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« L’Ecole rurale est aussi une «école de la périphérie» »

Yves Jean, géographe - Publie

Nous sommes encore aujourd’hui dans un moment de tension entre le local et l’Etat. Condorcet proposait déjà de rassembler les communes en 6000 pôles capables d’assumer le pouvoir central, quand Mirabeau disait le contraire. Alors que tous les pays d’Europe ont divisé par dix leur nombre de communes, la France reste un espace singulier. Comme il y a cent ans, on n’est toujours au point où l’Etat donne l’injonction alors que ce n’est pas lui qui donne les moyens de faire.

Depuis quinze ans, les nouveaux ruraux sont beaucoup plus mobiles, ont un rapport au lieu qui est en train de changer. L’Ecole rurale devient elle aussi une « école de la périphérie », au sens où l’entend Agnès Van Zanten : une caractéristique spécifique du public et des relations particulières avec le centre. C’est aussi une école loin des centres de décisions, de la bureaucratie ministérielle, dans lequel l’ensemble des acteurs (parents, élus, institutions) interagissent pour créer la structure la plus adaptée à la situation et au contexte local.

On constate donc une grande hétérogénéité des types d’organisation, qui ne correspond pas au pôle fordiste et au modèle technopolisitique des « pôles de compétitivité ». Les écoles à classe unique perdurent, les RPI dispersés ou concentrés aussi. Je suis frappé de voir combien cette diversité oblige les enseignants à penser autrement, confrontés qu’il sont à d’autres conditions, dans lesquelles ils doivent différemment penser l’activité de l’enfant et les questions pédagogiques. C’est peut-être ce qui peut expliquer que les évaluations scolaires des écoles rurales soient aussi bonnes, référées aux milieux des élèves. Cette école favorise l’autonomie des enfants, la différenciation, un rapport différent à l’espace scolaire, une continuité pédagogique.

Mais il ne faut pas non plus éluder la question des élèves qui, dans les écoles rurales aussi, décrochent, sont en échec ou se marginalisent, surtout avec l’afflux des nouveaux habitants et l’augmentation des effectifs. Que fait-on réellement pour eux ?

Plusieurs modèles de pilotage local

Ces « écoles de la périphérie » laissent une grande marge d’autonomie aux enseignants, dans la classe et dans leurs relations avec l’extérieur, pour peu qu’ils soient formés. C’est l’enseignant au centre… Les réseaux qui se développement sont souvent non-institutionnels, fonctionnent indépendamment des structures administratives. Il me semble que l’espace local dispose donc d’une grande marge de manœuvre pour dépasser le « une commune, une école », même en l’absence d’une loi de programmation.

Mais selon les conseils généraux, les maires et les pilotes locaux, on va favoriser tel ou tel type d’organisation scolaire. Ces pilotes locaux sont donc essentiels pour l’activation de projets locaux. Dans nos entretiens, certains maires citent l’Ecole comme l’âme du village (instruction, ordre social, politesse, respect), la vie du village (éducation, autonomie individuelle, monde en mouvement), ou la vitrine du village (ouverture sur le monde, voire sur le marché). Ils considèrent l’enseignant, selon les cas, comme un pasteur économe, un passeur culturel, un acteur engagé ou un professionnel  » efficace « . Les parents peuvent, selon la perception des élus, être vécus comme « désinvestis« , « impliqués » ou « consommateurs de services »

On voit bien qu’il est nécessaire d’arrêter de dire « les élus » comme on dit « les parents » ou « les enseignants », tant leur rapport à leur activité ou à l’avenir peut être disparate.

Cette diversité montre qu’un espace de négociation est généralement possible. Peu de communes ont d’ailleurs transféré la compétence  » école  » au niveau intercommunal.

Cette territorialisation de la politique éducative met l’espace local au centre, qui n’est pas qu’un territoire négatif, mais un espace tout aussi républicain que l’Etat central. La nouvelle donne institutionnelle doit nous engager à ne plus tout attendre de l’Etat central pour se demander où est la place des services publics et des citoyens, et de la meilleure manière d’avoir un projet commun pour que les parents, les enseignants et les élus travaillent ensemble.


Patrick Picard – publication le 01-12-2006

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