La géographie c'est la vie avec le concours CartoGraphie ton Quartier
A quoi ça sert la géographie ? Evidemment à comprendre le monde dans lequel on évolue. La géographie ça sert à comprendre une partie de sa vie. Le concours CartoGraphie ton Quartier organisé par Sophie Gaujal, avec le soutien de l'IGN et de la Cité de l'Architecture, renoue avec la géographie vécue pour faire conceptualiser par les élèves leur environnement sous une forme populaire et sensible : la carte postale. Une belle idée partagée par une centaine de classes. Le palmarès du concours est publié ce matin.
Professeure d'histoire géographie au lycée J Prévert de Boulogne Billancourt et aussi professeure relais à la Cité de l'architecture, Sophie Gaujal veut amener les élèves à "articuler une approche spontanée de la géographie avec les concepts que l'on apprend en classe". Et pour cela elle s'appuie sur les concepts de la géographie vécue et elle leur propose une approche artistique qui est aussi une invitation à la pluridisciplinarité. C'est aussi une démarche citoyenne car les élèves pensent leur quartier et son évolution. Voilà bien des raisons pour le Café pédagogique de soutenir cette initiative !
Qu'est-ce qui ressort des cartes postales envoyées par les classes ?
Je pense qu'on peut distinguer 5 postures différentes adoptées par les classes. Il y a d'abord les citoyens qui s'adressent à un représentant des pouvoirs publics (maire, ministre) et l'interpellent sur un changement ou un dysfonctionnement : par exemple, sur la carte du lycée professionnel René Cassin à Metz (sous la direction de leur professeur de lettres histoires Wanda Lopez) les élèves s'adressent à M Cazeneuve "[...] est-ce que vous pouvez casser les immeubles et construire des villas ? Et demander à la police d'être gentille avec nous?". Cette carte a beaucoup plu au jury même si elle n'a pas été sélectionnée. Au recto, on voit l'immeuble de Chaima (l'auteur de la carte) et en opposition la mairie ("mama ! La mairie : un chateau !"), le lycée entre les deux.
Il peut aussi s'agir de candidats à la citoyenneté française, comme cette carte du lycée Ribot à Saint Omer (sous la direction de Mme Chalouni, hist geo et Mme Damiens documentaliste) dans laquelle c'est un immigré turc qui s'adresse à la ville de Saint Omer, décrivant son arrivée dans la ville et concluant ainsi "Saint-Omer, es-tu prête à accueillir ma famille aussi ?". Au recto, toute une sociologie urbaine apparait sur la carte avec les rues riches, pauvres, mixtes, le trajet d'Omer ... A noter aussi la carte de Freiburg, qui nous parle d'amitié franco-allemande.
Il y a les guides touristiques qui font découvrir leur ville : "elle est trop belle ma ville" disent les élèves de la classe UPE2A (allophone) de Dammarie les Lys. On retrouve cette posture dans la carte qui a gagné le prix des primaires à Plascassier/ Grasse ou encore dans celle de Brest (collège) : "bienvenue dans un quartier d'explorateurs situé au bout du monde. Embarquement immédiat."
Il y a les usagers qui présentent leur usage de la ville, les espaces récréatifs. : à Versailles (Fabrice Huard) "[...] la gare est utile pour Emilie qui prend le train pour se rendre au lycée ainsi que pour rentrer chez elle le soir. Puis à droite se trouve le restaurant grec où Ines va de temps en temps. Maintenant dans les alentours de notre lycée se trouvent l'arrêt du bus 171 qui nous est à tous utile [...]". Sur la carte sont représentés ces différents lieux de vie : le bus, la gare, le restaurant grec ...". A Sceaux la classe d'Hélène Simon Lorière procède de même, distinguant le coin pique nique, le coin tranquille, le coin balançoire, la maison d'Anaëlle ...
Il y a les élèves géographes qui s'expriment de manière distanciée. Je pense à la carte de la classe de ma collègue Elise Capdevila à Boulogne Billancourt : le texte est très simple, "marcel semba (orthographe d'origine) c'est la base, il y a tout ce que tu veux juste à côté. T'as envie d'aller dans Paris ? T'y es en 10 mn c'esr nrv*" : n'est-ce pas là la description d'un hub ? Et au recto la carte montre la place avec le rayonnement des rues, le métro ... On se croirait place de l'étoile. On peut aussi ranger dans cette catégorie la carte des élèves d'Argenteuil (sous la direction de Mathieu Tourneur) (6ème) : "nous vous présentons cette carte car nous voulons vous présenter les bon côtés et les mauvais côtés de notre quartier ". Sur la carte on voit apparaître des grands axes, de différentes natures (voies ferrées, routes) qui viennent encercler la cité et la couper en deux. On voit aussi la mixité fonctionnelle, avec les logements et les différents commerces en bas, le terrain de foot. Pas beaucoup de mixité sociale en revanche ... Ca fait contraste avec la carte qu'ont fait mes élèves à Boulogne Billancourt, où les élèves décrivent une cité beaucoup plus accueillante. Cela a fait d'ailleurs l'objet d'un travail croisé de comparaison entre les deux classes.
Enfin il y a les poètes : ce sont les classes qui font un pas de côté et proposent une approche poétique de leur territoire dans leur texte ("je ferme les yeux et j'imagine une colline de bonbons ..." à Lognes, 6èmeA) ou qui invitent le lecteur à se projeter dans l'imaginaire (Lognes 6ème F : "je vois Lognes comme une triste ville mais si on y rajoute de la couleur elle devient joyeuse" ... au recto, la ville est représentée comme un île ). Il y a aussi ceux qui se projettent dans trente ans et racontent l'histoire de leur quartier, à Créteil.
Sinon dans la réalisation de la carte sensible elle-même, il y a eu plusieurs types de réponse :
- celles qui s'affranchissent de la topographie et synthétisent leur territoire sous une forme circulaire : par exemple à Reims, celle qui me fait penser au petit Prince ; à Saint Gratien ; à Saint Gournay en Bray.
- celles qui respectent la topographie mais privilégient la couleur : comme par exemple Créteil, Lognes , la Désirade
- D'autres prennent grand soin de représenter la topographie comme par exemple celle-là à Périgueux ou à Epernay Le jeu se fait alors sur l’alternance des points de vue, vue en élévation, soin apporté à la nomenclature, mixage de photos et de dessins.
- et puis enfin celles qui transgressent le format A5, en proposant plusieurs faces (Armentières), ou même de la 3d : le Vésinet, Saint Christophe du Double
En quoi est-ce de la géographie ?
La carte postale est avant tout une photographie, à un instant t, d'un processus qui a occupé une partie de l'année scolaire, et qui se poursuivra à l'issue de la réalisation. Donc pour pouvoir appréhender les apprentissages en jeu, il faut appréhender le processus dans son ensemble.
On peut donc dire que c'est de la géographie parce que la fabrique de la carte inclut généralement une sortie sur le terrain et c'est une réflexion sur la manière dont se construit un des outils principaux de la géographie, la carte. Une réflexion par la pratique, que viendra prolonger, à plus ou moins court terme, une réflexion épistémologique sur les cartes qui inaugure la classe de terminale. Ici les élèves sont invités à construire leur propre carte, et le discours qui va avec, puis à découvrir les propositions des autres élèves, d'autres discours ...
Ca articule une approche par la géographie spontanée et la géographie raisonnée, à un niveau d'échelle qui est peu envisagé dans les programmes, en dehors du chapitre sur mon espace proche en 6ème (qui passe au primaire l'année prochaine) et les territoires de proximité en 1ère. De manière spiralaire, à la manière du modèle d'apprentissage décrit par Jérôme Bruner, c'est une série de va et vient entre leur connaissance de leur territoire et les concepts de la géographie qui leur est proposée.
Qu'est-ce que ça apporte aux élèves ?
Outre l'apport de connaissances aux élèves sur leur territoire, ce concours a pour ambition de développer des manières de travailler collaboratives : entre les élèves (une seule production par classe), entre les élèves et l'enseignant, mais aussi entre les classes et entre les enseignants. C'est pourquoi un carnet de bord a été créé, auquel tous les enseignants ont été invités à participer. 24 enseignants ont répondu à l'appel, permettant d'en savoir davantage sur la manière de travailler de 34 classes (sur 87 en tout). On y trouve des billets nous renseignant sur la mise en oeuvre du concours séance après séance, et d'autres proposant un bilan à l'issue du projet.
Et bien sûr tous les élèves ne partent pas du même point : parmi les participants au concours il y avait plusieurs classes allophones, ou en décrochage scolaire, comme la MLDS d'Epernay (Fabienne Dherse) qui a contribué séance après séance à notre carnet de bord.
Propos recueillis par François Jarraud
Le palmarès
Primaire la classe de CP CE1 de l'école Macarry à Pascassier, sous la direction de Catherine Lardaud
Collège la classe de 6ème 3 du collège de Sèvres à Sèvres (en relief) sous la direction de Delphine Sallez
Lycée la classe de 2de 11 du lycée J.Prévert à Boulogne Billancourt sous la direction d'Elisa Capdevila
Le coup de coeur du jury : 6ème 4, collège Edmond Rostand, sous la direction de Bertand Cassez, Armentières.
Des classes non lauréates mais ayant reçu une mention spéciale du jury :
- en primaire :
La classe de CM1-CM2 au collège Jean Moulin à Echirolles sous la direction de Delphine Van Beek
La classe de CE1-CE2 à Saint Christophe du Double sous la direction de Mélina Valade.
- en collège
La classe de 8B (4ème) du lycée franco-allemand de Freiburg en Allemagne sous la direction de leur professeur d'histoire géographie Catherine Vogel
La classe de 6ème D du collège Le Segrais à Lognes sous la direction de leur professeur d'arts plastiques Aurélie Monjardé, avec l'aide du professeur d'histoire géographie David Robin.
- en lycée
La classe de 2de8 du lycée Ribot à Saint Omer sous la direction de leur professeur d'histoire géographie Mme Chalouni, avec l'aide de la documentaliste Mme Damiens
La classe MLDS (Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire) du lycée Stéphane Hessel à Epernay, sous la direction de leur professeur d'histoire-géographie Fabienne Dherse.
Des cartes sensibles pour penser son espace
Par fjarraud , le vendredi 01 avril 2016.