Print Friendly, PDF & Email

Du 2 au 4 avril, le Ciep (Centre International d’Etudes Pédagogiques), l’OFAJ et la fondation Genshagen, avec le concours du Ministère de l’Education Nationale et de la Fondation Robert Bosch invitaient des journalistes français et allemands à visiter le système de formation professionnelle de deux pays : la France et l’Allemagne. Divergences, convergences, dans la lignée de la stratégie de Lisbonne, les états des lieux plaident ils pour une harmonisation de l’enseignement professionnel en Europe ?

Diner de travail pour les journalistes français et allemands

Enseignement professionnel : orientation par défaut ou voie royale ?

Le système allemand de la formation professionnelle est considéré comme un modèle d’insertion, de bonnes relations entre l’école et l’entreprise. Mais, en Allemagne et en France, parle-t-on de la même chose lorsqu’on s’intéresse à la formation professionnelle ?

La formation duale allemande

En Allemagne, la formation professionnelle rime avec formation duale et désigne une organisation où l’entreprise est le lieu principal de formation. La formation duale se déroule la plupart du temps dans un centre de formation intégré dans l’entreprise sur une durée de deux à trois ans et demi. La première année, le jeune apprend dans un atelier école, puis progressivement, il intègre un poste de travail réel. Sur une semaine, il reste trois jours ou quatre jours en entreprise et le reste en centre de formation externe. C’est le cas par exemple de l’entreprise BSR. Cette description est simplificatrice car dans ce pays décentralisé, chaque Lander (ou région) développe sa propre variante.

L’objectif de cette formation est de former des jeunes aux gestes professionnels, à les rendre opérationnels dans l’un des 350 métiers couverts par des formations reconnues. A la fin de son parcours, il obtient en cas de succès une certification lui permettant d’exercer la profession visée.

La formation duale peut être intégrée à la fin de chaque type de cursus du secondaire : la « Hauptschule », permettant de s’orienter uniquement vers la formation duale, la « Realschule » qui donne accès à toutes les formes de formations professionnelles grâce à un enseignement général étoffé et le  » Gymnasium  » (lycée) qui après l’Abitur (le bac) donne accès aux cursus professionnels et généraux. L’orientation vers la formation professionnelle peut donc s’effectuer très tôt, dès la sortie du premier cycle, entre 10 et 12 ans. En tout, ce sont 62,5% des jeunes qui se dirigent vers la formation professionnelle et en sortent avec une certification. La formation duale est souvent désignée comme la voie royale pour s’insérer dans la vie professionnelle. Actuellement, 622 000 entreprises forment environ 1,6 million de jeunes pour 80% dans des P.M.E./P.M.I.

La dualité de l’enseignement professionnel en France

En France, l’apprentissage n’a pas le monopole de l’enseignement professionnel : à la rentrée 2006, on comptait 719 666 élèves de l’enseignement professionnel et un peu plus de 378 000 apprentis dont 270000 nouveaux contrats signés en 2006.

Les centres de formation par apprentissage (CFA) accueillent des jeunes du CAP à la licence professionnelle. Ils appartiennent à des chambres consulaires (chambre des métiers, chambre de commerce et d’industrie, etc.) à des organisations professionnelles ou alors dépendent d’établissements d’enseignement (Ministère de l’Education Nationale, Ministère de l’Agriculture, etc.). L’apprentissage se base sur une formation alternée en CFA et en entreprise et peut se structurer autour de la pédagogie de l’alternance exploitant le lien entre les différents lieux d’apprentissage. Il doit déboucher sur un diplôme ou une certification professionnelle reconnue au niveau national.

L’enseignement professionnel accueille des jeunes du Cap au BTS dans des lycées professionnels de l’Education Nationale et du Ministère de l’Agriculture. L’enseignement supérieur développe également des cursus professionnels avec les licences et des masters Pro. En lycée professionnel, des ateliers permettent une bonne pratique complétée par des périodes de stage en entreprise. L’équipement dépend des financements obtenus auprès du Conseil Régional et de la taxe d’apprentissage versée par les entreprises.

Les lycées des métiers, comme celui du bois à Paris, proposent une variété de cursus qui intègre l’apprentissage, le lycée et la formation continue.

Que ce soit en Cfa ou en lycée, l’orientation en enseignement professionnel est perçue dans beaucoup de cas comme un échec, un placement sur une voie de garage, avec un taux d’insertion variable selon les secteurs professionnels. Elle présente pourtant un recours possible pour les jeunes recalés de la filière générale en proposant des passerelles entre les deux systèmes ; recours mis à mal par la perspective du Bac Pro en 3 ans.

Des jeunes laissés sur le bas côté de la voie scolaire

Formation duale, apprentissage ou enseignement professionnel, de chaque côté du Rhin, des jeunes sortent du système scolaire sans qualification. En Allemagne, on estime que ce sont près de 15 % des élèves qui sont concernés. En France le CEREQ évalue à 60 000 le nombre de sorties du CAP et du BEP sans diplôme ; plus globalement, le chiffre de 120 000 est cité pour les sorties sans diplôme, quelque soit le niveau . Les raisons avancées sont fort différentes. En Allemagne, les sans qualifications sont souvent des recalés du système dual. En attendant un contrat de formation avec une entreprise, ils sont accueillis dans des dispositifs dits « boucles d’attente ». Lorsque les entreprises sont en difficulté, elles ouvrent peu de places en formation duale. La modification du tissu économique a entraîné un glissement des places vers les Pme du tertiaire. Las d’attendre, dans un sas peu valorisé, les jeunes quittent le système et tentent de s’insérer sans qualification reconnue formellement. La situation varie selon les landers, de l’Est au taux de chômage record, au Sud plus florissant, le paysage de l’insertion est contrasté. Partout, le passage vers la formation en entreprise semble incontournable pour réussir son insertion professionnelle.

En France, l’orientation est souvent remise en cause. Le choix de l’enseignement professionnel par défaut fait des ravages du côté de la motivation. Le dialogue entre les entreprises et l’école est encore bien timide et trop teinté d’idées reçues pour s’attaquer réellement au problème. D’un côté, on reproche aux diplômes et à l’enseignement une mauvaise adaptation aux besoins du marché de l’emploi, de l’autre, on soupçonne des pratiques abusives des employeurs dans le contexte de l’apprentissage.

On touche là un débat profond renvoyé par les deux conceptions de la formation professionnelle. Doit elle former à des gestes professionnels, doit elle viser l’opérationnalité immédiate des nouveaux arrivants sur le marché du travail comme en Allemagne ? Ou doit elle s’inscrire dans une logique d’évolution professionnelle en intégrant dans le cursus des enseignements généraux favorisant l’adaptation et la capacité à évoluer dans l’entreprise ?

Dans la perspective de l’éducation tout au long de la vie, dessinée par le Traité de Lisbonne, ces questions méritent d’être posées.

Après cette visite expresse de deux systèmes éducatifs, aucun modèle idéal n’émerge. Et c’est bien naturel. L’Europe de la formation professionnelle reste à construire dans des contextes culturels et historiques spécifiques qui méritent mieux qu’un modèle unique.

Monique Royer