A l’heure où le cinéma redécouvre la Grèce archaïque, il faut affirmer que la littérature n’est pas en reste. Certes, ce roman, paru cette année chez de Fallois, nous est apporté par la marée montante des romans-témoignages : il est écrit à la première personne, par Clytemnestre. Celle-ci fait entendre sa voix de profundis, du fond des Enfers. C’est la voix d’une épouse, mais c’est aussi celui d’une reine, qui étonne par sa détermination. C’est une héroïne de la volonté. Soeur d’Hélène, mère d’Iphigénie, épouse d’Agamemnon : sa position centrale en fait une héroïne de roman idéale.
Ce livre vient à point nommé pour illustrer agréablement l’étude des sentiments dans l’Iliade, au programme de Terminale.
C’est un « romanquête » également, qui veut donner le sentiment (illusoire bien sûr) de démêler le vrai du faux dans une longue tradition (essentiellement Homère, et les tragiques). L’Antiquité connaît de nombreuses réhabilitations, y compris de personnages de la mythologie (on se souvient du récent Sisyphe de François Rachline). Pour ce faire, Simone Bertière choisit le genre du roman, qui s’y prête à merveille. Je vous surprends ? L’image que vous avez de moi est celle d’une femme ballottée d’épreuve en épreuve, de crime en crime, sous l’âpre aiguillon de la fatalité. C’est que la tragédie concentre les événements, gomme les temps morts, réduit une existence entière à quelques moments clefs. Mais la vie véritable marche d’un pas traînant et incertain.
« Traînant et incertain » : c’est peut-être le sentiment qu’auront les lecteurs qui chercheront dans cette Clytemnestre l’héroïne d’Euripide, au fil des scènes romanesques de cette « apologie ». Mais à autre genre littéraire, autre personnage, et autre regard sur le mythe !
Clytemnestre connaît donc des moments de bonheur (la longue absence d’Agamemenon en est un…), et des moments de souffrance, mais elle souffre surtout de la médiocrité de son époux… Il n’avait pas l’étoffe d’un héros. La force de caractère n’allait pas de pair chez lui avec la vigueur physique. Il n’avait pas, comme Ulysse par exemple, d’autorité naturelle. Il le savait.
Au bout du compte, ce roman, qui ne saurait bien entendu rien nous apprendre de nouveau, mise sur l’attrait d’un témoignage (même fictif), mais aussi sur l’exotisme, et enfin, sur une pédagogie, que nous aurions tort de refuser. Le récit est émaillé de considérations sur la religion, les moeurs, et présente quelques aperçus vivants sur le contexte historique de la guerre de Troie.
Mais c’est avant tout une invitation à relire Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, mais aussi Racine, Giraudoux…