C'est une nomination surprise, un tournant et pourtant une continuité. La nomination de Pap Ndiaye à l'éducation nationale et à la jeunesse est une surprise. Il ne figurait pas dans les noms qui revenaient pour ce ministère et ce n'est pas un politique. Un tournant car il va rompre avec le populisme anti wokisme agité par JM Blanquer. Une continuité car il aura à appliquer la politique décidée par E Macron, c'est à dire continuer ce qui avait été dessiné dès 2017.
Quand un ministre s'en va il vante son bilan. Quand il arrive il salue les enseignants. Tout cela, JM Blanquer et Pap Ndiaye l'ont fait le 20 mai lors de la cérémonie de passation de pouvoirs. Mais les deux hommes se sont aussi affrontés à fleuret très moucheté sur le thème de la continuité. De leur coté, les syndicats posent dès maintenant leurs exigences en attendant d'entamer un dialogue que le nouveau ministre a promis.
Après des propos publiés par Le Parisien plutôt mal accueillis par les enseignants, Pap Ndiaye devait tenter quelque chose. Dans un message envoyé le 27 juin au soir, le ministre de l'éducation nationale s'adresse à tous les enseignants. Sans ambiguïté il dit vouloir continuer les orientations pédagogiques de son prédécesseur. Et il promet aussi de "mieux rémunérer les professeurs" tout en liant cet effort à "mieux les former tout au long de leur carrière". Là aussi on reste dans la continuité.
Ministre très novice et remarquablement silencieux, Pap Ndiaye a t-il un cabinet qui puisse l'aider à développer sa politique éducative ? Faute d'une personnalité marquante, le cabinet reflète, quand on l'analyse, la juxtaposition de plusieurs projets politiques. Si la réforme macronienne de la voie professionnelle est très bien portée par plusieurs membres du cabinet, une autre source d'inspiration guide le cabinet. Il est remarquable de voir comment la Cour des Comptes y est, pour la première fois, fortement représentée aux postes clés. Or, quelques mois avant l'élection présidentielle, la Cour a publié pas moins de 4 rapports sur l'Ecole appelant tous à la même réforme : la privatisation de l'Ecole, c'est à dire sa soumission à une nouvelle gestion issue du privé. Avec un ministre novice et le cabinet actuel, cette réforme devrait avancer rapidement.
La première circulaire de rentrée de Pap Ndiaye est parue. Le ministre maintient les orientations pédagogiques de JM Blanquer. Il y ajoute la feuille de route donnée par Emmanuel Macron, notamment les fameuses concertations dans les établissements avec les parents et les "partenaires". Mais il y associe ses propres préoccupations comme la mixité sociale, ou le bien être des élèves. Finalement chaque niveau (école, collège, lycée) est concerné. Et l'Ecole de Pap Ndiaye évolue dans une continuité déconcertante.
Sur France Inter le 7 juillet, Pap Ndiaye demande à être jugé sur sa politique de lutte contre les inégalités. Or un petit cadeau de fin d'année à l'école privée inaugure sa politique au B.O. le même jour. Sous le titre anodin "mesures complémentaires à la circulaire n°2017-122 du 22 août 2017", une circulaire ouvre l'utilisation du budget des fonds sociaux directement aux directeurs des écoles privées sous contrat qui sont à plus de 90% des écoles catholiques. Drôle de lutte contre les inégalités et de défense de la laïcité...
Pour Emmanuel Macron, l'évolution de l'Ecole est visiblement une priorité. Après sa visite marseillaise du 2 juin, il est revenu sur la question scolaire dans un entretien publié par la presse régionale le 3 juin. Présentée comme une "révolution culturelle" pour l'Ecole à l'aide d'une "réorganisation nationale", la réforme macronienne devrait être de plus grande ampleur que ce qui semblait. Avec la réélection d'E Macron, sauf surprise aux législatives, la France va entrer dans le mouvement qui emporte les pays occidentaux dans une privatisation accélérée des systèmes éducatifs.
Emmanuel Macron et Pap Ndiaye se rendront à Marseille le 2 juin pour une visite sur le thème de l'éducation. La première sortie publique de Pap Ndiaye sera très symbolique. Elle se fera avec E. Macron et pour appliquer une politique voulue par l'Elysée et mise en oeuvre par son prédécesseur. Emblème du macronisme, le projet "Marseille en grand" en marque aussi les limites. Sur le terrain il a du accepter de nombreux accommodements. Sur le plan des idées, ce n'est qu'une résurgence d'un vieux projet conservateur. La "refondation" de l'Ecole annoncée par E Macron est un voyage dans le passé...
Alors qu'Emmanuel Macron arrive à Marseille pour accélérer le nouveau management du système éducatif, il n'est pas inutile de réfléchir au nouveau phénomène des job datings. Paul Devin le fait et il voit dans ces "job datings" une évolution du métier enseignant en promouvant le modèle de l'enseignant contractuel de passage dans ce métier. Ces jobs datings sont l'évolution normale du Nouveau Management Public comme le Café pédagogique l'annonçait dès 2017. Partout où il a triomphé on assiste aux mêmes tensions sur le recrutement et au final au recrutement à la baisse des enseignants. Une réalité à rappeler ce 2 juin.
"Nous continuerons la refondation de l'école entamée lors du dernier quinquennat". Lors de la déclaration du gouvernement, le 6 juillet, devant l'Assemblée nationale, la première ministre dessine ce que sera la réforme de l'Ecole : revalorisation mais "nouveau pacte", "transformation de l'école", contrats locaux, apprentissage dans les lycées professionnels. Elisabeth Borne confirme aussi la réforme des retraites. Et elle sonne le retour à la rigueur budgétaire... Tout en prônant la concertation, le gouvernement n'entend rien céder de ses projets même quand ils sont clairement rejetés comme le "nouveau pacte".
Blanquer sans Blanquer. Les résultats de l'élection législative dessinent un glissement à droite de la majorité. Or s'il est un domaine où, de 2017 à 2022, la majorité présidentielle et Les Républicains se sont globalement entendus c'est bien l'éducation. Pour l'Ecole, c'est la continuité blanquérienne qui s'annonce. Les réformes annoncées par le président de la République, prudemment sans trop de détails, ont la même source d'inspiration que ce qu'envisageait Valérie Pécresse, candidate des Républicains. L'entente sur ce terrain est facile à construire. Sauf sur un point : ce que représente Pap Ndiaye. L'ouverture idéologique à gauche qu'il incarne est déjà caduque.
La personnalité de Pap Ndiaye va-t-elle changer les relations entre le ministre et les personnels ? Secrétaire général du premier syndicat de l'Education, Benoît Teste manifeste son admiration pour la personne de Pap Ndiaye et sa volonté de reprendre un dialogue cassé par JM Blanquer. Pour autant il rappelle que les législatives peuvent changer le ministre et que la nomination de Pap Ndiaye est avant tout une manoeuvre politique.
"Combien de temps encore ça va durer ?" Commentant le 23 mai les résultats du "Baromètre Unsa", Frédéric Marchand , secrétaire général de l'Unsa Education, s'inquiète des tensions dans l'Ecole. Si les enseignants aiment leur métier, un tiers déjà trouve qu'il n'a plus de sens. Un tiers aussi envisage de changer totalement de métier. Et seulement 16% conseilleraient l'enseignement à leur enfant. Autre révélation de cette très large enquête (plus de 40 000 participants), le rejet de la politique ministérielle, déjà massif depuis 2018, ne cesse decroitre. 2022 voit une nouvelle baisse avec seulement 5% des enseignants en accord et pas plus d'un quart des cadres. Blanquer a laissé l'éducation au fond du trou.
Pierre Merle : « L’école du futur » et les fausses solutions du New Public Management
Début juin, après sa réélection, E. Macron a présenté son « école du futur ». Pour l’essentiel, les chefs d’établissement choisiraient les professeurs de « leur équipe » et les expérimentations pourraient être multipliées au niveau local. Telle qu’elle est définie, cette école du futur n’est pas une idée neuve. Elle reprend les thèses de l’ouvrage de J.-M. Blanquer L’école de demain (2016). Inspirée du New Public Management, cette école du futur, loin de résoudre les difficultés récurrentes de l’école française, risque fort de les accentuer.
Comment remédier à la crise de recrutement de l'éducation nationale ? En laissant les chefs d'établissement recruter et en différenciant les salaires, répond le rapport rédigé par le sénateur LR Gérard Longuet pour la Commission des Finances du Sénat. Il veut augmenter "la productivité" des enseignants en augmentant leurs missions et en restructurant le réseau d'établissements de façon à en réduire le nombre. Ce rapport sénatorial va un peu plus loin que les annonces d'Emmanuel Macron. Mais il les éclaire en dévoilant l'objectif budgétaire : répartir la marge budgétaire dégagée par la chute du nombre d'élèves dans les années à venir. La privatisation de l'Ecole c'est comme les retraites...
Monsieur le Ministre,
Votre nomination est, à mes yeux, comme aux yeux de beaucoup, une belle surprise. Votre travail universitaire, vos engagements, vos prises de position sont, en effet, le gage d’un renouvellement important à la tête de l’Éducation nationale. Vous avez travaillé sur les discriminations et sur l’émancipation ; vous avez eu, à de nombreuses reprises, des paroles justes, sans concession et apaisantes à la fois, sur des questions de société essentielles ; vous incarnez la lutte pour l’égalité des droits dans ce qu’elle a de plus fondamental pour notre avenir… Ce sont là, pour les enseignantes et enseignants, comme pour tous les personnels de l’Éducation nationale et de l’Éducation populaire, des signes forts qui nous font espérer un vrai renouveau.
En tête des défis qui attendent le nouveau ministre de l'Education nationale figure la lutte contre les inégalités sociales à l'Ecole. C'est ce que rappelle Marc Douaire, président de l'Observatoire des Zones Prioritaires, une association qui fédère des acteurs de l'éducation prioritaire. Il demande une rupture avec la politique suivie par JM Blanquer et le redémarrage de l'éducation prioritaire, en commençant par des Assises nationales.
"Au moment où la politique sur l’école va peut-être prendre de nouvelles orientations, souhaitons que cette politique regarde l’école non par le haut, par ce qui fait l’excellence de l’École française, mais par le bas, par là où l’École est défaillante". Présidente d'ATD Quart Monde, Marie Aleth Grard trace des pistes pour faire évoluer l'Ecole.
L'enseignement professionnel exfiltré hors de l'Education nationale ?
"Le pire est devant nous. Un tiers des jeunes lycéens vont être exclus de l'école". En mars 2022, Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du Snuep Fsu, s'alarmait des propos d'E Macron sur le lycée professionnel. Le cauchemar est en train de prendre forme avec la nomination de Carole Grandjean comme ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels à la fois auprès du ministre du Travail et du ministre de l'Education nationale. L'enseignement professionnel se retrouve à cheval sur deux ministères avec une feuille de route qui semble annoncer le passage de l'un à l'autre et une ministre qui semble très volontaire... Bientôt un tiers des lycéens français exclus de l'Ecole ?
Dans un rapport et un référé publiés le 23 juin, la Cour des Comptes pointe les insuffisances et les échecs de la réforme de l'apprentissage menée pendant le 1er quinquennat.
La Depp, division des études du ministère de l'éducation nationale, publie deux notes sur l'insertion professionnelle des lycéens professionnels et des apprentis. La parution concomitante invite à la comparaison.
Pas de revalorisation spécifique à l'Education nationale avant septembre 2023. C'est une des informations ramenées par Sigrid Gérardin , secrétaire générale du Snuep Fsu, de sa rencontre avec le cabinet de P. Ndiaye. Alors qu'Emmanuel Macron a mis la réforme du lycée professionnel en tête de son programme, S Gérardin craint pour l'avenir de la voie professionnelle. Elle s'en explique dans cet entretien.
Concours : Le ministère reconnait près de 4000 postes vacants
C'est pire que ce que le Café pédagogique avait annoncé. Le 4 juillet, nous annoncions "plus de 3000 professeurs manquants à la rentrée". Le ministère de l'éducation nationale vient de publier ses chiffres. Selon lui ce sont 3 733 postes qui n'ont pas été pourvus aux concours 2022. Mais il assure qu'il y aura bien un professeur devant chaque classe grâce à l'appel à des contractuels.
Elles partent. Elles osent partir. Elles quittent l’éducation nationale. Maylis Turlay, enseignante depuis huit ans dans l’académie de Paris, après avoir été danseuse dans une première vie professionnelle. Amélie Suet, professeure des écoles depuis neuf ans – dont trois en Allemagne. Margot Lopez, enseignante depuis 6 dans l'académie de Versailles, pour qui l’enseignement est « une vocation et vraiment une passion, je ne me vois pas faire autre chose depuis mes huit ans ». Quand leurs anciens et anciennes collègues reprendront le chemin de l’école, en septembre prochain, Maylis sera responsable éditorial et contenus. Margot enseignera dans une école bilingue à Berkeley en Californie. Et Amélie sera en formation pour devenir coordinatrice de projet humanitaire. Toutes trois donnent les raisons de leur départ. Elles accusent une évolution désastreuse de leur métier.
Alors que le taux de démissions est en rapide hausse en France,deux sociologues, Richard Etienne et Céline Avenel (LIRDEF Université P Valéry de Montpellier) interrogent des enseignants démissionnaires, d'autres qui souhaitent partir et des formateurs sur les raisons de ces départs. Ils montrent comment la formation et l'organisation du système éducatif jouent un rôle dans ces départs.
Le 17 mai, 122ème jour du procès, des victimes témoignent de l'attentat et de ses suites. Parmi eux, plusieurs enseignants. Ils tiennent le même discours. S'ils ont pu rencontrer au niveau rectoral du soutien, dans leur établissement les logiques bureaucratiques, jusqu'aux plus stupides, les ont broyés.
Une revalorisation en forme de décrochage salarial
C'est plus ou c'est moins ? C'est en même temps ! Le gouvernement a annoncé le 28 juin une hausse du point Fonction publique à hauteur de 3.5%. Voilà pour le plus. Mais par rapport à une inflation déjà à 5.2% en mai 2022 et probablement à 6.8% sur l'année 2022, ces 3.5% officialisent en fait un décrochage salarial. La revalorisation gouvernementale se traduit par une baisse du pouvoir d'achat de 1.7 dès aujourd'hui à 3.3% en décembre... D'où une déception certaine du coté des syndicats.
"Pendant l’année scolaire 2021-2022, le service moyen d’un enseignant du second degré est de 18 heures et 26 minutes dont 1 heure et 41 minutes d’heures supplémentaires annualisées (HSA). Mais, du fait des HSA, sa rémunération va varier fortement en fonction de son corps d'origine mais aussi selon son genre. "La pratique des HSA est très répandue", annonce la Depp (division des études du ministère) dans une Note qui ne fait pas le lien avec les suppressions de postes dans le second degré ni avec la croissance des inégalités...
"Souvent brandie comme un totem, la liberté pédagogique est pourtant, juridiquement, d’une portée relative", écrit Guillaume Odinet, directeur des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale, dans la lettre d'information de la DAJ.
L'évaluation des enseignants des premier et second degré pourrait évoluer rapidement avec le nouveau quinquennat. La publication par la Cour des Comptes d'un référé de janvier 2022 sur les inspecteurs du 1er et du 2d degré relance un débat déjà instruit par le Grenelle de l'éducation. La Cour recommande la révision des accords PPCR et l'évaluation des enseignants par leur supérieur hiérarchique immédiat, le chef d'établissement dans le 2d degré, le directeur d'école dans le 1er degré. Elle demande aussi la fusion des deux corps d'inspection et l'évaluation des inspecteurs par leur supérieur direct. Toucher à l'inspection pour changer le système.
Le Café pédagogique en avait fait un poisson d'avril. Le rectorat de Nacy-Metz le prend au pied de la lettre. Selon Ouest France, l'académie recrute 7 "visio remplaçants" chargés de faire cours à distance à des lycéens surveillés par des AED.
Le secrétaire général de l'enseignement catholique a rencontré le 14 juin Pap Ndiaye. Il a porté les revendications de l'enseignement catholique en ce qui concerne la prise en charge de la restauration scolaire par des aides publiques, un nouveau régime de taxe foncière pour ses établissements et l'égalisation des grilles des suppléants.
" À chaque nouvelle vague nous subissons un même processus : après une longue phase que nous pourrions qualifier de « politique de l’autruche » face à des données de santé publique France alarmantes, une procédure d’urgence absolue est décrétée", rappelle Sud Education de Paris dans une lettre envoyée au recteur le 27 juin.
Le Café pédagogique est un média associatif, imaginé et développé par des enseignants.
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