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« Une bonne évaluation est légitime et indispensable pour l’élève, l’enseignant et les programmateurs de l’E.N. Mais tout évaluateur doit connaître les limites de l’évaluation qu’il propose ». C’est le rôle que se fixe Jacques Delacour qui analyse pour nous l’évaluation de CE1.

Rien ne permet d’affirmer que les items proposés constituent un reflet exact de ce que devrait savoir l’élève. Ils reflètent le souhait du programmateur. Vous pouvez toujours souhaiter que votre enfant de 2 ans parle 4 langues…

Encore moins probable, une courbe de Gauss, rendant compte de l’éparpillement des résultats, ne signifie pas des niveaux insuffisants, moyens ou supérieurs de connaissances. On a déjà fait le coup avec le QI…

Chaque item devrait faire l’objet d’une publication de ses résultats. On verrait ainsi que l’item « désigner le plus petit nombre » est beaucoup plus réussi que les problèmes. Peut-on décemment additionner ces deux items pour déterminer le niveau de l’élève ? A la limite, le problème n’est-il pas le seul à rendre compte de la capacité mathématique ? Mais si les résultats aux problèmes sont désastreux, ne faut-il pas penser que leur niveau n’est pas de CE1 ? J’invite les maîtres à proposer les problèmes dans toutes les classes de l’école pour vérifier la progression du succès. Ils seront peut-être surpris de voir que certains CM1 ne réussissent pas !

Et que vont apporter ces évaluations pour une réflexion sur l’efficacité des pédagogies appliquées ici ou là en CE1 ? A-t-on seulement essayé de comprendre pourquoi des classes équivalentes n’ont pas les mêmes résultats ? On a parlé de l’effet maître, mais l’effet pédagogie est-il contrôlé ? Peut-être par peur de constater que certaines pédagogies, dites marginales et seulement tolérées, réussissent mieux que la pédagogie « officielle ».

Autre remarque : comment ne pas penser que la publication prématurée des épreuves ne va pas en changer les résultats ? Il serait bien dommage que des élèves trouvent de l’aide directe ou indirecte, qui se retournerait contre l’E.N. dont on se gausserait des résultats désastreux. La pression mise sur les enseignants, en publiant les résultats (ils le seront d’une façon ou d’une autre) devrait les conduire à ouvrir un contre-feu tout simple, faire passer les items les plus difficiles à tous les élèves de l’école. En comparant les résultats avec les CE2 ou même CM1, on aurait des surprises. De même, en réunion de parents, puisque ces derniers connaissent le système en base 10, leur demander de compter en base 4, leur réapprendre le système de numération (comptage) positionnelle en base 4 puis leur faire appliquer leur savoir sur une soustraction à retenue en base 4. Cela leur donnera une idée de ce qui est demandé en CE1 à leurs enfants.

Et il est dommage qu’un outil comme l’échelle Dubois-Buyse reste inutilisé pour tester l’orthographe lexicale. Là encore, les maîtres peuvent proposer à la dictée une liste de mots tirés de l’échelon 11 et vérifier la situation de leurs élèves par rapport à une statistique établie sur 1 717 765 graphies réalisées par 59 469 élèves. Mais au fait, connaît-on cette échelle si pratique au Ministère ?

La messe est dite : il faudra beaucoup de savoir-faire, d’expérience, de connaissances, de mesure et d’intelligence pour parvenir à tirer quelque enseignement profitable de cette évaluation. Une telle dépense d’énergies, de temps, de finances, mériterait que cela aboutisse à des constats profitables pour tous : programmeurs officiels, enseignants, élèves et parents.

Les résultats doivent aussi remettre en question un retour trop accentué du balancier programmatique : avoir abandonné certains points des programmes de 45 ne signifie pas qu’il faut y revenir en totalité. Un long travail d’équilibre entre la pratique réalisable et les programmes reste à faire, sachant que le savoir enseigné n’est finalement que le support d’un développement intellectuel et moral que la pédagogie met en place pour faire de l’apprenant momentané un apprenant perpétuel.

Commentaires point par point (pour les cas les plus frappants) :

Français :

Exercice 16 : lecture

On rate une occasion de comparer les vitesses de lecture : un simple chronométrage de la lecture aurait permis de constater combien cet indice apporte d’informations quant à la maîtrise de la lecture, surtout en CE1.

Item 7 – 8 – 9

L’item le plus difficile n’est pas en fin d’exercice. Les mots commençant tous par « p » devraient se trouver en dernière ligne.

Page 5 Question N°4 : 2 fautes sur le cahier de l’élève …

Cloué (e oublié) et terrifié (e oublié)

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exercice 6

Grammaire formelle qui n’améliore pas l’intelligence du texte. Plus des deux tiers de chaque classe ne réussira pas tout correctement.

Il est maladroit que le texte fasse lever « une main » à la place de « la main ». On plie le texte au test de grammaire… Qui écrirait qu’il a levé une main en classe pour obtenir la parole ?

L’exercice aurait pu demander, comme dans l’item suivant, de souligner un verbe dans une phrase, un nom dans une autre…etc. et les résultats seraient différents (les maîtres peuvent tester dans leur classe, en reprenant les phrases du test officiel)

Exercice 7

Même formalisme, qui n’aura aucune corrélation avec l’intelligence du texte.

Le métalangage grammatical est le dernier souci des enfants de CE1 qui ne peuvent comprendre son utilité et doivent seulement mémoriser des mots (nom, article, verbe, sujet) sans contenu conceptuel véritablement accessible. Les résultats le prouveront. Le test simultané de nature (verbe) et fonction (sujet) pousse à l’erreur.

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Dans un cas la consigne est compréhensible (le mot contraire est employé à la place d’antonyme), dans l’autre, on emploie le mot synonyme. Si on veut vérifier que l’enfant sait ce qu’est un mot quasiment équivalent, il ne faut pas créer une frontière cognitive au niveau lexical. Même si le maître explique synonyme, cette explication peut s’évanouir au fil des items suivants.

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Dictée de mots :

Quand Alfred Binet conseillait déjà en 1911, de ne pas dicter des mots inconnus, mais d’opter pour une connaissance préalable du mot, de peur d’inscrire une fausse image visuelle du mot, on est étonné de cette « dictée ».

On peut aussi se demander comment les enseignants vont lire « jungle », comme à l’origine orale du mot ou comme la lecture l’impose parfois, comme elle a imposé dompteur en prononçant le p qui ne se lit pas (baptême) !

Tout instituteur sait qu’il ne faut pas faire écrire des mots fautivement.

Si, comme je le dis depuis des années, on ne confondait pas coder et décoder, cela n’arriverait pas.

Voici le résultat prévisible rapporté à l’échelle Dubois-Buyse :

mot

échelon

Acquis par 75% des élèves en …

% d’élèves réussissant à 75% en CE1

lionne

absent

jungle

absent

nonchalant

absent

combler

22

CM2

45%

merveille

15

CE2

59%

marsouin

absent

Si on voulait vérifier que l’enfant savait transcrire quelques phonèmes, on aurait pu proposer :

Moustache (échelon 8), soleil(7), rédaction((9), journée(10), fromage(11), véritable (12), tous inclus dans une phrase.

Les mots irréguliers choisis peuvent laisser perplexe… Si on consulte l’échelle orthographique Dubois-Buyse : aucun des mots ne figure parmi les mots connus par 75% des élèves en CE1, comme le montre le tableau suivant :

mot

échelon

Acquis par 75% des élèves en …

% d’élèves réussissant à 75% en CE1

Pendant

15

CE2

59%

Encore

14

CE2

63%

Souvent

17

CM1

50%

Après

17

CM1

50%

Toujours

21

CM2

33%

Longtemps

28

5ème

11%

Les résultats de l’évaluation permettront donc de faire le point sur la validité de l’échelle Dubois-Buyse.

Il aurait été profitable d’introduire les mots dans une phrase pour les faire écrire, comme le conseillent Ters, Mayer et Reichenbach, question de sens, de bon sens :

« Je suis toujours à l’heure. écrivez toujours »

Mathématique :

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Exercice 3

L’exercice proposé est très difficile pour des CE1. Car il teste simultanément deux capacités.

Les élèves doivent inférer la règle de composition et ensuite l’appliquer correctement. Le seul fait d’écrire le premier nombre correctement indique que la règle a été trouvée, l’ensemble correct indique le calcul exact.

La division par deux ne devrait être réussie au mieux que par 20% des élèves. J’ai vu une caissière poser sur sa calculette 25×4….Alors la moitié de 100 ou de 50 en CE1, allez donc savoir !

Exercices 4 et 5

Même objectif, on pourrait éviter le doublon.

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Exercice 6

Le comptage ne donne aucune indication de connaissance mathématique nécessaire pour résoudre les problèmes. Même dans la vie courante on ne compte plus (monnaie, poids, et comptage de clous ou de pièces par pesage…). On ne devrait donner le point qu’à ceux qui ont entouré des groupes de 10 triangles, même si le nombre final est faux !

On voit ici la limite du papier-crayon et des photocopies remplaçant la manipulation. On peut supposer que tous les élèves compteraient manuellement correctement 49 jetons. Leur manière de compter n’est pas innocente pour la suite (groupement par 5, 10 ou comptage en récitant la comptine, un à un)

Les élèves utilisant les réglettes Cuisenaire (4 oranges plus une bleue) vont être surpris de ce comptage de maternelle.

Page18

Exercice 7

La difficulté des opérations n’est pas progressive, il aurait fallu proposer l’ordre BADC. Les résultats de la soustraction seront désastreux par rapport à l’addition. En fin de CE1 peu d’élèves, qui ont pourtant bien compris le fonctionnement, arrivent à réaliser mentalement de telles opérations (13-6). Ce que j’ai constaté en testant les élèves de CE1 arrivant en CE2 pendant plusieurs dizaines d’années (voir l’évaluation au CE2 – J.Delacour – Hachette)

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Exercice 8

Des divisions sont proposées alors que le livre du maître fait état seulement d’additions, de soustractions et de multiplications (page19)

Exercice 9

Les additions ne sont pas graduées, l’une aurait pu se faire sans retenue, l’autre avec retenue, proposer deux opérations avec retenue c’est s’assurer de l’insuccès, est-ce le but recherché ?

Page 20

Exercice 10

Une seule soustraction, c’est insuffisant : une hirondelle ne fait…

Statistiquement cela n’a absolument aucune valeur.

Ne pas tester soustraction sans retenue puis avec retenue est aussi une erreur. Je pense que 15 à 20% des élèves réussiront cette soustraction à retenue. Ce pourcentage que j’ai constaté durant des années n’a aucune influence sur la suite de la scolarité en mathématique.

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Exercice 13

Le problème est trop compliqué pour la majorité des élèves. Il faut, sur une seule question, répondre à plusieurs : trouver la somme dont on dispose, trouver le prix de 3 B.D., trouver le reste. Le point accordé est donc très difficile à obtenir… La réussite par moins de 50% des élèves rendrait ce test inutile.

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Exercice 19

Un travail de fourmi ! Ca manque un peu de réalisme, reviendrait-on aux robinets qui fuient et aux baignoires qui se remplissent ? Doublon avec le 17

Seuls quelques points ont fait l’objet d’une critique que j’espère éclairée. L’ensemble ne répond pas du tout à un objectif d’évaluation formative et assez mal aux critères d’une évaluation sommative fiable. Aucune conclusion sérieusement étayée ne peut être tirée de l’ensemble des résultats.

Jacques Delacour

Directeur d’école honoraire