Print Friendly, PDF & Email

Erick prayrat : « l’Erosion de l’autorité ? »
remeryPropos liminaires : dissymétrie, autorisation, reconnaissance, tiers, temps…
Dans la pratique enseignante, l’autorité n’est pas simple domination. Elle appelle de celui qui est en position basse une forme d’obéissance qui n’est pas celle qui relève du pouvoir. Il n’ a pas d’enseignement sans exercice d’autorité, non qu’elle soit un ingrédient, mais parce qu’éduquer et autoriser sont les deux faces du même processus. L’autorité est un concept meta-éducatif.
Ce qui fonde l’auorité magistrale, c’est la culture, les oeuvres, le monde déjà-là. Le professeur introduit le nouveau venu, doucement, dans l’antériorité de la culture, rend la scène du monde signifiante. On ne s’autorise jamais seul à être responsable, y compris de soi.
Toute relation d’autorité se joue donc à trois : l’enseignant, l’élève, le monde et ses savoirs. Quand ces derniers sont menacés, c’est la relation qui est menacée.
Pour ne pas réduire la relation d’autorité à la manipulation ou à la coercition, il faut préserver cette relation indirecte, cette activité qui vise à susciter en l’autre une activité. Elle appelle donc du temps et de la reconnaissance de celui qui apprend. Elle est donc temporaire : le professeur n’a pas vocation à l’être indéfiniment sur celui qui, progressivement apprend. Elle travaille à sa propre abolition. Elle est dialectique de l’étayage et de l’interdiction, parce qu’il n’y a pas d’émancipation sans contrainte. Le professeur doit donc interdire les attitudes d’omnipotence ou de régression.
Pourquoi une érosion de l’autorité éducative : lecture sociologique, philosophique, anthropologique…
Le terme d’érosion semble à Prayrat préférable au mot de crise. Parler d’érosion, c’est parler du temps long des temps sociaux. Crise renvoie davantage aux empoignades idéologiques.
Premier appui, la sociologie. Concernant les professeurs, c’est d’abord la conséquence d’une perte de confiance, de crédit de l’institution scolaire comme institution de promotion, comme le décrivent F. Dubet et M. Duru-Bellat. La « promesse d’emploi » du « si tu travailles bien » semble avoir du mal à être tenue. La valeur instrumentale de l’école se décale, entre ce qui et demandé et ce qui est raisonnable d’attendre. L’enseignant chahuté est le représentant d’une institution qui tient mal ses promesses, particulièrement envers les milieux populaires qui ont inversé leur rapport à l’Ecole. Alors qu’au XXe elle étaient en attente d’école, c’est moins le cas aujourd’hui pour les plus précaires. La réponse à cette attente ne peut donc être que politique, et les stratégies individuelles, pédagogiques peuvent détourner des vrais enjeux : revitaliser la question de l’égalité des chances, d’une écoel qui en appelle plus à la justice qu’au mérite. Ce n’est que dans une école qui fait réussir que le professeur peut faire autorité.
Le point de vue philosophique éclaire le problème d’un autre plan. L’érosion de l’autorité résulte de la pénétration des valeurs de l’idéal démocratique, notamment l’égalité, dans les shères pré-politiques, dont l’Ecole et la Famille. Elle engendre un effacement des rapports d’altérité, un affaiblissement des rapports d’autorité adulte-enfant, dans une tension entre une conception hiérarchique et le mouvement d’émancipation critique propre à la modernité, qui tend à coloniser les rapports sociaux aujourd’hui. Face au problème, deux solutions :
– clore l’école et la rendre imperméable au vent démocratique qui souffle dehors. Mais c’est totalement illusoire, tant est grande la « passion de l’égalité » dont parlait Tocqueville. On peut rêver, mais il ne faut alors pas croire qu’on pense…
– comment être hospitaliser envers ces valeurs démocratiques que nous avons choisis, tout en continuant de garantir la dissymétrie, condition nécessaire de l’enseignement ? Sans quoi, on risque de se condamner à toutes les impuissances éducatives.

remeryAu niveau de l’établissement, on est mis au défi d’inventer un mode de régulation conforme à l’idéal démocratique, sans renoncer à la spécificité scolaire : la modalité discipline et la modalité juridique. Le droit fixe les limites, borne, présuppose l’égalité des personnes et la communautés des égaux. Nous sommes condamnés à marier la carpe et le lapin.
« Au niveau de la classe, j’ai montré dans « Questions de disciplne à l’Ecole » que l’autorité n’est pas « déjà-là, mais qu’il faut co-construire le cadre disciplinaire dans la classe, aux deux sens du terme, pas des petits trucs, des petites ficelles éminemment utiles ». Les « gestes professionnels » sont des habiletés techniques pour conduire une classe, qu’on aurait tort de mésestimer sous prétexte qu’ils n’ont pas leur place dans les manuels de pédagogie. « Il faut mémoire garder », faute de quoi nous sommes toujours sommés de réinventer le monde et le métier…

La lecture anthropologique montre l’importance du « présent » dans les sociétés post-modernes, où le temps investi se rétrécit à la dimension du présent. « On vit vite, on vit pour aujourd’hui », disait Nietzsche… « On est coincé entre un passé lointain qui nous parle peu, qui a perdu toute transcendance, et un avenir incertain« . Ce temps rétrécit dessaisit, fragilise l’autorité de l’éducateur dont le temps humain fait la matière. Si le professeur ou les parents font autorité, c’est parce qu’ils viennent de plus loin. Ils ne sont pas au dessus de l’élève, ils sont en avance.
La formule de l’autorité me semble ainsi se définir : « là ou je me situe, et où tu ne te trouves pas encore tu accéderas le temps venu », dans la continuité générationnelle. Cette lecture anthropologique est redoutable : c’est la crise de la transmission. Lorsque le présent devient ultime référence (mode, consommation), la culture des pères cède le pas devant le culte des pairs, la mimesis…
Quels défis ? Quelles perspectives ?remery« Il reste une voie qui noue attidude individuelle, organisation collective et affirmation politique : il n’y a d’autorité du professeur que dans l’attachement visible et ostentatoire à quelques grands principes moraux et intellectuels, la promotion et l’organisation de formes collectives de travail qui assurent l’avenir du travail professoral, l’affirmation politique forte de l’utilité publique de l’acte d’enseigner dans une société de la connaissance, la perspective d’une déontologie professorale, comme une manière de nouer ces trois questions, entre l’individuel et le collectif, la responsabilité individuelle et la responsabilité colelctive. Si le professeur est individuellement responsable de ceux qu’il accueille, il est collectivement responsable du monde et des valeurs, dont la non transmission mettaient en péril l’avenir du monde… »