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Claire Britten est Administrateur Territorial. Au cours de sa carrière, elle a travaillé comme directrice de l’éducation en mairies et dans deux départements. Retraitée depuis janvier 2010, elle livre ici quelques réflexions issues d’une pratique professionnelle engagée et attentive aux grandes questions posées par les politiques éducatives.

Mes réflexions portent sur trois aspects des rapports entre collectivités territoriales et écoles: les rapports aux familles, la place des agents territoriaux des services de l’éducation et sur l’image de l’école dans son territoire. Ces thèmes sont abordés avec l’optique de se donner des outils et de l’énergie pour résister ensemble aux sirènes du repliement et de la marchandisation, et répondre aux mieux, chacun à sa place, aux attentes de la société en matière d’éducation des enfants.

1 – Les études universitaires, et en particulier celles d’Agnès Van Zanten, mettent en lumière le facteur de connaissance, voire de connivence avec l’institution scolaire dans la réussite des élèves.

Tout au long de ma carrière je me suis engagée à développer des « guichets scolaires uniques », des documents d’information aux familles, à créer les conditions matérielles pour permettre l’ouverture des établissements scolaires aux associations de parents ou d’information aux familles, à faire poser des panneaux d’information, à impulser la création de sites Internet. J’ai organisé des cycles de conférences sur l’histoire de l’école, le rôle des acteurs ou tout sujet permettant une culture commune entre les acteurs éducatifs. J’ai toujours répondu présente aux demandes d’interventions devant les futurs directeurs d’école ou principaux pour présenter l’action des collectivités territoriales et j’ai souvent eu le sentiment d’être considérée comme un agent de propagande. J’ai vu des cartons de documents d’information non distribués, j’ai senti la méfiance, voire l’incompréhension. Il est pourtant indispensable que l’Education Nationale, dans toutes ses composantes, et les collectivités locales se mobilisent pour l’information des familles : information indispensable pour leur bonne connaissance de l’institution scolaire et des acteurs qui y travaillent au quotidien.

Lorsque j’interviens pour former des parents élus dans des instances scolaires, je commence par un jeu: « depuis quand les parents sont-ils considérés comme membres des communautés éducatives: depuis Jules Ferry, 1936, mai 1968? ». Les parents sont toujours étonnés quand je leur dis que la première allusion à cette communauté date de 1975, que les conditions ont été mises en œuvre en 1989, et que cette reconnaissance récente du rôle des parents n’est pas une tradition, mais une construction encore à parfaire. Je m’appuie sur le code de l’éducation et les parents sont toujours étonnés de découvrir leurs droits et l’étendue des compétences des instances dans lesquelles ils siègent. Lectrice attentive des comptes rendus des conseils d’école ou des conseils d’administration des collèges, j’ai souvent mesuré combien ces instances sont sous utilisées, alors qu’elles pourraient être des lieux de partage et de construction de politiques hardies. Les propositions des collectivités territoriales, en lien avec leurs missions, leurs partenariats culturels, sportifs ou autres, et leurs compétences générales peuvent contribuer à enrichir ces instances et à créer des occasions d’enrichissements mutuels.

Le développement des ENT et autres modalités de communications électroniques doit s’accompagner d’actions en direction des familles, sous peine de creuser encore l’écart entre celles-ci et le monde de l’éducation. Il est donc indispensables que les collectivités territoriales et les acteurs de l’éducation nationale mettent en place des temps formels et informels, et des ordinateurs en libre accès pour les familles qui ne disposent pas de connections à leur domicile, ni du mode d’emploi pour accéder au informations concernant la scolarité de leur enfant, notes, absences, mais aussi accès aux travaux collectifs ou les questions liées à l’orientation.

2 – les collectivités territoriales se sont dotées de services éducatifs de plus en plus professionnels qui sont des points d’appui pour les établissements scolaires.

Les directeurs de l’Education des services Education ou Affaires Scolaires et coordonnateurs des PEL sont regroupés depuis 1992 dans l’ANDEV (Association Nationale des Directeurs de l’Education des Villes). Celle-ci s’est fixée comme objectif d’aider ces responsables à faire face à leurs missions en constituant un réseau de réflexions, d’échanges d’expériences et de communication. L’ANDEV s’est positionnée sur une dynamique de « réflexion-action », totalement hors du champ catégoriel, syndical ou politique. Elle possède un site Internet www.andev.fr, et édite « la Communale », un bulletin de liaison exclusivement rédigée par des membres de l’ANDEV, professionnels territoriaux de l’éducation, acteurs de terrain, en contact quotidien avec les élus locaux, les enseignants, les parents d’élèves et l’administration de l’Education nationale. Ce document reflète leur perception et leur analyse de l’actualité éducative, des textes et dispositifs réglementaires de l’éducation et des collectivités territoriales, des présentations et des comparaisons d’expériences. Chacun des numéros comporte un dossier sur l’un des aspects de l’action éducative locale…Il rend compte de l’activité de l’ANDEV : colloques nationaux et réseaux régionaux, travaux et rencontres avec les ministères, les organisations représentatives des enseignants, des parents d’élèves, des associations partenaires de l’école…Son dernier congrès avait pour thème: « partager et penser ensemble l’éducation ». La qualité des intervenants et la teneur des débats ont légitimé le rôle incontournable de ces fonctionnaires territoriaux aux cotés de agents de l’Education Nationale.

Intervenant au colloque 2008 de l’association Education et Devenir j’exhortais les principaux des collèges à impliquer les acteurs de terrain que sont les agents TOS en rappelant que ces agents titulaires et contrats aidés sont membres de la communauté éducative dans tous les discours, mais dans la réalité ? Et pourtant quel formidable point d’appui : ils habitent le quartier, connaissent les familles. Par leur « longévité » dans certains établissements, ils ont connu les parents, les grands frères. Mais ils sont ignorés. Par exemple, on voit de magnifiques ENT, toute la communauté éducative est branchée, mais pas les agents TOS chargés pourtant de l’accueil, du standard, de l’hygiène, de la restauration… Je ne sais pas si ce discours a eu quelque effet, mais je suis convaincue que ces agents sont un formidable point d’appui dans les établissements.

Toujours au sujet des TOS, le choix fait par nombre de collectivités de ne pas privatiser la restauration scolaire doit être valorisé. Un travail conjoint entre les collectivités, les parents et les acteurs de l’éducation nationale autour du temps de repas, de la formation et de la valorisation des cuisiniers, de l’éducation au goût… est indispensable. Nous disposons de nombreuses études qui démontrent l’apport pour un collégien de fréquenter la restauration scolaire car elle permet une proximité, une implication indispensable. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des 60 rationnaires d’un collège de quartier populaire avec des excuses « ce n’est pas dans leur culture » ou « les mamans ne travaillent pas ».

3 – la convergence des actions des collectivités territoriales et des établissements autour de la valorisation de l’école publique

Trop d’occasions de valorisation conjointe ne sont pas saisies. J’ai ainsi en tête l’exemple des rencontres d’Averroès qui à Marseille offrent un volet « Averroès Junior », indiqué « sortie-cinéma » sur le carnet de correspondance d’une élève alors que c’était une formidable occasion de valoriser l’implication de l’école dans un évènement local et de permettre aux enfants d’expliquer ou de rappeler qui était Averroès à leur entourage et de mettre en avant la convergence d’un travail de fond entre les acteurs du territoire et l’éducation nationale sur le terrain crucial de l’histoire et du vivre ensemble.

J’ai aussi en tête les questions de sécurité et le discours sécuritaire qui ont des implications sur la perception de l’école. Ainsi les techniciens chargés de la maintenance des équipements scolaires de ma dernière collectivité ont quasiment tous inscrits leurs enfants dans des établissements privés pour les préserver de tous les maux décrits par les équipes de direction qu’ils rencontraient au quotidien (violence, incivilités, manques de repères des enfants et des familles…), alors qu’il y aurait eu tant de rencontres possibles autour de projets scientifiques ou techniques, de travaux réalisés ou de fêtes diverses.

Dans le dictionnaire de l’éducation, récemment publié au PUF, Antoine Belfort et Danièle Tranquart citent la réussite incontestable de l’académie de Rennes qui « témoigne des effets positifs de la confiance que la société bretonne accorde à son école, ainsi le système éducatif ne fonctionne sans doute jamais mieux que lorsqu’on lui fait crédit ». Cette analyse conforte les effets positifs des réseaux territoriaux. Je suis convaincue que le travail conjoint entre les collectivités et les acteurs éducatifs de leur territoire, travail respectueux, mais acharné est une clé de la réussite des élèves.

En guise de conclusion

Un passage d’un ouvrage superbe « livret de famille » de Magyd Cherfi (actes Sud):

«Tu marchais… non tu posais des pas lourds comme autant de bulletins scolaires qui pourrissaient ta vie, des bulletins scolaires, les nôtres, comme autant de coups de couteau dans ton cœur. L’école, c’était ta religion et tu acceptais que les français en soient les messagers célestes : ils étaient blancs, propres, ils savaient lire, écrire, construisaient des avions, inventaient des médicaments et travaillaient tous en costards. Toi, comme une espionne, tu voulais qu’on tchoure ce trésor caché dans leur crâne, qu’on braque tous les jours un peu plus de mots, des gestes, des trucs à eux. Mais l’école, cette banque fortifiée, se laissait pas prendre aussi facilement. »