré, Vadcar, Repères 52, 2015)