L’abondance de parution en cette fin d’année laisse à penser que nous sommes à un moment charnière pour ce qui concerne les TIC aux sens large. Téléphone, télévision, Internet et ordinateur sont au coeur de débats et de travaux de recherche.
Pour ce qui est de la télévision, les spécialistes de la psychologie se succèdent pour faire part de leurs observations. Stéphane Clerget, dans « Ils n’ont d’yeux que pour elle, les enfants et la télé », (Fayard, Paris 2002), nous rappelle la présence de la télévision comme incontournable tout en nous montrant que c’est aussi l’occasion de réfléchir à ce que doit être une véritable éducation télévisuelle. « L’école doit tenir compte de cette présence dans l’environnement de l’enfant et adapter en conséquence le contenu et la forme de ses enseignements »(p.215) Ce propos qui mettrait en colère certains auteurs comme Liliane Lurçat doit être ici entendu comme étant un appel à la reconnaissance de l’imaginaire dans la construction des connaissances et de l’identité du jeune (les deux étant indissociables). En fait cet ouvrage s’inscrit dans cette série de travaux qui nous montrent enfin qui sont les enfants de la télévision, et en particulier les premiers enfants des enfants de la télévision. Car les jeunes enfants d’aujourd’hui ont été baignés dans leur enfance d’une culture qu’ils partagent avec leurs parents autour du petit écran.
En écrivant « Les bienfaits des images », Serge Tisseron (Odile Jacob, Paris 2002) dont le travail est désormais bien connu prend à contrepieds les discours catastrophistes ambiants. En appelant à l’usage social des images, l’auteur invite à la désacralisation de l’image télévisuelle. Il nous propose de réfléchir à notre tendance à demander des cadres en écrivant : « C’est pourquoi l’attribution de limites d’âges à certains spectacles ne doit pas être pensée comme une manière de ‘protéger la jeunesse’, mais comme une façon d’inciter les parents à réinvestire leur rôle éducatif ». Serge Tisseron nous invite ici à retravailler les notions d’interdits et à repenser la place de « parent » dans une société qui pourrait souvent avoir envie de substituer des modèles tous faits à une parentalité personnalisée et assumée. La fascination qu’exercent les « images » semble devoir être analysée afin de permettre à chacun de mieux comprendre ce qu’elles sont et leur place réelle. Or nous manquons tous à ce sujet de capacité à dépasser l’impact émotionnelle ou le discours militant pour permettre une véritable parole autour de l’image.
Au salon de l’éducation, sur le stand de la ligue de l’enseignement on pouvait se procurer les ouvrages de Divina Frau-Meigs et Sophie Jehel. Celui intitulé « Jeunes, Médias, Violences » qui est le rapport du CIEM (Collectif Interassociatif, Enfant et Média) paru chez Economica (Paris 2002). Cet ouvrage qui se situe dans le champ du politique nous rappelle avant tout que la télévision , comme tous les médias, ne doit pas être abandonnée à ses seuls concepteurs, mais que les politiques et les associations doivent avoir leur mot à dire. on remarquera en particulier un appel à une véritable « éducation aux médias ». Au travers de cet ouvrage on s’aperçoit que les médias ne se déploient pas dans la société sans des regards critiques et des travaux et initiatives réels. Encore insuffisants ces travaux sont appelés au travers du CIEM à un plus grand développement. On regrettera peut-être une trop grande confiance au monde du politique et des associations dans cet ouvrage. En effet cette vision, si on la met en perspective des travaux parus récemment a, semble-t-il, largement montré ses limites au cours des vingt dernières années. Indispensables, mais limitées, les pistes ouvert par cet ouvrage sont un bon moyen de développer une vraie réflexion dans les sphères auquel il s’adresse.
Le téléphone dont on commence à voir arriver la deuxième « véritable » génération avec les initiatives multimédia naissantes (nouveautés apparues de cet automne) est aussi un objet d’étude. Brigite Cadéac et Didier Lauru publient « Génération téléphone, les adolescents et la parole » (Albin Michel, Paris 2002). Travail intéressant que celui-ci fondé sur les numéros verts téléphoniques en direction des ados. En effet en nous montrant la frontière qui sépare le tout humain du face à face au presqu’humain du téléphone les auteurs nous invitent à prendre la mesure de la dimension sociale et identitaire du téléphone au sein d’une société dans laquelles les adolescents peinent d’autant plus à s’intégrer qu’on leur donne le droit désormais d’y réfléchir. (il était probablement plus difficile de se poser ce genre de question quand à dix ans on devait aller travailler pour rapporter de quoi vivre). Face donc à ce qui peut être une forme de luxe de nos sociétés, les ados se sont emparés du téléphone. Pour mieux donner parole à ce qu’ils ne peuvent physiquement dire, le téléphone (on pourrait aussi parler du « chat » ou des éSMS » sur Internet par certains aspects) est un outil précieux. Les « écoutants » de ces numéros verts se rendent compte que la parole que la parole de l’adolescent a réellement besoin de tous ces canaux pour exister. Loin de rejeter cette parole et de ses vecteurs techniques, ils nous invitent au contraire à ne pas oublier que cette parole est le plus souvent un succédané à une autre parole qui ne peut se dire dans l’espace de la rencontre humaine réelle. En tant que signe, la prise de parole au téléphone doit nous alerter sur la valeur de nos paroles d’adultes dans le face à face avec les jeunes.
La FOAD et plus généralement l’irruption des TIC dans l’enseignement supérieur font couler de l’encre. Outre l’intéressant travail de France Henri (actuellement en france pour une série de conférences) et Karin Lundgren-Cayrol, « L’apprentissage collaboratif à distance » (Presses de l’université du Québec, Québec 2002) dont nous avons déjà parlé ici, il faut signaler trois autres ouvrages parus ces derniers jours sur lesquels nous reviendrons ultérieurement.
Jacques Perriault publie « L’accès au savoir en ligne » (Odile Jacob, Paris 2002). Essayant de nous éclairer sur cette notion et sur se réalité, l’auteur nous invite surtout à la réflexion. En effet, il semble bien que dans ce domaine, les choses soient beaucoup plus incertaines que certains acteurs enthousiastes peuvent l’énoncer. Outre les modèles économiques, ce sont les modèles politiques qui sont à reconsidérer. Paradoxalement, travailler la question du savoir en ligne c’est parler de la place de la médiation humaine dans la société et en particulier dans les apprentissages. Passer de la logique des tuyaux à la logique des dispositifs, c’est ce à quoi nous invite J. Perriault. Certes emprunt de scepticisme cet ouvrage invite au réalisme. Balayant très large, il est surtout une analyse globale, parfois un peu loin de questions de terrain auxquelles sont confrontés les acteurs.
Sous la direction de Daniel Peraya et de Bernadette Charlier, l’ouvrage intitulé « Technologie et innovation en pédagogie, Dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur » (De Boeck Bruxelles 2003) nous fait entrer dans la façon dont l’enseignement supérieur est en train d’opérer une mutation importante. A partir de l’analyse du projet Learn-Nett les contributeurs à cet ouvrage nous invite à l’opposé du précédent de Jacques Perriault, à une approche concrète et systémique de l’ensemble des dimensions d’un dispositif. Le dispositif présenté est celui d’une formation d’enseignants aux TIC. La démarche adoptée se rapproche très fortement de la recherche action. Ce qui fait la force de ce travail c’est l’aller retour qu’il propose entre la théorie et la pratique. Ce qui en fait peut-être une faiblesse, c’est le fait que les TIC soit encore une fois outils et objets de la même situation. En effet, c’est souvent le travers de la recherche dans un champ de ne pas réussir à s’en éloigner suffisamment pour en dégager des modèles qui peuvent être plus généralisable. La communauté des TIC en éducation souffre largement de ce travers qui a souvent amené à mettre en question ses propositions à l’ensemble de la communauté de l’enseignement et de l’éducation.
Le travail que nous propose à lire Viviane Glickman « Des cours par correspondace au « e-learning » ,(Puf Paris 2002) est un panorama des formations ouvertes et à distance. Cet ouvrage présente l’intérêt de « faire le tour de la question ». Outil précieux pour se situer, il permettra à ceux qui veulent engager une action de bénéficier d’éléments d’observation, de réflexion et d’analyse. La conclusion de cet ouvrage doit cependant nous inciter à une réflexion plus globale sur les soubassements de ces FOAD et plus généralement de ces techologies éducatives qui ont aussi pour particularité de se situer dans une sphère d’inégalités sociales qu’elles peuvent aussi bien encourager que combattre. Or pour l’instant, les premiers travaux ne permettent pas d’envisager quoique ce soit sur ce plan là. En effet encore trop marginale et trop souvent médiatisée avant même d’avoir accompli la moindre action, la formation ouverte et à distance n’a pas encore suffisamment de spécificités pour pouvoir être analysée autrement qu’en tenant compte de sa jeunesse et de l’enthousiasme de ses acteurs. Il sera probablement nécessaire de passer cette première phase dans laquelle il semble que l’université soit en train de découvrir les vertus du questionnement pédagogique renouvelé pour pouvoir mesurer la valeur réelle de la FOAD qui reste encore extrèmement marginale dans notre société française.
Enfin, l’ouvrage édité sous la direction de GL Baron et E Bruillard, « Les technologies en éducation, Perspectives de recherche et questions vives » (INRP IUFM de Basse Normandie PNER Maison des sciences de l’homme Paris 2002) permet de faire un tour d’horizon d’un grand nombre de questions qui se posent actuellement à propos des TIC pour la recherche en éducation. Le constat fait par les coordonateurs de cet ouvrage porte sur les modalités de développement des technologies en éducation et sur les limites auxquelles se trouvent confrontés ceux qui y réfléchissent.On remarquera simplement que les élèves sont étrangement absent de ces travaux. Non qu’ils n’y sont pas des éléments, mais ils n’en sont pas des sujets à part entière. Cet ouvrage intéressera par la pluralité des regards qu’il propose et son ouverture internationale, il s’adresse surtout aux chercheurs et aux formateurs en technologies de l’éducation. Il sera par contre peu utilisable par les enseignants eux-mêmes.
Bruno Devauchelle
Cepec