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Sophie Morlaix, de l’IREDU, qui a rédigé son Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) autour de cette question, regarde les compétences d’un point de vue très spécifique, en relation avec d’autres équipes universitaires, notamment des psychologues, pour mieux comprendre les déterminants de la réussite scolaire. « C’est une approche empirique, à partir de résultats d’évaluations d’élèves, qui n’a pas l’ambition de donner des réponses toutes faites aux praticiens, mais plutôt de susciter des questionnements ».
Rappelant que cette notion de compétences est apparue dans le monde des organisations, de l’entreprise, il y a une trentaine d’années, sous la forme des « référentiels de compétences », et se sont progressivement diffusées dans le système éducatif. Quand Philippe Perrenoud y voit la marque d’un doute de l’Ecole sur sa capacité à préparer au monde économique, «développer les compétences» semble être devenu la nouvelle mission de l’école, comme en témoignent les dernières versions des programmes ou le socle commun.

Définitions multiples« Cette notion de compétence pose un grande nombre de questions, quant à sa définition, sa portée, ses conséquences pour mesurer ce que savent les élèves, mais aussi sur le fonctionnement quotidien de la classe et les pratiques concrètes d’enseignement ». Elle paraît parfois si difficile à cerner qu’elle fait figure de « caverne d’Ali-Baba conceptuelle », comme le disait Marcel Crahay en 2006 : « chacun met dans le concept des conceptions très différentes, qui ne permettent pas forcément d’en tirer des ressources opérationnelles pour l’action. A chacun, donc, de se faire sa propre définition de la compétence… »
Pour elle, on peut entendre l’idée de compétence comme une capacité de mobiliser le trio savoir (connaissances), savoir-faire (capacités méthodologiques) et savoir-être (attitude). « Dans ce cadre, nous appelons « compétences spécifiques » celles qui relèvent d’une discipline, et «compétences transversales» celles qui relèvent des savoirs-faire et des savoirs-être (certains pourraient dire des « qualités ». Le socle commun n’est pas très loin de cette définition lorsqu’il combine des connaissances, des aptitudes (nommées capacités) et des attitudes. »
Le Boterf, qui observe les compétences dans les organisations, préfère utiliser le terme de «savoir-agir reconnu ». Il ajoute donc une nouvelle dimension : une compétence est quelque chose de reconnu, validé par une personne extérieure, par exemple l’enseignant.
Mais quelles que soient les définitions, S. Morlaix pense qu’in peut insister sur l’idée qu’une compétence « mobilise » plusieurs types de ressources internes au sujet (connaissances antérieures, capacités cognitives, vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail…) et externes (aller à la recherche d’informations, consulter des données…), dans une situation donnée, particulière : non seulement reproduire ce qu’on sait, mais élaborer en s’adaptant à une situation nouvelle. « En ce sens, c’est sans doute un enjeu essentiel pour réfléchir à ce que doit apprendre l’Ecole ».

Regarder les relations pour découvrir les compétences a posteriori ?Jusqu’ici, les évaluations locales, réalisées par chaque enseignant dans sa classe, comme les évaluations nationales, évaluent plutôt des connaissances que des compétences, soit pour classer les élèves, soit pour organiser des remédiations. Les évaluations internationales, comme PISA, tentent d’évaluer des compétences « utiles dans la vie de tous les jours », et ont été parfois critiquées pour cela.
C’est pourquoi l’IREDU a cherché à comprendre ce qu’on pouvait faire des outils d’évaluation à notre disposition. « Comprenant que la « compétence » est difficilement mesurable, on a cherché à collecter, mesurer différents indicateurs qui aient quelque chose de statistiquement commun, qu’on pourrait appeler a postériori (et non a priori) compétence ». A partir des évaluations nationales CP, CE2, 6e, son équipe a décortiqué les batteries d’items, en s’apercevant que certaines «compétences» (au sens employé par le ministère) étaient évalués par douze items (extraire l’information d’un texte) quand d’autres étaient mesurées par un seul (reproduire une figure sur un quadrillage). « Cela pose forcément la question du seuil de réussite : avec un seul item, on est forcément sur 0 ou 1… Nous avons aussi constaté que certains items qui étaient censés mesurer la même compétence avaient un pourcentage de réussite absolument pas corrélé entre eux, ce qui interroge sur le manière dont ces évaluations sont construites ».
Son équipe a donc eu la démarche inverse, en postulant qu’une compétence était définie par les liaisons qu’avaient entre eux les résultats à tel ou tel item, indépendamment de ce qu’il était censé évaluer… Décoder a postériori plurôt qu’a priori
« Nous avons fait ce travail de l’entrée au CP à la fin de la 5e. Nous avons mis à jour des « blocs d’items » qui avaient des liens entre eux, et identifié 63 compétences (qu’on pourrait appeler « variables ») à l’entrée au CE2. Nous les avons regoupées pour fabriquer des « blocs ». Au CE2, trois se distinguent : le calcul mental, les compétences attentionnelles et l’orthographe. A partir de cela, nous avons cherché à aller plus loin, dans une double perspective transversale (à un moment T) et longitudinale (en suivant l’évolution des élèves au cours du temps).
Dans la perspective transversale, nous avons constaté une logique pyramidale : certaines compétences semblent pouvoir être acquises que si on en maîtrise préalablement d’autres : attention, calcul mental, orthographe, soustraction…
Elle appelle cependant à prendre cette pyramide avec des réserves, notamment parce que certains élèves semblent maîtriser le premier niveau (attention) sans accéder au suivant… « Mais cette hiérarchie nous semble à considérer, tout en en cherchant pourquoi certains élèves n’accèdent pas au niveau suivant. Pour le comprendre, nous regardons dans le temps l’évolution des compétences des élèves, et nous remarquons des liens de plus en plus forts, qui nous permettent d’identifer des « compétences-clés » qui semblent favoriser un parcours sans encombre. »
Mais sa réflexion va plus loin, « puisque nous sommes dans un processus d’enseignement-apprentissage : ce que font les enseignants peut jouer sur les résultats ». Pour comprendre ce qui favorise l’acquisition de ces compétences, l’IREDU s’est donc tourné vers d’autres équipes de recherche en ayant conscience de nos limites, mais en pensant que certaines caractéristiques intrinsèques des élèves favorisaient leurs compétences cognitives. « Les psychologues cognitivistes nous ont aidé à comprendre qu’une capacité semblait essentielle : la mémoire de travail. »

Quelles pratiques pédagogiques efficaces ?Comment faire, donc, pour développer des activités d’enseignement qui permettent de limiter l’influence des écarts de capacités cognitives entre élèves, puisqu’elles semble intrinsèques à chaque individu ? Plusieurs pistes lui semblent possibles pour échapper à ce qui peut paraître trop déterministe :
– Faire le choix de développer les activités systématiques qui permettent de mobiliser les capacités cognitives et d’en réduire le coût (ex : apprendre les tables de multiplication) : en automatisant les procédures de base (connaître par cœur 7×3), on peut libérer de l’espace en mémoire de travail pour la résolution de problème.
– S’interroger sur les périodes les plus propices pour les apprentissages en intégrant le fait que tous les élèves n’apprennent pas au même rythme.