« Est-ce que ce qu’on va dire aujourd’hui va remonter aux politiques ?« . A travers cette question naĂŻve de la salle, s’exprime la volontĂ© d’agir des deux cents participants, majoritairement issus du terrain, au colloque organisĂ© par l’Observatoire de la petite enfance, sur la thĂ©matique des politiques Ă©ducatives en direction de la petite enfance. D’entrĂ©e, l’objectif affichĂ© par Nicole Geneix, organisatrice, est clair : « arriver Ă participer, modestement, Ă la crĂ©ation d’un espace qui permette un croisement d’expĂ©rience entre les diffĂ©rents professionnels de la petite enfance : Ă©ducation nationale, directrices de crèches, auxiliaires de puĂ©ricultrice, psychologues, collectivitĂ©s territoriales…« Les notes de confĂ©rences ci-dessous n’ont pas Ă©tĂ© relues par leurs auteurs.
Anne-Marie Chartier : l’Ă©volution du statut du jeune enfant au cours de l’histoire : « le XXIe saura-t-il instituer la collaboration entre familles et institutions pour l’Ă©ducation des enfants ?« N’importe quel grand magasin a intĂ©grĂ©, du fait mĂŞme du marchĂ© de l’enfance, un grand nombre de savoirs qui se sont accumulĂ©s sur l’enfant. Les dispositifs institutionnels (surveillance de la maternitĂ©, pĂ©diatrie, adoption, garde parentale…) dĂ©limitent des frontières d’âge et constituent autant d’inconscients sociaux quasi-invisibles. Mais comment se sont-ils construits ? On a intĂ©grĂ© seulement depuis peu l’idĂ©e que pour s’occuper d’un jeune enfant, il faut autre chose que de la bienveillance et un peu de nourriture. Entre 1830 et 1880, l’industrialisation produit de l’effet tiers-mondiste (exode, femmes seules, enfants sĂ©parĂ©s des mères travailleuses entraĂ®nant abandons ou obligations de prise en charge collective, par exemple par les religieuses). Va naĂ®tre un discours valorisant une prise en charge collective, avec un contrĂ´le qui n’existait pas forcĂ©ment avec les nourrices « à la journĂ©e ». Grandit aussi l’idĂ©e que les parents ne savent pas s’occuper de leurs enfants, et que les institutions doivent s’en prĂ©occuper. C’est progressivement l’Ă©poque du dĂ©veloppement de la pĂ©diatrie qui institue des savoirs spĂ©cifiques sur les affections du bĂ©bĂ©. Technologiquement, l’arrivĂ©e du caoutchouc (les tĂ©tines et les prĂ©servatifs !) amĂ©liore Ă©galement les conditions d’hygiène, limite les abandons sauvages et la mortalitĂ© infantile. Au dĂ©but du XXe siècle, environ 20% des enfants sont pris en charge par la collectivitĂ© (Assistance Publique). Le dĂ©veloppement de l’Ă©cole maternelle concerne de plus en plus d’enfants (surtout des classes populaires). Le discours des psychologues (Binet, Freud) centre progressivement l’attention sur la nĂ©cessitĂ© d’un « principe de prĂ©caution » dans l’Ă©ducation prĂ©coce. Plus tard, Piaget, Wallon et Vigotsky vont renforcer la nĂ©cessitĂ© des interactions dans les apprentissages. Durant les Trente glorieuses, arrive l’idĂ©e d’Ă©panouissement. Dans un contexte Ă©conomique favorable et de bouleversement des valeurs traditionnelles (divorce), la gĂ©nĂ©ralisation de la sĂ©curitĂ© sociale, la prĂ©sence des PMI, la construction de bâtiments collectifs avec leurs Ă©quipements, l’accueil de plus en plus important des enfants de classe moyenne Ă la maternelle vont progressivement amener les faisceaux de contradictions dans lesquels on se dĂ©bat encore aujourd’hui, entre le droit des mères Ă disposer de leur vie et l’injonction d’attention Ă porter son attention au dĂ©veloppement de l’enfant. Toutes ces Ă©volutions se sont finalement produites en très peu de temps : rien d’Ă©tonnant Ă ce que subsistent encore de larges scories des reprĂ©sentations anciennes. Quand le XIXe disait qu’il faut Ă©duquer les enfants contre les parents, le XXe a cherchĂ© Ă Ă©duquer les parents Ă travers les enfants, le XXIe saura-t-il instituer la collaboration entre familles et institutions pour l’Ă©ducation des enfants ? Il est facile, pour les professionnels issus de classes moyennes que sont les enseignants, de le faire avec certains parents, mais il leur est difficile d’y parvenir avec tous, et en particulier avec ceux qui sont le plus Ă©loignĂ©s de leurs propres valeurs culturelles, souvent suspectĂ©s d’avoir des conduites Ă©ducatives « non-conformes »…  Eric Maurin : le contexte social : « Il y a de très fortes inĂ©galitĂ©s entre enfants« Il y a de très fortes inĂ©galitĂ©s entre enfants : entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres, les Ă©carts sont de 1 Ă 4. Les inĂ©galitĂ©s de logements sont difficiles Ă mesurer prĂ©cisĂ©ment, mais on sait que 20% des adolescents grandissent dans des appartements surpeuplĂ©s (plus de 1 personne par pièce). S’ y ajoutent des inĂ©galitĂ©s de contexte de socialisation : si je suis enfant de chĂ´meur, je cĂ´toie dans mon quartier 4 fois plus d’enfants de chĂ´meurs, que je vais Ă©galement retrouver dans l’Ă©cole de mon quartier. Il faut donc lutter contre l’idĂ©e d’une sociĂ©tĂ© qui aurait Ă©radiquĂ© ses problèmes de pauvretĂ©. Les bilans de santĂ© de GS montrent combien ces Ă©carts sont forts : entre les 50% les moins pauvres et les 50% les plus pauvres, plus de 20 points d’Ă©cart sur les indicateurs de retard scolaire ! MĂŞme le dĂ©veloppement physique (taille, caries, surpoids) est très massif. Si ces chiffres ne font pas dĂ©bat, tous les observateurs ne sont en revanche pas d’accord sur la relation de cause Ă effet entre pauvretĂ© et difficultĂ© scolaire. Certains doutent que des politiques de redistribution sociale puissent rĂ©duire les Ă©carts de rĂ©sultats scolaires. Il est Ă©videmment difficile de savoir ce qui se passerait mĂ©caniquement si on attribuait des logements plus grands aux familles pauvres : les familles qui rĂ©ussissent ne sont pas les mĂŞmes que celles qui Ă©chouent dans leur insertion sociale. Mais je suis optimiste sur l’effet des politiques publiques : contrairement Ă l’idĂ©e reçue, la dĂ©mocratisation du système scolaire est une politique efficace. Quand on regarde prĂ©cisĂ©ment qui (et quand) a Ă©tĂ© exposĂ© Ă l’expansion scolaire, et qu’on compare les carrières salariales, on voit que ces familles vont mieux que celles qui n’en ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ©. Certes, on pourrait sans doute mieux faire, mais cela demanderait d’investir des moyens financiers et humains qui ne sont pas d’actualitĂ©.
Agnès Florin : les diffĂ©rents modes d’accueil des jeunes enfants et leurs impacts respectifs : « les conditions de vie des enfants dĂ©pendent de celles de leurs parents » Les enfants qui vont Ă la maternelle et ceux qui vont Ă la crèche ne sont pas diffĂ©rents. Il existe encore, mĂŞme en France, un dĂ©calage important entre les demandes familiales et l’offre. Dans notre pays, près de 30% des enfants de 2 Ă 3 ans sont scolarisĂ©s gratuitement, quelles que soient les caractĂ©ristiques familiales des Ă©lèves. Mais ce pourcentage s’inflĂ©chit depuis 3 ans. Les effets de cette scolarisation sont rĂ©els sur les chances de ne pas redoubler, mais de manière limitĂ©e (entre la scolarisation Ă 2 ans ou Ă 3 ans, les gains sont d’environ 3%). Les effets sont surtout positifs pour les enfants d’un milieu social très dĂ©favorisĂ©, mais aussi pour ceux de milieu très favorisĂ©. Les conditions d’accueil sont très importantes (locaux, horaires, matĂ©riel…). Si on compare les acquis de l’accueil en maternelle, en crèche ou chez une nourrice agrĂ©Ă©e, l’Ă©cole gagne du cĂ´tĂ© des activitĂ©s pĂ©dagogiques, mais la crèche offre plus de temps de jeux libres, moins d’attente. Les assistantes maternelles favorisent les Ă©changes interpersonnels, prennent une part importante dans la rĂ©alisation de la tâche, quand les enseignantes favorisent les attitudes cognitives, ou la crèche la rĂ©gularitĂ© des activitĂ©s. Aucun mode d’accueil n’engendre plus d’agressivitĂ© ou d’insĂ©curitĂ©, mais l’accueil en structure collective favorise la « thĂ©orie de l’esprit » (la conscience du point de vue de l’autre). Les variables efficaces qui renforcent l’efficacitĂ© d’une structure d’accueil collective sont nombreux : formation et stabilitĂ© des professionnels, taille des groupes, durĂ©e de frĂ©quentation des Ă©lèves, Ă©quilibre de la relation entre la maison et le lieu d’accueil (ne pas dĂ©passer 30h par semaine). Par exemple, les horaires dĂ©calĂ©s de la mère ou l’irrĂ©gularitĂ© de la garde, est un Ă©lĂ©ment très nĂ©gatif. Les effets positifs demeurent sur plusieurs annĂ©es. Les enfants  » Ă risques  » sont ceux qui sont le plus sensibles aux effets positifs ou nĂ©gatifs des modes d’accueil. Faire progresser la qualitĂ© de vie des jeunes enfants et leur bien-ĂŞtre, c’est agir sur toutes ces variables : les conditions de vie des enfants dĂ©pendent de celles de leurs parents. Mais c’est aussi sur les gestes quotidiens d’Ă©ducation qu’il faut se concentrer, et les Ă©changes entre les diffĂ©rents professionnels sont un levier puissant pour se mettre Ă distance de leurs propres pratiques, et voir dans celles des autres ce qui peut permettre Ă chacun de progresser. L’entrer dans le langage Ă©crit dĂ©pend fortement des compĂ©tences langagières dĂ©veloppĂ©es dans les premières annĂ©es. Ce n’est pas pour rien si les pays qui rĂ©ussissent Ă PISA sont ceux qui investissent le plus dans ces annĂ©es de la petite enfance.   Maurice Titran, psychiatre : « La notion d’enfant « normal » a sans doute Ă©tĂ© inventĂ©e par des gens qui n’avaient pas d’enfant, pour se venger« « Je suis spĂ©cialisĂ© dans le service après-vente avec rĂ©clamation« . Dans cette stratĂ©gie clinique, on peut inscrire des enfants sur une longue pĂ©riode, depuis la conception jusqu’Ă leur entrĂ©e au CP. Nous sommes les hĂ©ritiers de ceux qui se sont battus pour que les enfants ne meurent pas, notre travail d’aujourd’hui est de leur permettre de se dĂ©velopper. Mais les règles du dĂ©veloppement, les interactions sociales ne sont connues que depuis quelques dizaines d’annĂ©es seulement… On sait dĂ©sormais que le cerveau d’un petit enfant se dĂ©veloppe surtout pendant la grossesse, d’oĂą l’importance du statut qu’on va accorder Ă cette mère potentielle. Pour certains petits enfants, les seuils de tolĂ©rance entre la maison et l’Ă©cole peuvent ĂŞtre très diffĂ©rents. La question de l’adaptation est donc primordiale. La notion d’enfant « normal » a sans doute Ă©tĂ© inventĂ©e par des gens qui n’avaient pas d’enfant, pour se venger… Pour apaiser les tensions, il faut une alliance entre parents, enfant et soignant. Mais parfois, le soignant ne parvient pas Ă apaiser les tensions entre parents et enfant. La difficultĂ© pour le professionnel est de ne pas disqualifier l’enfant, ni sa famille, au risque d’apporter un diagnostic Ă la famille en l’empĂŞchant de pouvoir s’en servir. Il faut faire rĂ©fĂ©rence Ă la tradition, Ă l’histoire de ces interlocuteurs… D’oĂą l’importance de chercher d’autres alliances, avec d’autres professionnels. Mais on Ă©value plus souvent les enfants que les professionnels… Additionner les connaissances, aller chercher les informations sur le terrain pour voir comment ça se passe dans la vie rĂ©elle, c’est pouvoir sortir de sa propre certitude construite en vase clos, qui risque de construire une vision tout Ă fait fausse du monde, parce que construite Ă travers un seul prisme. C’est pourquoi la stabilitĂ© des Ă©quipes est si importante, pour avoir la connaissance suffisante des histoires locales… Il est indispensable d’aider l’enseignant, l’aide-puĂ©ricultrice, l’ATSEM : c’est celui (celle) qui est en première ligne pour accueillir un enfant, parfois porteur de troubles et de handicap… Et je constate que ceux qui sont en première ligne n’ont souvent que des informations de seconde main, chargĂ©s de mettre en Ĺ“uvre des dispositifs et des objectifs trop souvent pensĂ©s sans eux… M. Fournel (adjoint au maire de Lyon, RĂ©seau villes Ă©ducatrices) : « La demande de l’Etat est de rĂ©duire de 10% les dĂ©penses affectĂ©es Ă ce secteur« Les villes sont toutes confrontĂ©es aux mĂŞmes enjeux : la progression du travail des deux parents a changĂ© la donne et les choix prioritaires des parents, qui plĂ©biscitent les crèches et l’Ă©cole maternelle dans l’espoir de donner de meilleures chances de socialisation Ă leurs enfants. Les parents ont profondĂ©ment changĂ© leur perception des ces structures d’accueil collectif, et doivent ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme de vĂ©ritables partenaires. On demande aux villes, au delĂ du besoin de sĂ©curitĂ©, de construire de vĂ©ritables projets Ă©ducatifs, de mettre en cohĂ©rence les diffĂ©rents projets jusqu’ici limitĂ©s Ă certains services, Ă certains publics. Mais nous devons aussi penser Ă la manière de s’assurer qu’on fait tout ce qu’on peut pour aider les parents Ă assumer ce qui revient de leur responsabilitĂ©. Nous ne sommes plus dans la pĂ©riode oĂą l’enfant de 2-3 ans Ă©tait un objet de concurrence entre structures, mais Ă une pĂ©riode oĂą nous devons organiser une rĂ©ponse publique souple, organisĂ©e, nĂ©gociĂ©e. Cela exige de continuer Ă mobiliser les moyens de l’Etat, des collectivitĂ©s, de la CNAM, voire des entreprises, pour Ă©viter que la marchandisation de ce secteur ne vienne installer une sĂ©lection par l’argent. Le transfert massif de charges de l’Etat vers les collectivitĂ©s locales, Ă travers le nouveau Contrat Enfance, va mettre en difficultĂ© nombre de structures locales, en instaurant une rĂ©gulation forte des dĂ©penses publiques sur la petite enfance. La demande de l’Etat est de rĂ©duire de 10% les dĂ©penses affectĂ©es Ă ce secteur. A Lyon, alors que nous avons augmentĂ© de 20% notre capacitĂ© d’accueil, nous n’allons plus pouvoir disposer des ressources nĂ©cessaires. Attelons-nous Ă construire des indicateurs du niveau de la prestation d’accueil, assumer notre rĂ´le de collectivitĂ© publique.
 Viviane Bouysse, inspectrice gĂ©nĂ©rale : L’Ă©cole maternelle, de l’assurance au doute : « nous devons ĂŞtre très vigilants Ă une utilisation pĂ©dagogique des Ă©valuations« Pour la sociĂ©tĂ© civile française, l’Ă©cole maternelle française est toujours associĂ©e Ă un très fort indice de satisfaction. Pourtant, on commence Ă entendre des discours moins favorables, comme si elle avait perdu sa boussole. Les comparaisons internationales sont parfois critiques sur l’Ă©cole maternelle. Quand et pourquoi sommes nous passĂ©s de l’assurance au doute ? Le baptĂŞme officiel de l’Ă©cole maternelle Ă lieu en 1881, lorsqu’on dĂ©baptise les « salles d’asile ». Cette Ă©cole dĂ©sormais laĂŻque, gratuite et non obligatoire, s’est construite contre les deux modèles existant Ă l’Ă©poque : Pauline Kergomard voulait qu’elle ne soit « ni une petite caserne (allusion Ă l’organisation militaire des salles d’asile), ni une petite Sorbonne (allusion aux programmes copieux de l’Ă©cole primaire) ». Pourtant, les premiers programmes de la maternelle sont très fournis, et se stabilisent en 1921, sans changement rĂ©el jusqu’en 1985. La maternelle est pensĂ©e pour accueillir des enfants de 2 Ă 6 ans, mais il faut attendre longtemps pour qu’elle soit accessible Ă tous. En 1950, seulement 40% des enfants de 2 Ă 6 ans vont Ă l’Ă©cole, dans les classes maternelles ou les sections enfantines des Ă©coles primaires, surtout en ville et dans la France industrielle, lĂ oĂą les mères ont un travail salariĂ© qui ne leur permet plus de garder leur enfant. En 1972, on passe Ă 70%, beaucoup mieux rĂ©partis sur le territoire et dans toutes les catĂ©gories professionnelles. L’ouverture est donc progressive, et tardive. C’est Ă partir du moment oĂą la frĂ©quentation explose, qu’elle s’ouvre aux enfants de toutes les familles (dans les annĂ©es 60/70), que la maternelle se sĂ©pare de l’Ă©lĂ©mentaire, au moment oĂą les Ă©lèves de plus de 11 ans partent au collège, rendant des enseignants et des locaux disponibles… Cet Ă©lĂ©ment se conjugue aux nouveaux savoirs pĂ©dagogiques disponibles, soulignant la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper l’expression langagière et toutes les expressions (plastique, corporelle…). C’est sans doute ce qui contribue Ă crĂ©er un modèle positif, qui respecte mieux les besoins de l’enfant, fondĂ© sur le jeu, le projet, qu’on va donner Ă voir Ă l’Ă©cole Ă©lĂ©mentaire comme un modèle, Ă qui on va emprunter beaucoup, lui faisant Ă©galement perdre de sa spĂ©cificitĂ©. Mais il ne faut pas oublier que ce modèle « ludique » est plus proche des classes moyennes que des classes populaires, qui favorisent le sĂ©rieux, le travail nĂ©cessaire pour gravir les Ă©chelons de l’Ă©chelle sociale. En 1965, alors qu’on s’alarme de l’excessive importance des redoublements au CP, on s’aperçoit que 8% des Ă©lèves qui ont frĂ©quentĂ© la maternelle Ă 3 ans sont susceptibles de redoubler, pour seulement 14% pour ceux qui ne l’ont frĂ©quentĂ©e qu’un an, et 18% pour ceux qui ne l’ont pas frĂ©quentĂ©e du tout. Ces chiffres vont donner beaucoup d’assurance aux dĂ©fenseurs de l’Ă©cole maternelle, et cette ambition nouvelle va se retrouver programmĂ©e dans les diffĂ©rents plans de l’Etat. L’Ecole maternelle va se retrouver, en 1989, le premier cycle de l’Ă©cole, mĂŞme si sa frĂ©quentation n’est pas obligatoire. Mais une fois que les objectifs quantitatifs sont atteints, on change d’objectif : on n’est plus dans « il nous faut une Ă©cole maternelle », mais « il nous faut une Ă©cole maternelle efficace« , renforçant l’injonction paradoxale et le doute, qui doivent mobiliser notre luciditĂ©, en toute connaissance de cause. Je pointerai une double tension, un double malentendu : les textes de 89, et les suivants, prĂ©cisent que l’objectif est de dĂ©velopper « toutes les possibilitĂ©s de l’enfant » pour lui permettre de mieux rĂ©ussir sa vie en le prĂ©parant Ă entrer Ă l’Ă©cole Ă©lĂ©mentaire. Toutes les facettes du dĂ©veloppement sont prĂ©sentes dans les programmes, en veillant Ă leur Ă©quilibre. Mais la « prĂ©paration » aux apprentissages ultĂ©rieurs finit par primer : la prĂ©vention des difficultĂ©s risque de tourner Ă l’anticipation, l’Ă©valuation (qui devrait ĂŞtre de s’assurer qu’on met en place les conditions de progrès) risque de dĂ©vier vers l’Ă©tablissement prĂ©coce des normes de comportement, et de renforcer chez les maĂ®tres la perception des diffĂ©rences colossales entre enfants, en glissant des diffĂ©rences aux difficultĂ©s, les plus performants devenant le point de rĂ©fĂ©rence, et tous ceux qui sont dĂ©calĂ©s vĂ©cus comme des « enfants en difficultĂ©s ». C’est pourquoi nous devons ĂŞtre très vigilants Ă une utilisation pĂ©dagogique des Ă©valuations. Nous devons Ă©galement faire attention aux attentes sociales. Pour certains parents, l’Ă©cole est un mode d’accueil dont ils savent que c’est une chance pour leur enfant. Parfois, ils disent aux enseignants : « vous savez ce qu’il faut faire pour que ça aille mieux après« . Ils leur dĂ©lèguent le pouvoir dans la rĂ©ussite scolaire de leurs enfants. D’autre au contraire placent leur enfant le plus tĂ´t possible sur le « marchĂ© scolaire » dans l’espoir de cumuler les avantages, de gagner un an, dans une course Ă la prĂ©cocitĂ© aussi dangereuse pour les enfants que pour l’Ă©cole maternelle. Ces parents mettent la pression sur les maĂ®tres, exigent des enseignants des « preuves » du travail scolaire qui peuvent ĂŞtre autant d’obstacles Ă une vĂ©ritable activitĂ© intellectuelle, pour certains Ă©lèves. La maternelle, si elle devient lieu d’apprentissage prĂ©coce, est gravement menacĂ©e d’hyperactivitĂ©. Tout cela amène de grand doute, chez les enseignants comme chez les formateurs, sur ce que doit ĂŞtre l’Ă©cole maternelle. Il y aurait un grand risque au retour en arrière d’une pĂ©dagogie de l’expression Ă une pĂ©dagogie de la productivitĂ©. Mais en mĂŞme temps, il nous faut prendre en compte le fait que la frĂ©quentation assidue pendant trois ans est un temps suffisamment significatif pour permettre une organisation des apprentissages progressive dans le temps, au cours de laquelle les enfants puissent se voir grandir, avec des activitĂ©s diffĂ©rentes, mais organisĂ©es autrement que comme une programmation rigide, en tenant compte des Ă©carts importants entre enfants, y compris selon le mois de naissance. C’est un gros problème Ă rĂ©soudre, mĂŞme s’il est dĂ©jĂ bien attaquĂ©. Le second problème : penser les activitĂ©s et les contenus pour jouer pleinement son rĂ´le de compensation Ă l’Ă©gard des enfants des milieux dĂ©favorisĂ©s. Nous devons ĂŞtre très vigilants sur les activitĂ© de langage, sur la manière de l’organiser (et il me semble qu’on va un peu facilement vers la conscience phonologique, en faisant l’impasse sur le langage oral), mais aussi sur la forme pĂ©dagogique de l’Ă©cole maternelle : attention de ne pas rester Ă une « pĂ©dagogie invisible » : si on ne prend pas le temps de prendre du recul, de tirer avec les Ă©lèves des leçons des expĂ©riences vĂ©cues, on risque de ne pas aider ceux qui en ont besoin. Mais c’est très difficile Ă faire, avec le risque de tomber dans le dogmatisme. En ce moment, quand on lit la littĂ©rature sur la petite enfance, on trouve deux sortes de lunettes :
C’est la chance de l’Ă©cole maternelle, de s’interroger sur ce qu’elle doit continuer Ă ĂŞtre : une passerelle entre deux mondes Ă©ducatifs. Il faut donc qu’elle sache prendre en compte ce qui s’est passĂ© avant, tout comme l’Ă©lĂ©mentaire doit prendre en compte ce qui a Ă©tĂ© fait en maternelle. Cette « construction progressive » de l’identitĂ© de l’Ă©colier se fait par des apprentissages symboliques et des apports culturels, autant dans le jeu que dans les sĂ©ances d’apprentissages guidĂ©. S’il y a du doute, il y a aussi des ressources, qui doivent passer par la professionnalisation des enseignants de maternelle, qui n’est pas un sous-produit de l’Ă©lĂ©mentaire. On ferait d’ailleurs considĂ©rablement progresser l’Ă©lĂ©mentaire si on faisait progresser les connaissances sur ce qu’est la spĂ©cificitĂ© de l’enseignement en maternelle. Sur les conditions matĂ©rielles de la rĂ©ussite, il faut avoir un assez grand nombre de rĂ©fĂ©rence sur les stratĂ©gies Ă utiliser, les modes d’action qu’on peut avoir, et ĂŞtre suffisamment routinĂ© sur ces attentions pour ĂŞtre capable d’y porter un regard, mĂŞme bref, au bon moment, pour tous les enfants, mĂŞme ceux qu’on a tendance Ă oublier. Le fait de le consigner quelque part peut permettre de faire des bilans efficaces, de se demander « mais avec celui-lĂ , oĂą en est-on ?« , y compris pour pouvoir provoquer l’Ă©change, avec ceux qui en ont besoin. Comme le dit Mireille Brigaudiot, s’intĂ©resser Ă ce qui intĂ©resse les enfants…   Mireille Brigaudiot, professeur d’IUFM : La construction du JE : « Le jeu n’est pas une activitĂ© en plus, c’est le fondement du psychisme« Juliette, Ă 2 ans 3 mois, dit « t’as soif« , et sa mère rĂ©pond « oui, t’as soif » et donne de l’eau. Un an après, quand la petite fille dit « t’as abĂ®mĂ© le livre« , la mère rĂ©pond « c’est toi qui l’a abĂ®mĂ©, il faut que tu le rĂ©pares« . C’est Ă partir de cet exemple que je vais dĂ©cliner mon propos. Les recherches, encore très parcellaires, doivent s’articuler pour permettre de comprendre la globalitĂ© de l’enfant qui fait des progrès. Toutes les mères vont suivre le processus dĂ©crit ci-dessus : parfois, elle se calent sur les bizarreries de leur enfant, et montrent qu’elles ont compris. Et parfois elles corrigent. Mais jamais elles ne leur demandent de rĂ©pĂ©ter. Nous allons observer ça Ă partir de la construction du dessin chez un enfant. On peut repĂ©rer sept moments dans le dĂ©veloppement :
A l’Ă©cole, on a donc (entre deux et 3 ou 4 ans) :
Il n’y a pas d’un cĂ´tĂ© la crèche, de l’autre cĂ´tĂ© l’Ă©cole, mais deux lieux oĂą on doit se poser ces questions, surtout pour ceux qui n’ont pas eu la chance de rencontrer des adultes qui les considèrent comme la huitième merveille du monde. Le jeu n’est pas une activitĂ© en plus, c’est le fondement du psychisme… Question de la salle : qu’est-ce qui vous semble poser problème, sur le terrain des classes ? Mireille Brigaudiot : indiscutablement, le manque de formation des maĂ®tres.   Notes de Patrick Picard – Page publiĂ©e le 21/06/2006  |
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