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Par Françoise Solliec

Pour 5 lycées de Seine-Saint-Denis, un conventionnement avec l’IEP Paris permet de « travailler autrement » aux élèves d’une trentaine de classes de seconde et de première et à leurs enseignants, constitués en véritables équipes. Eclairages sur une expérimentation dans sa deuxième année à travers les propos de Philippe Destelle, professeur de SES et coordonnateur de l’action au lycée Jean Renoir, à mettre en regard de ceux apportés par les enseignants de Jacques Feyder, lors de la rencontre annuelle du dispositif « Réussite pour tous ».

« Ca nous change la vie, ça change la leur »

C’est bien dans l’objectif « réussite pour tous » que le lycée Jean Renoir de Bondy s’est engagé dans la mise en place l’an dernier d’une expérimentation concernant 144 élèves dans 5 classes de 2nde. Comme à Feyder ce sont des classes non informées à l’avance qui ont été désignées, 4 de SES, car c’est l’option souvent choisie « par défaut », accueillant les élèves des milieux les plus défavorisés, et 1 de PCL. Cette année, l’expérimentation porte sur 250 élèves, répartis en 5 classes de 1ère (dont l’une formée d’élèves non concernés l’an dernier) et 3 classes de 2nde.

Au cours de deux après-midis par semaine, communes à plusieurs classes, les élèves font l’apprentissage de l’autonomie, en travaillant par petits groupes, ou en plus grands, sur des projets lourds qu’il faudra faire aboutir. Des enseignements de méthodologie visent à leur permettre de maîtriser l’organisation de leur travail, tandis que des enseignements de remédiation sont offerts en tant que de besoin.

Dans ce même temps, et parfois aussi à d’autres moments, ils vivent l’ouverture sur le monde : lectures de journaux, visites de musée et d’entreprises, conférences dont ils ont choisi les thèmes, etc. Une partie des programmes est abordée de manière pluridisciplinaire et décloisonnée, de façon à soutenir l’intérêt et rendre plus motivante l’acquisition de différentes notions.

Enfin, comme la majorité des options ont été choisies par défaut par les élèves (une 1ère est SMS, une autre STG), une large place est réservée à la construction d’un projet personnel de l’élève. Des informations concrètes sur les métiers, liées à des rencontres ou des manifestations, et le tutorat d’un enseignant référent (2 rencontres prévues par mois) leur permettent de découvrir et préciser petit à petit leurs compétences, leurs goûts et leurs ambitions. C’est aussi dans la relation avec le tuteur que s’effectuent le suivi du travail scolaire et les recadrages nécessaires.

Qu’en ont tiré les élèves de l’an dernier ? « On leur a donné goût à vivre au lycée et à se projeter dans un avenir professionnel » répond Philippe Destelle. « Leur regard sur les profs a changé. Ils ont bien compris qu’on formait une équipe. Ils nous ont vu travailler avec eux, à côté d’eux et ne pas hésiter à mettre les mains dans le cambouis pour la réalisation des projets. Toute l’activité autour de l’orientation leur a permis de prendre conscience de leurs souhaits et leur avenir leur est apparu beaucoup plus clair. Il y a eu des réorientations en fin d’année, mais elles ont émergé avec leur accord et ont été fort bien acceptées et, objectivement, il y a eu moins de redoublements ».

L’élaboration des projets est un axe fort de l’année. Beaucoup de projets sont liés au théâtre, car le lycée a conclu de nombreux partenariats en ce domaine, dont l’un, très actif, avec la Comédie française. L’établissement a demandé d’ailleurs l’ouverture d’une filière théâtre, qui complémenterait ses filières cinéma et arts plastiques. Deux classes ont monté le Bourgeois gentilhomme et l’ont joué à la Comédie des Champs-Elysées, tandis qu’une classe a travaillé sur un atelier critique avec des étudiants journalistes. A l’aide de téléphones portables prêtés par Orange, une classe a réalisé de petits films video. Enfin, tous ont travaillé à la préparation des voyages d’études, Guyane (1classe), Chine (1 classe), Mauritanie (1 classe) et Sénégal (2 classes). Ce dernier voyage a de plus été l’occasion d’un projet sur l’abolition de l’esclavage. En travaillant ces projets, explique Philippe Destelle « ils ont montré des talents et pris confiance en eux. L’atmosphère des classes a été pacifiée et le travail plus fructueux. Les voyages ont été des occasions extraordinaires de découvertes et de vie en commun. On travaille là pour des élèves qui arrivent « en faisant la gueule » et c’est formidable de les voir s’ouvrir et s’épanouir. Cette façon de travailler, ça nous change la vie, ça change la leur. Mais on n’a pas encore assez de recul pour un vrai bilan ».

Un questionnaire de satisfaction a néanmoins été distribué aux élèves et aux familles. Les résultats en sont très positifs et les familles, en grande majorité présentes aux réunions d’informations et de discussions, « font globalement confiance à l’expérimentation et à l’équipe ». Quant aux enseignants, ils ont tous souhaité continuer et ceux qui avaient demandé une mutation interacadémique (donc tôt dans l’année scolaire) l’ont regretté ; pour les remplacer et assurer l’extension du nombre de classes concernées, de nouveaux enseignants se sont joints à l’équipe. « Ca nous a coûté beaucoup de temps » avoue Philippe Destelle, « mais on y a trouvé notre compte et on s’est enrichis mutuellement, en découvrant les techniques pédagogiques de chacun. C’est un métier où on se sent souvent tout seul, mais on a réussi à le changer. Maintenant, je peux mettre mon grain de sel partout ! ».

Et s’il n’y avait pas le soutien de Sciences Po ? « Ca nous a apporté des moyens importants pour les voyages et les activités d’ouverture et des partenaires prestigieux. Mais il y a sûrement d’autres entreprises intéressées. Le rectorat nous a donné 18 HSA, mais il n’est pas sûr que cela se pérennise. Comme on n’est pas dans un établissement ZEP, on ne bénéficie pas d’assistants d’éducation, ni de 2 professeurs principaux par classe. Mais l’article 34 permet à des équipes de se constituer autour d’une expérimentation et c’est ça qui compte. On n a rien inventé, mais dans ce cadre on a réussi à mutualiser des expériences diverses et à mettre en place des modalités pédagogiques qui devraient être généralisables » conclut Philippe Destelle.