Print Friendly, PDF & Email

Hyperpaysage : Une pensée complexe appliquée au paysage

Après un intéressant échange ludique sur les représentations éveillées par les lieux, Christine Partoune (Université de Liège) a expliqué l’origine de son projet, né en 1996 à l’Institut d’Ecopédagogie et devenu finalement une thèse de doctorat soutenue en février 2004 (le diaporama utilisé sera prochainement en ligne sur le site des http://www.clionautes.org).

Venue de l’éducation à l’environnement, Christine Partoune tient à l’approche systémique. Elle se demande quelles relations à l’espace peuvent favoriser un mode de pensée plus systémique, l’hypothèse étant que notre manière de parcourir l’espace contribue à construire notre espace mental. Ainsi les petits citadins tenus par la main auraient une approche plus linéaire, tandis que les enfants de la campagne pourraient davantage développer une approche systémique grâce à une plus grande liberté de mouvement et des parcours en réseau.

Internet lui semble être l’outil idéal pour la systémie. L’hyper-texte présente en effet un caractère de non-linéarité, multi-dimentionnalité, interactivité, virtualité (son existence est conditionnée par l’utilisation par quelqu’un). La notion d’hyper-image a conduit à l’hyper-paysage. Celui-ci se présente comme un paysage panoramique en rotation lente, faisant apparaître des étiquettes sur certains éléments. Un clic sur ces étiquettes permet d’aller plus loin, vers un autre panoramique ou vers des pages d’information.


Venue de Liège, Christine Partoune est la créatrice de la notion d’hyperpaysage à la fois concept et outil pédagogique.

Le premier hyperpaysage construit fut celui de la Fagne de Malchamp en Belgique (fagne = zone tourbeuse) (www.ulg.ac.be/geoeco/lmg/hyperpaysages). Un deuxième hyperpaysage, urbain cette fois-ci, fut créé sur Liège. Enfin, deux classes du secondaire ont été associées pour l’hyperpaysage de Visé (www.ulg.ac.be/geoeco/lmg/sacoeur).

Ayant observé le mal que les enseignants ont à faire accoucher les élèves d’une parole personnelle tant ils sont dans le désir présumé de l’enseignant, Christine Partoune conseille de réfléchir avec eux au paysage dans un premier temps. Elle propose aussi de faire en sorte que les trois étapes du projet (j’observe, j’interprète, je communique) se fassent en même temps alors qu’elles sont en général envisagées comme linéaires. Au-delà du travail technique, le travail accompli sous-tend une question de fond : cette approche permet-elle de développer la pensée complexe chez les élèves ? Christine Partoune préfère désormais parler d’approche de la complexité qui met l’accent sur les représentations et les valeurs, plutôt que de systémique qui reste un point de vue positiviste aspirant à l’objectivité. Ainsi concernant les conceptions du paysage, Christine Partoune met l’accent sur les représentations mentales en reprenant l’idée de catégorisation de l’environnement par la Canadienne Lucie Sauvé (se reporter à http://www.ulg.ac.be/geoeco/lmg/articles/paysage/paysage_concept.html)

Ce travail sur les hyperpaysages s’intègre dans le cadre des finalités pédagogiques contemporaines.

Il permet aux élèves de mieux percevoir leur propre paysage. En effet, conformément à la Convention européenne du paysage et contrairement à la conception du XIXè siècle où le territoire était vu par un observateur, la définition d’aujourd’hui envisage le territoire comme perçu par les populations : l’inventaire des paysages se fait en impliquant les habitants au travers des associations qui définissent des Zones d’intérêt paysager, le pouvoir n’étant plus donné uniquement aux spécialistes.

Il permet d’étudier des espaces gérés dans une perspective de développement durable, comme le montre l’exemple de la Fagne.

Enfin, le type de pédagogie mis en œuvre dans la construction d’un hyperpaysage va dans le sens des objectifs demandés aux enseignants belges, visant à développer chez leurs élèves leur personnalité, leur responsabilité, le pluralisme, l’apprentissage pendant toute la vie (« Décret mission »). L’éducation par le paysage et l’éducation pour le paysage sont au service
– de l’apprenant (comme dans le nouveau programme de géographie de 1ère belge avec son approche sensorielle, les idées d’enracinement, de sens, de découverte, d’émerveillement),
– de la société (pour laquelle les paysages constituent une identité collective, sont objets d’enjeux contradictoires),
– de la discipline (c’est un système complexe où s’inscrivent les actions humaines et les phénomènes naturels),
– de la gestion du paysage (par l’aménagement du territoire, la gestion, les études d’impact).

Christine Partoune a ensuite montré une méthodologie pour apprendre à construire un hyperpaysage. Afin d’apprivoiser la démarche en la rendant plus concrète, le panoramique peut d’abord être réalisé sur un support cartonné avec des photos collées en couronne, des fils de laine en couleur rejoignant des petits cartons portant une image et un texte (la couleur est significative de différents types de liens : dénomination, cause à effet, approfondissement, etc.). Dans ce travail, il faut se méfier du « piège de l’information » : le risque est de vouloir accumuler des informations plutôt que de réfléchir aux interactions des habitants avec leur paysage. Elle propose des questions sur les acteurs du paysage qui n’appellent pas de réponse linéaire (comme « qui rencontre le plus de contraintes du fait d’être sur la Grand Place aménagée ainsi ? » ou « qui aurait le plus à perdre s’il devait quitter la Grand Place ? »). L’objectif, même avec de jeunes élèves est de montrer qu’il n’y a pas une seule vérité, qu’il y a plusieurs points de vue, et donc toujours de l’incertitude.

Comme Christine Partoune et son équipe sont des tenants du « socio-constructivisme », ils ont réfléchi à la façon d’adapter les « intelligences multiples » de l’Américain Howard Gardner (voir par exemple http://mieux.apprendre.free.fr/intel_multiples.html) à ce travail sur les paysages.

L’intelligence intrapersonnelle est la capacité à avoir une bonne connaissance de soi-même. Elle est peu développée dans le système scolaire français.

L’intelligence visuelle-spatiale est la capacité à percevoir le monde visible avec précision dans ses trois dimensions. Le regard à 360° que permet le panoramique peut donner l’habitude de réfléchir de façon élargie.

L’intelligence corporelle-kinesthésique : on rencontre cet appétit-là en menant les élèves sur le terrain. Une activité proposée est de reconstituer un paysage-type dans une boite transparente avec des éléments prélevés dans le paysage.

L’intelligence logico-mathématique intervient dans la lecture des cartes géologiques. Afin de mieux les comprendre, on propose aux élèves l’activité suivante : ils disposent de matières comme la craie, le sable, les cailloux, l’argile. Les yeux bandés, ils doivent reconstituer l’histoire géologique du paysage telle qu’on la leur raconte. Puis on coupe pour reconstituer l’érosion et on obtient l’équivalent des bandes de couleur des cartes géologiques.

L’intelligence interpersonnelle entre en jeu lorsqu’on propose aux élèves d’échanger leurs émotions sur le paysage, lorsqu’ils rencontrent les acteurs du paysage, lorsqu’ils négocient un projet d’aménagement.

L’intelligence verbale-linguistique est mise en œuvre lorsqu’on demande aux élèves de décrire, d’enquêter ; par exemple de rédiger un dialogue entre différents éléments du paysage (un dialogue amoureux, de petits potins, de conflit de génération, politique…).

L’intelligence naturaliste-écologique correspond à l’approche classique du paysage. Elle est appelée lorsqu’on ordonne le monde en en faisant l’inventaire, lorsqu’on structure l’environnement par des nomenclatures, des repères. Avec les élèves, il peut s’agir de trier des photos.

L’intelligence musico-rythmique est peu mise en œuvre (il existe un seul jeu édité par un CAUE sur la lecture sonore du paysage). Il est difficile d’utiliser les vrais sons du paysage photographié car le matériel, onéreux, est en outre d’une manipulation difficile. C’est envisageable en s’associant à un prof de musique bien équipé.

La notion d’émotion traverse tous les styles d’apprentissages, même chez le mathématicien. Dans l’ancienne approche influencée par la vision de Descartes, on oppose cognition et émotions, ces dernières étant considérées comme malfaisantes et mises de côté par l’école. Pour les chercheurs actuels, émotions et cognition sont indissociables, les informations étant « engrammées » par les émotions. Christine Partoune remarque que le terme d’émotion en français a une connotation plus « visible », plus démonstrative qu’en anglais.

Christine Partoune met l’accent sur l’importance des représentations, dans une approche « phénoménologique ». S’il y a des représentations, c’est qu’elles existent, même si elles semblent « fausses » : enrichissons-les au lieu de vouloir les remplacer dans la lignée d’Astolfi. Ainsi par exemple François Terrasson explique dans « La peur de la nature » que si on pollue l’environnement c’est car on en a peur. Dans le travail de Caroline Jouneau-Sion sur Raismes, un élève a parlé d’ours vivant dans la forêt de Raismes. Au lieu de le rabaisser en lui disant que les ours n’existent pas, il était important de comprendre quelle peur représentaient ces ours.

Des expérimentations à géométrie variable sont possibles à partir du concept d’hyperpaysage : par exemple Christine Partoune a proposé à des élèves d’étiqueter (ajouter des étiquettes) un paysage panoramique urbain en se mettant dans la peau de personnages « lunettes » tels une personne à mobilité réduite, un agent de police, un artiste, un chien etc.

Concernant la prise de vue de l’hyperpaysage, on peut le scénariser un peu, en faisant venir un acteur de l’aménagement que l’on souhaite interviewer.

C’est un travail possible en classe résidentielle sur une semaine. Il est utile d’être habitué à la pédagogie du projet.

Claudia Renau
Association des Clionautes
http://www.clionautes.org
Octobre 2004