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L’Egalité des chances, un concept passe-partout ?
C’est avec l’ambition d’y voir un peu plus clair que les CRAP-Cahiers pédagogiques, en synergie avec la sortie d’un numéro centré sur cette thématique, organisaient un colloque sur la question à Paris, les 3 et 4 novembre derniers.
« Malgré ses ambiguïtés, le slogan porte des valeurs positives. Différenciation, aide, évaluation, socle commun en sont quelques unes des clés » expliquait en préambule Florence Castincaud, rédactrice en chef des Cahiers Pédagogiques. les chercheurs qui allaient se succéder à la tribune allaient chacun donner leur version du problème.
Après avoir brossé un tableau de la situation dans les pays d’Europe, Eric Maurin reprit la thèse développée dans son ouvrage « La nouvelle question scolaire » : les pays sélectifs sont les pays les plus inégalitaires ; la France possède un système aux évolutions lentes ; on constate l’arrivée sur le marché du travail de générations globalement mieux formées ; mais les « sans-qualification » sont désormais à la porte de l’emploi, du fait de l’augmentation de la qualification des postes de travail en France ; la démocratisation du bac est essentiellement liée à l’augmentation du nombre de bacs pros.

Guillaume Duval, d’Alternatives Economiques, insista sur le risque de décrochage dans la démocratisation : manque d’investissement dans la petite enfance, massification sans moyens pour l’enseignement supérieur, un enfant d’ouvrier a toujours quatre fois moins de chance de réussir qu’un enfant de cadre.


Agnès Van Zanten
centra son propos sur le changement de logique de l’action publique : d’un traitement de « masse » (travail sur les zones prioritaires), on passe à une centration sur les cas individuels. Quand le territoire n’est plus vécu comme terrain d’action, on développe les logiques de « contrats » bureaucratiques, qui érodent l’investissement des acteurs, qui adapte les enseignants à leurs publics. Elle pointa notamment l’étrange consensus qui semble régner sur la nécessité « d’individualiser » des situations pourtant largement déterminées par le social.



Antoine Prost
attaqua par une des boutades dont il a le secret : « En France, nous avons une pratique institutionnelle coréenne, avec un discours findandais » : pratiquer la marche forcée pour mettre en œuvre une soi-disant politique de réussite de tous, quelle cohérence ? Pour lui, le manque de mixité sociale est le frein essentiel à la démocratisation, mais des marges sont possibles : l’effet-maître est important, et les écarts de réussite entre les résultats de certains territoires sont tels qu’ils nécessitent de s’interroger sur ce qui peut y permettre des réussites singulières.



Yves Reuter rendit compte de sa recherche sur l’Ecole Freinet de Mons, qui montre les effets positifs de l’engagement des enseignants sur le travail scolaire et l’engagement de leurs élèves : « Je fais le pari que leur rapport à l’Ecol est différent et positif, intéressant pour les rapports au savoir et la suite de leur vie. L’élève peut parfois réparer l’enfant ».


Pour Françoise Lorcerie, il existe bien à l’Ecole des contextes discriminatoires envers les élèves d’origine étrangère : «  »L’Ecole baigne dans ce contexte, la discrimination pénètre par les élèves, les enseignants, tous les acteurs de l’Ecole ». Selon les enquêtes de la DEPP, on constate certes un progrès générationnel dans les trajectoires scolaires, mais les élèves expriment un sentiment d’injustice envers l’institution : moins de place d’apprentis, plus d’orientation en lycée professionnel…
Elle propose de travailler ces questions avec les élèves eux-mêmes, en les aidant à pouvoir les expliciter, les analyser, mais aussi en travaillant sur l’histoire de l’immigration, comme le propose Benoit Falaize. Pour le restes, « le mutisme ministériel sur cette question renvoie au « débrouillez-vous », voire au « tous coupables »… »

Pour Arnorld Bac, de la Ligue de l’Enseignement, le gouvernement devrait avoir des scrupules à parler d’égalité des chances dans le contexte actuel (suppressions des postes et des mises à disposition). Plutôt que sauver les plus méritants, la Ligue préfère parler de droit dans le cadre d’une obligation faite à la nation. La république actuellement ne peut pas tenir ses promesses : « L’école tend à perdre beaucoup de sens pour bien des élèves. Le système éducatif doit se transformer sous peine de se déconnecter… », notamment en développant l’interdisciplinarité, en adaptant ses rythmes et ses démarches, en renforçant la formation de ses personnels, et en prenant en compte son environnement éducatif, social, économique … « L’éducation ne peut être que partagée, dans le respect des rôles de chacun ».



Jacques Bernardin
centra son propos sur « l’insoutenable ambiguïté de l’aide », à la fois risque de discrimination supplémentaire, et moment important pour prendre de l’information sur les difficultés des élèves les plus fragiles. « Ces dispositifs devraient amener les enseignants à modifier certains équilibres de la classe pour se centrer davantage sur les plus fragiles, parce que la logique de rattrapage est un puits sans fond ». Dans la classe comme dans les groupes d’aide, il propose donc d’insister sur l’enjeu cognitif et identitaire des tâches, sur l’estime de soi, sur la résonnance culturelle, comme le dit Boimare. plutôt que l’individualisation, il préfère le groupe, avec une présence forte du maître : enseigner les techniques et les mécaniques, mais aussi travail d’explicitation sur les consignes et les procédures, faire le lien avec les séances précédentes…



Concluant les échanges, Patrice Bride, secrétaire général des CRAP, revint sur les ambiguïtés de l’Egalité des chances : « Ce serait entrer à l’Ecole comme on prend le départ d’un marathon : les meilleurs en premier, et les plus mauvais derrière pour qu’ils ne dérangent pas ». Plutôt que « donner sa chance », il préfère suivre Maurin dans ses conclusions : la meilleurs façon de traiter la question des inégalités, c’est de mener une politique du logement et de l’emploi qui évite l’exclusion. Mais l’Ecole a son rôle : « une école juste doit développer du lien, des projets communs, ne pas en rester à la sélectivité organisée de certaines matières. Droit à l’erreur, entraide, égale dignité sont les clés d’une école qui se centre, au-delà des destinées indviduelles, l’éducabilité de chacun et la destinée collective« .