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Le Café Pédagogique en reportage à Ludovia édition 2011
Numérique : la tentation de l'entre-soi

Communautés nomades dotée d’outils mobiles, Ludovia rassemble les questionnements, les tâtonnements et les incompréhensions que soulève le numérique. Il n’est pas seulement question d’éducation, l’école dans la cité n’est pas entourée de murailles.

 

Le nomadisme effraie parce qu’il n’a pas de frontières. La tentation est grande de vouloir le contraindre à un périmètre délimité, protégé par des mots de passe et un fierwall. C’est ainsi que l’espace numérique de travail est perçu par les habitués des réseaux sociaux. Pourtant, les institutionnels le promeuvent en vantant un accès à des ressources mutualisées et un espace de communication. La sécurité est mise en avant pour protéger les élèves d’une menace de l’inconnu. Dans cette vision des choses, les réseaux sociaux demandent un apprentissage, une maturité, et sont une source potentielle de dangers.

Le dialogue devient vite un dialogue de sourds si d’un côté, sur la scène de la table ronde, les institutionnels s’expriment, pendant que dans la salle les blogueurs twittent leur désaccord trouvant un écho de leur désappointement sur le réseau. Chacun reste chez soi, dans son cénacle. A Ludovia, cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Les temps et les lieux sont propices aux échanges, une fois quittée la salle de conférence.  Et c’est ce que l’on espère de ce genre de rencontres, inciter les uns et les autres à sortir de leur quant à soi, à quitter le cercle de sa communauté pour aller voir ce que l’autre pense.

 

Le numérique peut mener vers de lointaines considérations. Les outils mobiles, tablettes, smartphones en tête s’affranchissent des murs et des cloisons. Sommes- nous prêts pour autant à bouleverser la géographie de la classe ? Les technologies de l’information ont ouvert les vannes du savoir, un savoir acquis en piochant su le net, au gré de ses curiosités ou auprès de pairs par les échanges développés sur les forums et les réseaux sociaux. Doit on jeter l’anathème sur ces savoirs acquis hors de tout contrôle et de toute prescription. Peut on encore au sein de la classe conserver un fonctionnement descendant, centralisé, rejetant dehors les connaissances glanées ailleurs que dans son sein ? La classe comme un sanctuaire du monde d’avant, doit on la souhaiter ? La tentation est grande de recréer en mode numérique ce que l’évolution technologique a rendu anachronique. Certes, mais doit on à l’inverse bercer dans un idéalisme digital, et croire que l’on peut faire jaillir le savoir du moindre pixel et lui donner du sens en 140 caractères? Le numérique, par les investissements qu’il nécessite, induit aussi un nouveau partenariat entre les collectivités territoriales et l’éducation nationale, réimplantant l’école au cœur de la cité et contribuant à son développement. Les institutions doivent s’ouvrir pour mieux dialoguer.

 

On aimerait prendre le temps de la réflexion, prendre du recul pour concevoir un nouveau modèle pour l’apprentissage et l’enseignement dans la cité.. Mais voilà, les choses vont vite et ne nous laisse guère de temps, y compris le temps de discerner les vraies innovations des gadgets temporaires. Et puis, de retour de Ludovia, l’école nous attend. Et devant la classe qui s’étoffe d’année en année, le petit air d’utopie se dissipera déjà. Alors, on aura hâte de retrouver le soir derrière son écran sa propre communauté, son quant à soi, pour reprendre le cours des pensées partagées.

L'ent : espace numérique territorial?

Cette année, Ludovia avait invité les Inspecteurs de l’Education Nationale Tice lors de sa deuxième journée. Philippe Bonsignore, IEN Tice rencontré à Bordeaux lors de la semaine digitale était là.

Dans la capitale girondine, collectivité locale et éducation nationale ont uni leurs efforts pour mener conjointement une politique de développement numérique. Comment l’ent s’intègre dans ce projet et au-delà, comment se dessine la relation entre ces deux acteurs dans le déploiement des Tice. Philippe Bonsignore nous raconte projets et organisation à la mode bordelaise et girondine.

Il nous précise d’emblée que l'ent girondin n'existe pas encore. Une réunion à la rentrée va lancer la phase de concrétisation. A Bordeaux mais pas uniquement ; l’ent se conçoit difficilement de façon isolée et d’autres communes ont été associées. L’idée est donc de mutualiser pour que les contenus soient enrichis et disponibles partout, dans les grandes villes et dans les communes plus modestes. L’école de la République, assurant une certaine égalité dans la qualité de l’enseignement, est en toile de fond. L’ent est alors conçu comme un fournisseur de contenus diffusé dans un maximum d’écoles et de communes.

L’Association des Maires de France sert de relais pour toucher les élus locaux, les fédérer pour concevoir un projet commun et faire un appel d’offres unique. Le projet pourrait aboutir à la création d’une structure mutualisée d’ent à laquelle les communes souscriraient un abonnement en fonction du nombre d’élèves. L’outil pourrait être unique ou interopérable.

L’élan bordelais et des écoles numériques rurales, l’adhésion au projet de grandes villes girondines comme Merignac mettent ainsi en mouvement le département entier, pour le déploiement de l’ent mais pas uniquement. Certaines petites communes auront peut être besoin d’un équipement pour utiliser le numérique dans l’école. Elles n’ont pas souvent les moyens en personnel et financiers pour acheter et maintenir cet équipement. Une des pistes à explorer pourrait être une structure commune d’appel d’offres et de maintenance.

Pour enclencher cette dynamique, les services de l’éducation nationale sont allés à la rencontre des collectivités, pour expliquer ce qu’est un ent, ce qu’elles ont à gagner dans leur propre fonctionnement et ce que les élèves peuvent en retirer. Ce travail d’explication est nécessaire pour prendre conscience de toutes les dimensions de l’ent et des contraintes induites en particulier juridiques. L’investissement n’est pas anodin. Il faut justifier, démontrer, montrer des exemples concrets pour convaincre. La préoccupation des communes est d’avoir un ent qui ne soit pas centré uniquement sur l’école et permettent d’autres usages. Les communes « payeurs » doivent aussi trouver leur avantage. La mise en relation des différents partenaires est essentielle. Deux rencontres avec communes les plus importantes et l’association des maires, relais d’information auprès des 400 communes en Gironde, ont déjà eu lieu.

Un plan de formation à destination des enseignants sera défini sur l’utilisation et les usages pédagogiques de l’ent. Le CRDP et le CDDP sont associés pour déterminer quelles seront les ressources numériques qui donneront corps à l’ent. Les contenus sont importants pour ne pas se cantonner à des utilisations de communication et de vie scolaire qui ne nécessitent pas un outil aussi lourd.

L’initiative girondine illustre les enjeux du déploiement des outils numériques dans les écoles. Comment prendre en compte la diversité des territoires et des bailleurs ? Comment offrir cet outil à tous les élèves ? La démarche de mutualisation semble à priori la solution la plus viable. A condition de trouver le bon échelon de mutualisation et de bien définir le rôle des différents partenaires. La co-construction plutôt que la prescription, les ambitions numériques girondines incitent collectivités territoriales et éducation nationale à mettre en œuvre un véritable partenariat.

 

Bordeaux : de l'école numérique à la cité digitale

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/Delecolenumeriquealacitedigitale.aspx

 

« Est-ce que les français comprennent quelque chose aux ENT que les autres ne voient pas ? »

Enseignant québécois, François Guité est invité à Ax les Thermes en tant que bloggeur pour raconter avec d’autres bloggeurs, la vie et les idées de Ludovia par tweets et par billets. Homme curieux, il est arrivé avec ses questions et ses étonnements sur l’approche française du numérique en éducation. L’obstination mise à développer les ENT l’intrigue tout particulièrement. « Est-ce que les français comprennent quelque chose aux ENT que les autres ne voient pas ? » se demande-t-il. L’environnement de l’espace numérique de travail lui semble fermé, un peu à l’image de la salle de classe et à l’encontre de l’évolution du numérique. Il correspond au modèle traditionnel de l’éducation, un modèle qui se justifiait encore lorsque les moyens de transmettre le savoir étaient essentiellement l’enseignant et les livres. Aujourd’hui, les moyens sont importants et évoluent de façon phénoménale. Environnement fermé et outil fermé, comment l’ENT pourra t’-il survivre au rythme effréné des évolutions ? L’heure est plutôt au développement de micro-applications.

 

François Guité se dit pessimiste pour l’enseignement et optimiste pour l’apprentissage. L’apprentissage est une chose complexe et le numérique possède un fort potentiel d’accès aux savoirs. A l’ère numérique c’est à la façon de transmettre le savoir, d’organiser l’apprentissage qu’il faut s’intéresser. Face aux productions de l’élève, aux savoirs acquis dans et hors l’école, l’enseignant doit comprendre comment donner sens à tout cela, comment l’organiser, comment individualiser aussi. Et pour bien faire, il devrait visiter en profondeur les sciences de l’éducation, aller voir du côté des sciences cognitives, entre autres…. Gymnastique ardue, voire impossible quand le temps disponible pour soi même apprendre est réduit par le travail à mener pour préparer la classe. Les avancées de l’ingénierie numérique et de l’intelligence artificielle peuvent outiller à terme l’enseignant dans sa fonction d’accompagnement de l’élève pour organiser les savoirs acquis et leur donner sens.

 

Les difficultés pour appréhender les potentialités et les évolutions du numérique dans l’enseignement, François Guité les observe aussi au Québec. Là bas, ce n’est pas l’ENT qui est largement diffusé dans une approche traditionnelle de l’éducation mais les tableaux interactifs. Les programmes chargés avec de nombreuses évaluation laissent peu de temps aux enseignants pour lire sur la pédagogie, s’informer sur les potentialités du numérique, échanger avec leurs pairs et se former.

 

Pourtant, au Québec comme en France, il y a urgence à faire évoluer nos pratiques et nos postures face aux élèves. Le numérique implique chez l’élève une mise en doute des savoirs dispensés. L’enseignant doit admettre l’expression de ce doute, exploiter la dynamique du questionnement et de la recherche de réponses dans sa pédagogie en classe. Cet effet du numérique, François Guité l’a éprouvé et adopté. Après deux ans passés dans le secteur de la recherche, il est revenu dans sa classe, étonné par l’évolution des pratiques numériques et mobiles de ses élèves. 50% possédaient un Ipod contre 15% deux ans auparavant. Les utilisateurs de Facebook étaient passés de 10 à 95% .Sa classe avait changé ; le numérique était entré dans le quotidien des élèves. François aurait pu continuer comme si rien ne s’était passé en deux ans. Il a choisi au contraire de faire des mobiles des outils d’apprentissage en classe … aussi. Il lui a fallu passer outre les verrous du réseau et les interdits du règlement intérieur mais ce n’était pas le plus ardu. Le plus difficile a été de se départir des reflexes ancrés d’un enseignant dans une salle de classe traditionnelle. Plusieurs fois, en voyant ses élèves penchés sur leur mobile pendant ses cours, il a douté, se demandant si réellement ils travaillaient, réalisaient l’activité demandée. Alors un jour n’y tenant plus, il est allé vérifier de visu… l’élève travaillait. « J’ai eu l’impression de trahir la confiance de l’élève, de me trahir moi-même ».

Les pratiques ouvertes en utilisant le mobile en classe, François ne pourrait sans doute pas les développer au sein d’un Ent. Ayant goûté cette ouverture, il nous regarde étonné débattre sur l’ENT, objet pour lui obsolète de naissance.

 

Le blog de François Guité

http://www.francoisguite.com/

 

L'ent premier degré : cet objet magique en construction

Le thème de l’ent au premier degré a le mérite d’entrainer des questions de fond : gouvernance, formation, implication des différents acteurs de l’éducation dans et hors l’école. La première table ronde de Ludovia associant des représentants du Ministère de l’Education Nationale, des collectivités territoriales et des enseignants s’est fait l’écho de ce profond questionnement, peu dans les interventions mais surtout dans les tweets rédigés dans l’assistance et ailleurs.

Les ent se déploient dans le secondaire mais peu dans le primaire. Echelon manquant dans le continuum souhaité par les institutionnels, l’outillage du primaire devient une priorité. La faiblesse de ce déploiement tient en grande partie à deux éléments : le morcellement territorial et l’absence de correspondant Tice au sein des écoles.

Jean-Loup Burtin de la DGESCO rappelle que le contexte est favorable. Le plan de développement des usages du numérique fait une place importante au premier degré. Un groupe national de travail a été mis en place pour observer les expérimentations se déroulant dans plusieurs académies. L’expérimentation inclut un volet territorial. Le choix du juste périmètre est déterminant pour la réussite du déploiement avec un lien direct avec la collectivité territoriale correspondant. Secteur de collège, intercommunalité, département : quel territoire choisir pour favoriser à la fois une mutualisation, un accompagnement et une passerelle avec le collège. La continuité avec le second degré apparait aussi comme une nécessité. L’ent du primaire doit il être différent ou calquer les fonctionnalités du secondaire ? Le public interrogé par voie de boîtier électronique répond non à 60%.

Plusieurs solutions techniques ont été retenues pour l’experimentation. Parmi elles, Itop et Icognito. Leurs représentants témoignent lors de la table ronde sur les premiers enseignements à exploiter. La gestion des usagers constitue un frein pour la mise en place de l’ent. Sans personnel dédié entièrement aux Tice dans l’école, la saisie peut sembler fastidieuse. Pour le représentant d’Itop, l’échelon territorial le plus adapté est celui de l’intercommunalité, du syndicat mixte. Les projets isolés sont souvent portés par un projet pédagogique fort mais posent le problème du suivi et de la maintenance. Pour qu’il fonctionne, l’ent doit s’inscrire dans une stratégie plus vaste incluant formation et accompagnement des équipes.

Christophe Portenart pour d’Orléans et Anne-Marie Gros pour Toulouse ont présenté les expérimentations menées dans leurs académies. A Toulouse, la mise en œuvre débutera à la rentrée dans 48 écoles intégrant 5491 élèves. Les écoles sont souvent déjà intégrées dans le plan écoles numériques rurales. Les collectivités locales ont été associées à la réflexion préalable. Des présentations d’ent leur ont été proposées pour concrétiser un concept auquel elles ne sont pas toujours familiarisées. Trois solutions différentes ont été choisies assorties d’un système d’authentification et de filtrage pour protéger l’accès des élèves mineurs.

Pour Christophe Portenart, il est difficile de se détacher du second degré car les ent sont en passe d’être généralisés dans les collèges et les lycées. Dans le premier degré, l’utilisation de l’ent est encore plutôt artisanale, peu accompagnée. Les profils des personnels d’encadrement sont variables, le type de gouvernance aussi. Le rôle des collectivités territoriales,  les statuts de l’école et de la formation, la formation sont quelques uns des points critiques relevés.

 

L’ent dans le primaire concerne aussi la maternelle. Teddy Garcia utilise l’ent avec ses élèves pour partager des documents, mettre en ligne les activités réalisées et ainsi informer les parents, correspondre avec une classe espagnole. Dans cette utilisation, l’ent est un outil d’ouverture à la fois vers les parents et pour les enfants. Le son et l’image sont utilisés pour présenter les travaux avec l’enregistrement de chansons par exemple. Les parents peuvent suivre ce que leurs enfants font, à condition d’avoir un ordinateur connecté à la maison. La visio conférence sert de support aux échanges avec la classe espagnole. Autre usage : l’ent permet de partager avec un IME pour un enfant en inclusion scolaire.

 

L’ent favorise une ouverture de l’école sur son environnement. En Midi-Pyrénées ; les animateurs de cyberbases accompagnent les enseignants pour la mise en place de projets incluant les Tice notamment les Ent. L’enseignant peut venir à la cyberbase avec ses élèves et l’animateur peut intervenir dans la classe. Laurence Barthe, de l’Ardes, agence chargée d’impulser les suages du numérique en Midi-Pyrénées, ouvre dans son intervention les portes de l’ent. Elle constate que les tic sont déjà très présentes dans les écoles de sa région. Plus de la moitié des cyberbases travaillent en partenariat avec elles sur des projets ponctuels ou sur la durée et sur des thèmes liés par exemple à l’environnement ou à la citoyenneté. Pour elle, la communauté éducative, incluant les parents est prête mais ressent un besoin d’accompagnement et de maturation.

 

Mme Luciani-Boyer, élue de Saint Maur des Fossés et représentante de l’Association des Maires de France exprime les besoins des collectivités territoriales qui vont au-delà des murs de l’école. Inclure les parents dans la réflexion revêt une importance particulière en favorisant leur implication citoyenne. Un parent impliqué dans l’école est souvent par la suite un parent actif dans la vie de sa ville. La question économique est aussi soulevée : l’équipement est à la charge de la commune. Faire de l’ent un espace numérique de partage et d’information qui partirait de l’école pour essaimer vers le périscolaire et au-delà offrirait à cet investissement un retour plus large. L’élue appelle aussi à la mutualisation des pratiques, des outils, des expérimentations. Autant d’ent que de communes ? Le résultat de l’équation parait absurde au regard des énergies et des financements qu’il induit. Au-delà du raisonnement économique, c’est une véritable co-construction qui est souhaitée, co-construction associant tous les acteurs de l’école et même de l’éducation.

 

Les usages et les attendus de l’ent dépassent l’ent, d’autres outils pourraient les porter, plus ouverts, plus faciles à utiliser, réseaux sociaux, portails et autres outils de communication et de mutualisation. L’ent est devenu un objet magique recueillant des besoins de niveaux différents : changer la pédagogie, développer l’usage des Tice, partager, dialoguer, ouvrir l’école. La table ronde montre un chose : on passe par l'outil pour mettre en place l'école du XXI e siècle, un outil sous forme de panacée universelle, à défaut de réformer les structures.

Le nomadisme n'est pas une errance

La visite de Ludovia commence par une incursion au colloque scientifique. Nomadisme, mobilité, de quoi parle t’on et pour quelles réalités ? Thierry Gobert, enseignant chercheur en info com nous propose des pistes pour explorer les mots, les notions et les représentations. Les propos flirtent parfois avec une complexité difficilement accessible pour qui n’en possède pas la clé. Mais dans l’ensemble, ce cadrage d’entrée est limpide et offre à Ludovia une mise en bouche opportune.

Mobilité, nomadisme, le marketing les vante et les utilisateurs les nient. Mobilité, nomadisme, les représentations parfois négatives ou restrictives de ces mots empêchent qu’on les prononce volontiers. Le mot mobilité s’apparente parfois à la précarité, le nomadisme semble dévolu aux gens du voyage. On ne se dit ni mobile ; ni nomade mais les pratiques se rapprochent du nomadisme.

Avoir un mobile ne suffit pas pour se sentir mobile. Thierry Gobert l’a constaté lors d’observations menées auprès d’étudiants à l’IUT de Digne les Bains. Dans cet établissement situé en zone rurale, les étudiants pensent leurs besoins en réseaux et en interopérabilité supérieurs à ceux des étudiants citadins. Or les usages ne sont pas différents. « On est jeune donc on est mobile même si on ne bouge pas ». « on est scotché au téléphone, c’est le téléphone qui est mobile ». Pour ces étudiants, être mobile signifie ne pas être engagé, se transporter, ne pas être fixé professionnellement.

 

Thierry Gobert rappelle que le nomadisme n’est pas une errance, il correspond à une pérégrination pour trouver des ressources. Le nomadisme est communautaire alors que la mobilité est individuelle. La communauté est propriétaire d’un espace avec des règles, ceux qui restent les construisent, celui qui passe les enrichit.  En version numérique, la pérégrination subsiste dans les communautés. La notion de partage est prédominante et la référence à une histoire commune que l’on créé ou on recrée est fréquente. La communauté est le petit dedans qui s’oppose au grand dehors. Pour Thierry Gobert, on ne trouve pas de communauté mobile car la mobilité n’inclut pas le partage. Dans les observations qu’il a menées auprès des étudiants de Digne, cet aspect communautaire ressort. Le web social est circonscrit à la sphère personnelle. Il est communautaire, Internet sociétal.

Alors mobile ou nomade ? Nomade sous les habits de mobile sans doute. La différence de notion peut sembler subtile. On en retient surtout l’aspect communautaire. Dans l’apprentissage mobile, la construction d’une communauté avec ses règles, son identité, le partage des données et des savoirs qu’elle sous-tend semble nécessaire. Alors nous retiendrons ce terme de nomade en empruntant à Thierry Gobert le mot de la fin : « On domestique le terme nomadisme en utilisant la notion de mobilité. »

 

En attendant la navette

Pour arriver à Ludovia, le chemin est parfois escarpé : prendre l’avion ou le train puis attraper la navette , sillonner les routes pour grimper à Ax les Thermes. On vient des quatre coins de France, du Québec et des Pyrénées aussi. Ludovia se mérite et lorsqu’enfin le casino est à portée de pieds, on savoure cette oasis où l’odeur de souffre est bonne pour la santé. Les débuts de Ludovia se feront en retard, la navette se fait attendre. L’impatience n’est pas de mise. On profite du vent léger et du soleil, du bruit de l’eau et de la fontaine. On salue les têtes connues, ceux qui étaient là l’année dernière et ceux que l’on a vus dans d’autres lieux, d’autres rencontres, d’autres colloques où l’école s’imagine ancrée dans son époque, le regard tourné vers l’avenir.

La mobilité ne parait jamais plus nécessaire que lorsque l’endroit parait à l’écart, des grands axes, des lieux centraux de décision, de la capitale. Les outils, qu’ils transitent par l’Ent, se meuvent en empruntant les smartphones ou s’affichent sur des tablettes, quittent le rayon des gadgets pour devenir des moyens nécessaires pour une égalité de l’accès aux savoirs, à l’école ou ailleurs. Ludovia s’intéressera aux usages et on piétine un peu en attendant que les débats s’ouvrent et que les échanges passent de la stricte convivialité à une certaine densité.

Ludovia 2011 accueille la mobilité

Ludovia s’impose d’année en année comme le rendez vous jsute avant la rentrée du monde de l’éducation, enfin celui qui s’intéresse aux usages des Tice. Industriels, scientifiques, institutionnels, enseignants débattront, réfléchiront cette année autour du thème de la mobilité. Blogeurs et twitophiles relaieront au-delà d’Ax les Thermes les propos et les faits glanés au fil des tables rondes, des discussions impromptues et des Bar Camps nocturnes. Des scientifiques ouvriront le débat au-delà des sentiers éducatifs lors d’un colloque qui visitera le jeu, le design, les usages éducatifs et les usages de tous les jours.  Des industriels présenteront leurs produits dans la galerie du casino transformée en galerie marchande hi-tech. Représentants de l’Education Nationale et des collectivités locales exposeront leurs politiques.

 

Pendant quatre jours, le casino d’Ax les Thermes devient le centre névralgique du développement des usages, l’endroit où il faut être avant de reprendre le chemin de l’école. Chaque année, le foisonnement des idées et des échanges fait mouche et s’émousse aussi un peu tant les perspectives alléchantes entre aperçues semblent inaccessibles dans le contexte rabougri d’une éducation dont les moyens se réduisent. Cette année, la mobilité est à l’honneur. Les scientifiques  l’observent, les industriels l’outillent à qui mieux mieux, des enseignants s’en emparent pour faire évoluer leurs pratiques. Du côté des institutionnels, le tableau est un peu flou mais des initiatives existent pour équiper et accompagner les usages.

Une université d’été ne sera pas de trop pour faire du lien et donner un éclairage à l’écheveau des velléités de mobilité.

Tice :  le développement passe par la recherche appliquée

Avant l'ouverture de Ludovia, nous avons rencontré Patrick Mpondo-Dicka, maître de conférences au Laboratoire de Recherche en Audiovisuel (LARA) de l’Université de Toulouse Le Mirail et vice-président de culture numérique, l’association organisatrice du colloque scientifique de Ludovia. Nous avions remarqué lors de l’édition précédente son rôle de passeur entre deux univers complémentaires mais dont les entrelacs sont trop pâles dans le domaine des Tice : le monde de la recherche et celui de la pratique.

Ludovia : un terrain de rencontres

Organisateur du colloque scientifique, Patrick Mpondo-Dicka est sémiologue. Il s’intéresse au langage et à toutes les formes d’expression du sens spécialement dans le domaine de l’audiovisuel, du multimédia, du numérique. Son parcours professionnel nourri d’éducation populaire, de pionnicat et d’études universitaires lui offre un point de vue ouvert et une posture privilégiée pour favoriser le dialogue entre des acteurs différents autour des technologies de l’information et de leurs usages. Ce parcours dessine à lui seul une des ambitions de Ludovia : effacer les frontières dans un milieu de l’éducation trop cloisonnée.

L’édition de Ludovia qui s’ouvre aujourd’hui à Ax les Thermes en Ariège traitera cette année le thème « mobilité et ouverture », un thème à priori propice aux échanges. Comme à l’accoutumée le croisement des regards parfois distants, de temps à autres éloignés, des enseignants, des chercheurs, des industriels et des institutionnels seront rassemblés dans un même lieu, autour d’un même objet.

Ludovia favorise la rencontre des acteurs, le colloque scientifique également. Pour les enseignants chercheurs, il est difficile aussi de trouver des lieux et des temps où croiser les approches. La pression de la publication charge les agendas et rendent les rencontres de ce type, chronophages ; difficiles. Ludovia constitue un rendez-vous régulier à partir duquel un pool de fidèles se constitue, qui se retrouve lors d’autres rencontres plus ponctuelles.

Du côté du colloque

Les scientifiques présents viennent de différentes disciplines. Les chercheurs des sciences de l’ingénieur sont de moins en moins présents, le champ proposé par le colloque s’ouvrant de plus en plus vers la dimension sociétale en s’intéressant à l’intégration sociale des technologies. Les sciences de l’information et de la communication, les disciplines artistiques, les sciences du langage, surtout la sémiotique, sont en revanche de plus en plus présentes. La question des nouvelles technologies reste en recherche assez marginale dans les différentes disciplines qu’elle investit. L’équivalent des « media studies » américain n’existe pas en France où l’entrée disciplinaire est encore très marquée. Les restrictions budgétaires tendent à accentuer un mouvement de repli vers le cœur des disciplines laissant peu de place à une approche transversale

Le programme du colloque scientifique a été rédigé de façon communautaire avec les scientifiques présents au colloque précédent. L’éclairage scientifique permet de s’éloigner de l’usage émotionnel du terme « mobilité » pour donner une profondeur au concept. Les différents usages de la mobilité seront ensuite déclinés : jeux, logiciels éducatifs, géolocalisation, réseaux sociaux, pratiques culturelles, évolutions du webdesign. La partie « usages pédagogiques » sera abordée mais la réflexion sur la mobilité ne peut se limiter à cette entrée, riche des apports de scientifiques issus de différents horizons. En observant les pratiques des enseignants tout en ouvrant le champ de la recherche aux usages du quotidien, les scientifiques voient se dessiner des usages pédagogiques sur un avenir un moyen terme.. Deux points de vue sont proposés : celui du récepteur complètement centré sur les usages et celui du monde de la production où il s’agit d’analyser les applications selon le dispositif.

Du côté des enseignants

Pour Patrick Mpondo Dicka, la rencontre entre les acteurs n’est pas si aisée. Certes, le thème est commun entre l’Université d’Eté et le colloque scientifique mais la disponibilité des uns et des autres est relative. Les institutionnels ont un programme dense avec un temps compté, ils ne fréquentent guère le colloque scientifique. Les industriels, rivés à leur stand, manifestent cependant leur intérêt, en lien avec la nécessaire recherche et développement. Seuls les enseignants naviguent aisément d’un monde à l’autre. Certains viennent assister à des présentations du colloque scientifique. Ce sont les tables rondes qui constituent le véritable carrefour des points de vue en conviant des représentants des différents acteurs de l’école : enseignants, chercheurs, institutionnels et industriels. Et puis, les temps conviviaux favorisés par le lieu permettent d’échanger, modulant ainsi le constat d’un croisement des regards souhaitable mais difficile. « L’idée est que c’est par la bande, la vie du colloque, le Off que se font les grands échanges ».

Patrick Mpondo-Dicka regrette que les enseignants ne soient pas plus nombreux à Ludovia pour tisser des liens plus forts dans une perspective de recherche appliquée. Inciter les enseignants à venir passe par une meilleure exposition mais surtout par une solution institutionnelle en considérant l’Université d’Eté comme une formation continue par exemple. Cette solution est facile à mettre en œuvre à condition que la formation continue des enseignants soit une priorité. L’état se désengage, les besoins demeurent. Les formations sont souvent utilitaires, ciblent les usages immédiats. Pourtant, pour que les usages se développent, il est préférable de ne pas être tributaire de l’outil et développer un état d’esprit favorable plutôt que de viser l’utilité immédiate. La rencontre entre chercheurs et praticiens n’a jamais été aussi souhaitable pour outiller les pratiques par une recherche appliquée développée. L’impulsion politique est nécessaire comme elle est pour investir fortement la dimension technologique des usages. En France, on est très loin des programmes américains, coréens voire turcs qui équipent les écoles en tablettes numériques.

Ludovia s’affiche comme une parenthèse, un temps suspendu entre vacances et retour dans les établissements où la réflexion et l’échange sont favorisés par l’atmosphère conviviale d’un séjour pyrénéen. Pour Patrick Mpondo-Dicka la parenthèse s’ouvrira vers des horizons nouveaux, ceux des sciences de l’information et de la communication. Les Tice peinent à trouver leur place de l’école à l’Université. Patrick Mpondo-Dicka continue à leur offrir dans son parcours un éclairage multiple qui mêle la pratique d’enseignant et une approche scientifique transversale.

Rencontre à Ludovia 2010

http://www.cafepedagogique.net/communautes/Ludovia2010/Lists/Billets/Post.aspx?ID=18