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Par Françoise Solliec

Au printemps 2007, les sept lycées professionnels parisiens du bassin Villette-Magenta décidaient de s’inscrire, avec le soutien du CIO du 19ème, dans une démarche d’accompagnement spécifique des élèves absentéistes. Comment convaincre les élèves d’y participer ? Comment outiller les enseignants participant, pour trouver chez chaque jeune le point d’entrée qui lui permettra de sentir chez lui au lycée et de dépasser son manque d’intérêt pour l’école ? Même si des éléments de réponse sont trouvés çà et là, l’expérimentation met bien en lumière la grande difficulté de l’éducation nationale à traiter les élèves ascolaires.

Un dispositif à plusieurs volets car « il n’y a pas de solutions clé en mains »

L’absentéisme des élèves de 1ère année de CAP et de BEP, notamment dans les filières les moins attractives, est un problème aigu que connaissent tous les lycées professionnels et auquel ils souhaitent remédier, car c’est aussi un signe précurseur de décrochage scolaire et de sorties sans qualifications pour des élèves assez jeunes (15 à 17 ans). A partir d’actions menées dans quelques lycées et collèges, un dispositif cohérent, articulé en plusieurs volets, a été élaboré au sein du bassin Villette-Magenta, coordonné par la directrice du CIO du 19ème arrondissement, Martine Vanhamme-Vynck.

Dans plusieurs lycées a été aménagé un « espace projet élèves », EPE (tous les établissements devraient à terme en ouvrir un). L’EPE est ouvert deux ou trois journées par semaine, animé par des enseignants volontaires (une petite dizaine en moyenne par établissement), les équipes de vie scolaire et les équipes médico-sociale. Il s’agit aussi bien d’offrir aux élèves, repérés par les enseignants et les équipes de vie scolaire, des enseignements de remédiation individuels que de tenir compte de la situation personnelle du jeune et d’identifier les causes, le plus souvent externes, de son absentéisme (travail de nuit, abandon de la famille, grande pauvreté qui se traduit parfois par pas de domicile, drogue, etc.) L’élève est convié à venir à l’EPE, même s’il n’est par ailleurs pas présent dans les cours. Cela peut poser ponctuellement problème à d’autres élèves ; la direction et les enseignants le gèrent.

« L’admission dans l’EPE correspond à une entrée dans un dispositif : un protocole doit définir les modalités de la prise en charge et ce qui est attendu du jeune (durée, objectifs, personne référente ou tuteur, engagement de l’élève …).Le mode de contrat passé avec l’élève est central ; en effet, malgré son absentéisme, il est admis dans l’EPE et doit se conformer à des règles précises et cadrées » nous dit Martine Vanhamme-Vynck.

Dès les premières réflexions sur la construction des EPE, il est apparu que les équipes éducatives impliquées auraient fortement besoin de formation et d’accompagnement. Un partenariat a donc été conclu avec plusieurs structures.

L’association « La corde raide » offre une expertise en psychologie de l’adolescent, notamment sur la prévention des conduites à risques, et intervient déjà dans d’autres projets « Réussite pour Tous ». Une de ses missions concerne spécifiquement la prévention du décrochage scolaire

Le travail mené avec les lycées vise à cerner et faire connaître aux équipes les facteurs de déclenchement de l’absentéisme. Pour cela, un questionnaire a été proposé, dans chaque établissement, aux élèves de première année de CAP, BEP et de 3ème DP6. Les questions portaient sur la perception des jeunes de leur vie dans l’établissement (projet, organisation, climat) et de leur conduite individuelle (démotivation, stress, conduites à risques). La restitution en a été faite d’abord devant les élèves, sous forme d’un débat d’une heure dans chaque classe, pour permettre aux membres de La corde raide de faire un travail d’écoute et d’analyse, voire de repérage de difficultés individuelles.

Dans un second temps, une réunion de synthèse a rassemblé les membres de La corde raide, deux représentants de chaque classe et l’ensemble des membres concernés de l’équipe éducative. Les élèves ont pu directement interroger les professionnels de l’établissement et participer au débat sur l’absentéisme. Cela a permis à la communauté éducative de préciser ses représentations et d’établir une nouvelle forme de dialogue avec les élèves.

Les enseignants qui se sentent démunis pour mettre en place des modalités pédagogiques de remédiation individuelle peuvent bénéficier d’une formation par l’Atelier de pédagogie personnalisée, APP, du 10ème arrondissement qui propose une approche centrée sur la personne et fondée sur l’autoformation accompagnée. Mais, comme le remarque Benoît Boiteux, proviseur du lycée Hector Guimard, « leur expertise n’est pas complètement transférable, car il est tout à fait différent de s’adresser à des adultes motivés pour reprendre une activité de formation ou à des élèves peu intéressés ».

Si aucune des possibilités offertes dans l’établissement ne permet d’améliorer la situation du jeune, il peut être fait appel aux services de La corde raide, pour un suivi psychologique individuel, ou à ceux de la mission générale d’insertion. Celle-ci réservera quelques places aux élèves des LP du bassin qui auront décroché de leur scolarité, qu’ils aient été exclus par conseil de discipline ou qu’ils se soient eux-mêmes exclus. Un lieu d’accueil commun (L.A.C) offrira à ces jeunes des ateliers projet/ formation/ emploi, en lien avec les missions locales, le CIEJ, les CFA, les CIO et autres membres du réseau public d’insertion des jeunes (RPIJ).

C’est le GAIN (groupe d’aide à l’insertion), mis en place au niveau du bassin et rassemblant proviseurs, directrices de CIO, membres des équipes éducatives et personnel MGI, qui décidera de l’entrée de ces jeunes dans le dispositif après un entretien/bilan systématique au CIO.

Le groupe permet également des échanges et une régulation entre les établissements à propos de l’ensemble du projet, mais « réunir les gens est un luxe » estime Martine Vanhamme-Vynck en soulignant la lourdeur et la complexité des problèmes auxquels doivent faire face les lycées professionnels. Il y aura quand même une réunion de coordination d’ici peu, car les mois de janvier et février constituent « un moment charnière ».

Le projet bénéficie du soutien financier de la région (rémunération des intervenants extérieurs), mais aussi du rectorat, car il s’inscrit de manière exemplaire dans une priorité académique. Ainsi des hse sont réservées à cette action pour rémunérer les enseignants volontaires et une journée spécifique de conférences et d’échanges a été organisée par la division de la formation courant octobre, en liaison avec la recherche action contre le décrochage menée par l’académie.

« Quand on reçoit un élève pour lui infliger une sanction, c’est toute la misère du monde qu’on rencontre»

« Au lycée Hector Guimard, nous n’avons pas voulu attendre d’avoir toutes les réponses pour faire vivre le projet » explique Benoît Boiteux. « On sait que des élèves vivent dans des conditions très difficiles et on fait ce qu’on peut pour les aider en leur apportant des aides financières (prise en charge des transports et de la cantine) ou médicales (avec l’appui de La corde raide), mais il faut maintenant définir une manière efficace de s’y prendre ».

Le questionnaire a été distribué courant octobre dans 8 classes, dont le profil psychologique est assez différent, selon qu’il s’agit de filières attractives comme le BEP techniques de l’architecture et de l’habitat ou de filières à image dévalorisée comme le CAP de serrurier métallier ou celui de couvreur. La présentation des résultats aux classes a eu lieu les 5 et 7 décembre. Dans cette restitution, les critiques formulées sur l’emploi du temps ont été mises en relation avec les troubles du sommeil. L’ambiance des classes est globalement jugée bonne, mais le dialogue avec les enseignants est parfois vécu comme difficile. Dans les 3 classes couvreur, peintre et métallier, l’adhésion à l’orientation proposée est relativement faible. Un phénomène de découragement est notable et l’avenir professionnel n’apparaît pas clairement. Plus grave encore, la consommation de substances psychoactives y est plus clairement identifiée.

L’EPE a été mis en place début novembre. Une réunion mensuelle de l’équipe, constituée des personnels de direction, de vie scolaire, médico-sociaux, des professeurs principaux et des enseignants volontaires (7-8) permet de suivre la présence (mouvante) des élèves. « C’est là qu’on se rend compte que, sauf exception, la remédiation pédagogique n’est pas le problème » affirme Benoît Boiteux. « Il faut essayer de déterminer des compétences non affirmées dans les cours et s’en servir comme d’un levier pour remotiver le jeune, mais ce contact ponctuel permettra-t-il une insertion plus globale ? Chaque fois que je convoque un élève pour une sanction, c’est toute la misère du monde que je rencontre. Mais, dans cette situation, c’est simple, je ne m’en occupe pas puisque je ne suis là que pour appliquer la règle. C’est une tout autre affaire lorsqu’il s’agit d’entamer un dialogue avec l’élève, dans l’espoir qu’on arrivera à le faire changer d’attitude ».

Effectivement, au bout de quelques mois de fonctionnement, « les décrocheurs graves » le sont toujours, selon Benoît Boiteux. Cependant, une dizaine d’entre eux sont restés au lycée et continuent à venir à l’EPE. « On fait de la remédiation comportementale. Je dis aux enseignants : laissez tomber le programme, trouvez des façons de mettre les élèves en activité, de mobiliser leur compétences et leur intelligence, profitez des activités en ateliers et partez de problèmes concrets qui obligent les élèves à se poser des questions ». La sociologue Maryse Hedibel, spécialiste du décrochage scolaire, accompagne l’équipe du lycée dans sa démarche.

Cette remise en cause pédagogique est réinvestie dans les cours de classe. Mais les autres enseignants éprouvent beaucoup de difficultés à sortir d’un cadre qu’ils considèrent comme protecteur. Pourtant, parmi les quelque 100 élèves arrivant chaque année, la moitié connaissent des difficultés d’ordre linguistique et il faut aider ceux des classes les moins appréciées à finir par aimer une filière qu’ils n’ont pas voulue initialement. Une douzaine d’entre eux disparaîtront de la première année des CAP, quatre ou cinq des BEP. Sur les 400 élèves du lycée, plus du quart ont été absents plus de 4 demi-journées sur le mois d janvier (dont un bon nombre avaient déjà été dans le même cas en décembre). Pour eux, l’école n’est visiblement ni importante, ni obligatoire et l’encadrement familial souvent n’existe pas, mais le stage en entreprise est parfois vécu comme une intégration sociale structurante, une occasion de valorisation de compétences ou de comportement.

Le regard que portent les enseignants sur ce type d’élèves est donc déterminant. S’ils perçoivent une authentique confiance en eux, tout devient possible. C’est ainsi que des projets professionnels ambitieux sont proposés (chantiers de réfection de bâtiments, réalisation de fresques, etc.) et que des enseignants s’investissent pour monter des activités théâtrales (se présenter sur scène est un exploit remarquable pour certains élèves).

Pour améliorer l’efficacité du dispositif, Benoît Boiteux veut travailler dans deux directions. Il semble absolument nécessaire au proviseur d’outiller davantage ses enseignants. « Il faut qu’on arrive à avoir de véritables travaux pratiques de pédagogie. Que se passe-t-il si, avec un élève de 15 ans, on prend les choses de cette manière ou de cette manière ? » Par ailleurs, il est prévu, au niveau du bassin, de conserver dans chaque lycée quelques places pour les réorientations. Mais ce souhait se heurtera probablement aux contraintes d’affectation des élèves sortant de 3ème..