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houssaye« L’autorité est toujours quelque chose qu’on pose théoriquement ». C’est le fondement de l’acte éducatif, mais l’incantation d’appeler à son retour , notamment chez les « républicains antipédagogues » qui pensent que l’autorité des savoirs est par définition non-négociable, restant dans une posture incantatoire. Ils subordonnent les retour à l’Ecole comme un acte de pure volonté, oser être des maîtres et siffler la fin de la récréation de l’Enfance. Pour eux, la question est réglée par nature dans la définition…
Mais plusieurs ouvrages nous montrent que c’est moins simple. Si l’autorité, cela consiste à vous imposer à un groupe pour faire ce que vous avez décidé, l’autorité peut non seulement faire problème, mais être source du problème. La « potestas » est le pouvoir accordé par la fonction, pour prendre des décisions et commander dans la classe. Mais « l’auctoritas » est fondée sur l’attestation d’une forme de supériorité, et non sur la puissance de contrainte. C’est arriver à persuader sans recourir à la force. Selon Arendt, l’autorité, c’est l’influence, pas la contrainte. Quelles sont les caractéristiques de l’influence éducative ? Autorité non-autoritaire, autorité bienveillante ?

Pourtant, force est de constater que sur le plan des pratiques, on n’en sort pas. Il faut en parler « pratiquement ». Ce sont les manques ou les excès qui posent problème. Les élèves peuvent être humiliés, dit Pierre Merle, ou violentés, comme le prouvent les fréquentes conférences internationales sur la question. Dans la formation des enseignants, on sait que les jeunes enseignants sont minés par la crainte de ne pas pouvoir gérer une classe, même s’ils sont assez assurés de leur bagage intellectuel.
Ces phénomènes ont une lourde histoire : c’est l’histoire de la contrainte, très têtue, avec une longue plainte issue de la coercition depuis les Romains. La férule fut longtemps le symbole de l’Ecole, avec en contrepartie la complainte des théories de l’Education qui émettent des doutes sur l’efficacité des méthodes brutales. Rapidement, la punition va se transformer en faute, l’enfant comme être en danger à sauver de lui-même. Plus tard, et en réaction, ce seront les thèses inverses de l’enfant idéal et pur par nature.

Le discours selon lequel houssaye« les élèves manquent de…, refusent de…. » se retrouve dans tous les siècles, et est consubstantiel à l’Ecole. Aujourd’hui comme hier, l’autorité échoue sur deux plans : résoudre les problèmes quotidiens et respecter les conceptions éducatives… Pourtant, le contexte y était autrefois plus « favorable », dans la conjonction séculaire de la tradition religieuse, dans la sainte alliance de la religion, de la tradition et du politique, comme le dit Hannah Arendt. Aujourd’hui, à l’inverse, le vivre-ensemble est à construire dans une « aventure quotidienne ». La tradition est disqualifiée par les modernes, soucieux d’éduquer à et vers l’avenir. C’est l’uatorité de la transmission et non plus de la tradition. Maîtrise, promesses, attentes…
Mais il faut rappeler que cette même modernité se retrouve dans le vide de ses promesses, et on peut être tenté par un « retour à l’autorité » protecteur.

Un exemple avec les travaux d’Anne Barrère qui analyse le lycée : la valeur dominante aujourd’hui est l’utilitarisme, dans comme hors l’Ecole. Les lycéens attribuent une utilité globale aux études, au diplôme, sans que cela suffise à donner sens au travail scolaire. L’intérêt intellectuel n’est que rarement gratuit. On travaille pour la note, la moyenne, l’orientation. On investit, on calcule, on atTend les bénéfices scolaires de la note. Qu’elle soit mauvaise, et l’investissement disparait vite. Les préoccupations des professeurs et des élèves ne sont donc pas les mêmes. Le prof attend de la participation et de l’engagement, l’élève attend un « bon cours » qui va être pris en note et limitera le travail personnel. « Il faut à la fois les faire parler, et qu’ils se taisent »… Le désordre, le bruit qui franchit les murs de la classe est le symbole de la mauvaise réputation du prof. Les émotions sont donc au coeur du travail enseignant… Peurs, craintes, échecs, insatisfaction…

houssayeNe faut-il pas, pédagogiquement, résister à l’autorité ? La note de vie scolaire ne peut être qualifiée de réussite. On fait désormais appel au « bon sens » pour « former les profs à la discipline », avec son cortège d’exclusions et de sanctions pour que l’acte d’enseignement puisse se dérouler. C’est même la critique faite aux « pédagogues » accusés d’avoir contribué à tuer l’autorité. Or, ces pédagogues, même Alain qui prônait l’ennui dans la classe, liaient autorité et apprentissage.

Le discours médiatique populaire fait son miel des modèles comportementalistes anglo-saxons, destinés à lutter contre les familles démissionnaires. Et pas sûr que le nouveau modèle de formation (apprendre à faire classe quand on y sera) n’amplifie pas le problème : moins on formera à construire l’autorité, et plus on fera appel à ces modèles pour amplifier les incantations au « retour de l’autorité »…

« Sentiment d’impuissance des débutants ? Deuil de la toute-puissance du savoir en tant que tel ? Tension entre la conduite de classe et la conduite des apprentissages ? C’est bien là la marque que la difficulté d’apprendre à être pédagogue… » interpelle Dominique Gelin…
« Tout dépend si on reste dans un processus d’enseignement, ou si on se met à penser « apprentissage ». Nombre de pédagogues se sont construits pour inventer des réponses alors qu’ils étaient très en difficulté dans leur pratique ordinaire ». Pour tenir le coup, le collectif s’impose, une fois encore… Y compris contre les discours ambiants, même « habillés d’humanisme », comme le dit une conseillère d’éducation depuis la salle. « Le sale boulot dont parle Barrère, comment se le partager ? ». L’orateur reste à distance : « Je ne suis ni formateur, ni en situation de construire des réponses précises aux questions que vous posez, et pour lesquelles vous êtes bien placés pour construire les réponses. Le savoir-faire n’est pas le savoir… Et on ne résoudra pas ces questions difficiles avec des personnels précaires et non-qualifiés, comme on tente de le faire avec les aide-éducateurs… ».
La salve d’applaudissement jaillit, spontanée. Finalement, davantage encore que l’autorité, ce qui ne passe pas, c’est peut-être plutôt la pédagogie ?