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Réformer l’Ecole ?
En effet, depuis des décennies, explique Agnès VanZanten, les « réformes » engagées ne sont ni suivies ni évaluées, entraînant un scepticisme grandissant des acteurs de terrain, renforcée par un manque de culture collaborative dans les établissements. « L’idée de mettre l’enfant au centre offre une forme de consensus, mais elle n’est pas très mobilisatrice. Son rôle est plus de désamorcer les tensions que de proposer des orientations pour l’action, ce qui fait que le consensus de principe se traduit par une très grande hétérogénéité de pratiques »

De plus en plus, et dès le primaire, se développe une sorte de culture professionnelle de l’entre-soi, comme si le but des enseignants de l’Ecole était essentiellement de « tenir la maison » de manière autarcique, les responsables institutionnels étant vécus de plus en plus comme des prescripteurs de normes totalement étrangères aux contingences de la vraie vie. Paradoxalement, les « coup de barre » frénétiques de tel ministre ne suscitent ni marques démonstratives d’hostilité, ni enthousiasme affiché. « Ca va passer, le balancier va revenir » disent aux jeunes les vieux briscards qui attendent patiemment que ça se passe… Dans ce « tout se vaut », on n’est jamais loin du « sauve d’abord ta peau » : fais ce que tu peux, là où tu es, ne t’engage pas trop, ne te fais pas voir, ne lève pas la main… Paradoxalement, en reproduisant parfois les conduites scolaires de ces élèves invisibles qui peuvent « passer » d’une marche à l’autre du système scolaire sans trop qu’on sache bien quelles sont leurs compétences (et leurs appétences…) réelles.

Temps du politique, temps de l’Ecole…
Dans un tel cadre, on voit bien que le temps du « politique » (de plus en plus « médiatique ») n’a rien de commun avec le temps de l’Ecole, par définition un temps long, où chaque expérimentation doit être instillée progressivement, afin de voir si le fragile équilibre professionnel est encore possible. « Il faudrait que je fasse ça, me demande t-on… Mais à moi, qu’est-ce que ça me demande ? ». Cette question, rarement abordée par les « réformateurs » pressés de résultats, commence à être posée par les « ergonomes » ou les historiens de l’Ecole, qui osent affirmer que si la profession utilise des outils, des façons de faire (manuels, leçons, devoirs…), ce n’est pas par seul goût de martyriser les élèves, mais simplement parce que cela correspond à un compromis historique. André Chervel, dans son « Histoire de l’Enseignement du Français » explique de manière lumineuse comment c’est la modification du recrutement des instituteurs au milieu du XIXe siècle qui, parce qu’il favorisa exagérément leurs compétences orthographiques, fut la matrice d’une révolution copernicienne de l’enseignement de l’orthographe, induisant en cascade l’invention de la grammaire scolaire.

Il ne s’agit donc pas, pour qui prétend « réformer », de se contenter d’injonctions brutales pour amener du changement. Sans considérer (aux deux sens du terme) la complexité artisanale du travail de l’enseignant condamné à « faire classe », la réforme n’est qu’agitation médiatique condamnée immédiatement aux oubliettes.


La carte scolaire, une école sanctuaire ?

« La république doit fixer les mêmes règles pour tous » tonne sans mollir le ministre Xavier Darcos qui explique à la fois que les chefs d’établissements vont pouvoir choisir leurs élèves librement à partir des demandes de dérogations, tout en leur demandant de veiller à la mixité sociale… « Il faut réclamer que les tourneurs-fraiseurs aient les mêmes droits (à contourner la carte scolaire) que les cadres » explique-t-il dans les médias. Il est pourtant avéré que les principaux fossoyeurs de la mixité scolaire, ce sont les classes moyennes et favorisées. C’est en tout cas l’avis de Marie Duru-Bellat.
En effet, favoriser la mixité scolaire se heurte toujours aux intérêts à court terme des parents favorisés, actifs dans l’école, qui ne voient pas forcément le bénéfice à long terme de telles politiques, soucieux qu’il sont de la réussite individuelle de leur propre progéniture. Affirmer sa volonté de vouloir casser la carte scolaire, c’est sans ambages oser dire aux classes moyennes qu’ils peuvent sans scrupules laisser les classes populaires sur le bord de la route, pour assurer à leur propre descendance une place au soleil dans la société future. Parce que désormais, tous les parents sont inquiets pour l’avenir de leur enfant (le temps n’est plus à la croyance mécaniste des lendemains qui chantent), ils savent que la réussite scolaire conditionne leur avenir. Ils se mettent en concurrence très tôt, parfois dès le primaire : soutien scolaire, scolarisation alternée dans le privé, pour avoir accès aux meilleurs établissements, aux meilleurs filières. C’est le « tout sauf la fac ».
« En se massifiant sans renoncer à son élitisme, écrit Eric Maurin (Les nouvelles inégalités), l’Ecole est devenue le lieu d’une concurrence généralisée. Du coup, le lieu de résidence devient une ressource-clé pour l’accès à la sécurité, aux services publics, à la qualité de la vie ». Les inégalités spatiales deviennent le fait des classes supérieures qui fabriquent cette nouvelle « bipolarité résidentielle ». Et les couches moyennes en font les frais, prises entre deux feux, cherchant à s’éloigner des plus pauvres sans en avoir les moyens économiques. Pas d’espoir, donc, de prendre en charge la mixité scolaire sans s’interroger sur les politiques d’urbanisation, de logements sociaux, d’organisation du territoire urbain.

Mais  » La diversification de l’offre éducative entre établissements de même type a renforcé la territorialisation des inégalités. Cette notion, qui inclut l’idée d’une mise à l’écart de certaines populations, permet également de comprendre le processus, à la fois objectif et subjectif, de production de l’exclusion à l’intérieur même des institutions d’enseignement ». Dans le numéro 3 de la revue du groupe Claris, Agnès Van Zanten analyse la ségrégation scolaire.




Donner plus à ceux qui ont le moins ? Le moins de quoi ?


Les politiques de « zones d’éducation prioritaire » qui se sont succédées depuis 1982 ont fait l’objet de nombreux diagnostics et évaluations, sans pour autant qu’on puisse dissiper les doutes actuels des « pilotes » (coordonnateurs et chefs d’établissements) sur l’avenir que la puissance publique veut donner à ce concept. D’autant plus qu’aux politiques strictement « Education Nationale » vient désormais s’ajouter plusieurs dispositifs qui s’entremêlent sur le terrain : les désormais CUCS (ex-« contrats de ville) qui fédèrent les moyens d’intervention des différentes collectivités, et les déclinaisons locales du « plan Borloo » (la « réussite éducative ») pilotées par les villes. Les logiques à l’œuvre dans les différents dispositifs ne se superposent pas strictement : ainsi, quand les ZEP recouvrent des « territoires », dans une logique de zonage, la « réussite éducative » chère à Borloo vise plutôt à la prise en charge coordonnée de familles, de personnes, avec parfois des craintes émises par certaines associations des glissements de l’aide sociale à la pacification des quartiers. Se multipliant, les dispositifs s’enchevêtrent, rendent le pilotage difficile, les lieux de décisions multiples, les « coordonnateurs » parfois plus nombreux que les acteurs…


Pour rester centrés sur les difficultés spécifiques à l’Education Nationale, les évaluations des ZEP ont tour à tour montré quelques difficultés :

– l’ouverture de l’Ecole vers l’extérieur, vers le quartier, les associations, les cultures d’origines des familles a été souvent le levier sur lequel ont cherché à agir les pionniers. Mais très généralement, les constats effectués n’ont pas montré que ces efforts amenaient des mobilisations scolaires ou des évolutions significatives des résultats scolaires. 1997, puis 2003 ont marqué un recentrage sur le scolaire, avec une injonction très médiatique à organiser des zones d’excellence scolaire par des jumelages. Ce discours, on s’en doute, s’est souvent limité à l’écume, même s’il a amené à réduire l’appel aux intervenants extérieurs jugés trop envahissants…
– Paradoxalement, l’étiquetage « ZEP » a parfois été vécu comme stigmatisant, entraînant une fuite des meilleurs élèves, et parfois une difficulté pour les enseignants chevronnés à venir y travailler. Les systèmes de barème en vigueur pour les nominations des enseignants n’ont pas permis de trouver des solutions efficaces pour éviter que certaines zones soient victimes de « turn-over » importants.
– Les fluctuations politiques de 1998, définissant deux niveaux avec les REP et les ZEP n’a pas contribué à des mobilisations. La non-attribution des indemnités ZEP aux enseignants classés en REP a engendré quelques rancoeurs…
– La difficulté pour l’Etat à redéfinir les zonages ZEP a entraîné, selon les observateurs, une inflation de zones classées ZEP, empêchant de mobiliser les moyens sur les endroits qui en avaient le plus besoin. On voit donc fleurir de nouvelles dénominations (zones sensibles, zones violences, réseaux ambition réussite) qui constituent autant de niveaux d’urgences qui s’empilent parfois sans lisibilité.
– Le différentiel d’effectif entre ZEP et hors-ZEP est d’environ 2 élèves par classe, ce qui semble inférieur à ce qu’il faudrait pour ceux qui étudient les effets de la réduction de la taille des classes, invoquant la nécessité, pour être efficace, d’une réduction forte de l’effectif. Encore que ces opinions soient contestées : au moment de l’expérimentation réalisée en 2004-5 sur les « CP dédoublés », les enquêtes d’évaluation avaient conclu que la baisse d’effectif n’était efficace que si elle s’accompagnait d’un changement de posture pédagogique pour l’enseignant…
– Les contrats de réussite signés par les recteurs, parfois plus d’un an après leur rédaction, n’ont de contrat que le nom : pas d’engagement réciproque des partenaires… On assiste plutôt à une rédaction formelle d’un catalogue d’actions mises en œuvre, parfois depuis plusieurs années…
– C’est bien dans le concret de la classe que se met en œuvre la politique ZEP. Avec une vraie difficulté pour l’enseignant : s’agit-il d’adapter les exigences au niveau supposé plus faible des élèves (parcelliser les consignes, privilégier l’activisme, le travail individuel pour éviter de perdre le contrôle de la classe, adapter les programmes), ou maintenir une exigence forte en interrogeant les manières de faire, les rapports aux savoirs des élèves (ce qui est nécessairement coûteux pour l’enseignant obligé de travailler à d’autres fonctionnements professionnels, réclame de la formation continue, de l’encadrement de proximité…). Les observations montrent l’effet positif d’une « exposition aux apprentissages » soutenue, du travail de chef d’orchestre du directeur, de la continuité des apprentissages.
– L’Inspection générale relève un manque de « priorité aux ZEP » dans le pilotage académique, les stages de formation (dont le contenu ne répond pas forcément aux besoins des enseignants, tant leurs problèmes ne sont pas forcément simples à travailler…)
Elle propose donc plusieurs mesures : fermer les établissements les plus en difficultés, qui ne manifestent que peu de perspective d’évolution ; travailler sur la carte scolaire, modifier les critères d’attribution des moyens, adapter le service des enseignants, réétudier les régimes indemnitaires, mieux assurer la précision des indicateurs de diagnostic, développer le pilotage et la formation… Autant de pistes pour l’action publique.


La crise ? Quelle crise ?

La réussite de tous, sans rire ?

Réformer ? Réformer quoi ?

Le risque d’une école libérale ?

Quel pilotage de la Machine ?

Tous étudiants ?

Quelle formation, quel accompagnement pour les enseignants ?

Le plus important : dans l’établissement, dans la classe