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Par Mathieu Hanotin

Vice-président du Conseil général de Seine-Saint-Denis en charge de l’éducation, Mathieu Hanotin regrette que l’assemblée départementale n’ait pas été consultée. Car  » la prévention des violences scolaire ne peut plus être le fait d’initiatives locales et ponctuelles ». C’est l’affaire de tous.

Suite à l’émotion suscitée par le décès dramatique d’un élève du lycée Darius Milhaud du Kremlin Bicêtre le 10 janvier 2010, Luc Chatel a décidé de convoquer les Etats Généraux de la Sécurité à l’école. En effet, au delà de l’émotion médiatique légitime provoquée par cet événement dramatique il faut bien reconnaître que les violences scolaires deviennent malheureusement de plus en plus monnaie courante dans les établissements scolaires.

Alors quand le ministre de l’éducation décide de convoquer des états généraux, le premier mot venant à l’esprit d’un élu de banlieue comme moi c’est enfin ! Enfin, nous allons pouvoir nous réunir, nous, acteurs de la puissance publique, pour aborder de front cette épineuse question. C’était faire preuve de trop de naïveté. En effet, une collectivité comme le conseil général de Seine-Saint-Denis, qui est de fait un partenaire majeur de l’Education Nationale en matière de prévention de la violence, n’a été ni invité, ni même consulté d’aucune manière que ce soit dans le cadre d’un putatif travail préparatoire à ces Etats Généraux. C’est le cas pour mon Conseil Général, pour la très grande majorité des autres collectivités mais également pour une très grande majorité d’associations, d’acteurs de terrains, de professionnels de l’éducation reconnus.

Pourtant, le département de Seine-Saint-Denis assume pleinement ses responsabilités et va même largement au-delà de ses compétences légales. D’abord, nous nous sommes engagés dans une logique de prévention situationnelle pour nos collèges. La prévention situationnelle c’est l’ensemble des mesures physiques liées au bâti visant à protéger les personnes par des aménagements extérieurs et intérieurs des établissements. En Seine Saint Denis, c’est déjà une réalité prise en charge par la collectivité. Ces travaux de sécurisation s’appuient sur des diagnostics de sûreté réalisés par la Police Nationale (plus de 70 sur 120 en ont déjà bénéficié). D’ailleurs, les fameux diagnostics de sécurité annoncés comme une mesure nouvelle du gouvernement sont en fait demandés aux établissements depuis 2006. Les collèges de la Seine-Saint-Denis qui sont le plus touchés par la violence scolaire sont déjà équipés de vidéosurveillance (78 sur 120 collèges) ou de sas d’entrée pour empêcher un contact direct entre la cour de récréation et l’extérieur de l’établissement (53 sur 120 collèges). D’une manière plus générale, en 2009, c’est 1,9 Millions d’Euros qui ont été consacrés pour la sécurisation des collèges. Sans polémique, ce chiffre mérite pourtant d’être mis en parallèle avec l’aide de 21 000 euros apportée par l’Etat, à travers le Fonds Interministériel pour la Prévention de la Délinquance, pour la même année. 21 000 euros, c’est à peu près le coût de l’installation de 3 caméras….

D’autre part, nous remplissons nos missions légales sur la question de l’entretien des bâtiments, mais nous avons aussi fait le choix d’aller plus loin. Le département a été à l’origine de démarches de préventions du décrochage scolaire. Le temps de l’exclusion est un moment particulièrement crucial, c’est lors de ce temps que l’on constate le plus les phénomènes de basculement vers le décrochage scolaire qui abouti presque mécaniquement à un décrochage social. En Seine-Saint-Denis, le phénomène est d’ampleur, on recense environ 900 exclusions définitives tous les ans, et cela sans parler des exclusions temporaires, qui ne sont pas comptabilisées.

Voilà pourquoi nous avons impulsé la création de dispositifs d’accueil des collégiens exclus durant le temps de l’exclusion. Laisser les jeunes face à eux même n’est pas la solution pour permettre une bonne prise en compte de la faute effectuée. A travers ces dispositifs nous souhaitons redonner une pédagogie à cette sanction.

La situation est ardue, mais l’investissement et l’action politique se révèlent payants. A Pierrefitte, le dispositif de prise en charge des exclus permet que 80 % des élèves accueillis ne fassent pas l’objet d’une nouvelle exclusion. A la rentrée, 8 villes et 24 collèges seront concernés par ce dispositif. Ces différentes mesures sont nécessaires, mais ne nous y trompons pas, il s’agit d’éléments d’aide à la gestion quotidienne des établissements et en aucun cas d’une réponse aux phénomènes de violence scolaire.

De même, ces dispositifs impulsés au niveau local ne peuvent pas exonérer l’Etat de ses responsabilités. La prévention des violences scolaire ne peut plus être le fait d’initiatives locales et ponctuelles. C’est une priorité nationale si on ne veut pas que le système éducatif et l’ascenseur social qui va avec se fissurent définitivement, si on ne veut pas que les inégalités se creusent davantage.

Pourquoi des adolescents en arrivent-ils à commettre des actes d’une telle violence? Une telle attitude, si elle doit être jugée et réprimée, traduit de manière évidente une immense perte de repères. En Seine-Saint-Denis, à 15 ans, de nombreux jeunes sont persuadés qu’ils sont arrivés au bout de ce que la société leur permet d’espérer en terme de construction individuelle. C’est trop souvent cette absence de perspective qui provoque le décrochage scolaire et le basculement vers la délinquance. Le constat est clair, ces jeunes ne croient plus à la promesse différée de l’Education Nationale, à cet engagement qui a constitué le fondement de l’Ecole républicaine, à ce « si tu travailles bien, il y aura une place pour toi dans la société ».

Je veux être clair sur un point: lorsqu’un adolescent commet une faute, aussi grave soit elle, celle-ci relève évidemment de sa responsabilité, et il importe de ne pas l’en exonérer. Mais quand on constate une multiplication quotidienne de faits de violences commis par des adolescents, des enfants parfois, on a le devoir de s’interroger sur la responsabilité collective de la société. Renvoyer l’acte à la stricte responsabilité d’un mineur, ou à celle de ses parents, ce n’est pas la solution. On ne répondra pas à la violence uniquement en tentant de sortir les éléments perturbateurs des établissements. Le fantasme de séparer « le bon grain de l’ivraie » est vain. Il faut lui opposer une véritable volonté d’agir pour la réussite de tous les jeunes !

Alors que faire pour ne pas en rester aux stades de ces formules ? Il faut que l’ensemble des acteurs de l’éducation investissent massivement pour casser la spirale de l’échec scolaire. Les collectivités le font, au delà même de leur compétence, j’ai cité précédemment la prise en charge des élèves exclus, mais la plupart des collectivités ne s’en tiennent pas là et développent de véritables projets éducatifs.

En Seine-Saint-Denis par exemple, nous avons lancé un plan Culture Art au Collège qui implique plus de 95% des établissements pour un montant global supérieur à 1 millions d’euros, nous menons de nombreuses actions visant à accompagner les parents dans leur rôle d’éducation et non à les « stigmatiser » comme le font les annonces récentes de suppression des allocations familiales. Il ne s’agit ici que d’exemples qui ne pourront prendre toute leur force que si l’Etat agit à son tour.

Or, que constate t-on aujourd’hui ? L’Etat continue de se désengager sur les causes profondes de la violence scolaire. Le dogme du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux continue à s’appliquer à l’éducation (250 CPE recrutés en 2010 contre 400 en 2005).

Les anciens surveillants qui étaient des étudiants avec statut spécifique ont été transformés en emploi d’Assistant d’Education. Ils sont dorénavant recrutés niveau bac, sur un emploi à temps plein, au Smic. Et je ne parle même pas de la création récente de postes de « médiateur de vie scolaire » régis par aucun statut, ni aucune règle de recrutement si ce n’est la précarité.

Sur la formation des professeurs, on pourrait se dire que là il y a un enjeu majeur consensuel, notamment sur la prise en charge individualisée des élèves décrocheurs. Qu’en est il ? Non seulement rien n’est fait dans ce sens, mais la mastérisation va supprimer le peu de formation qui existait. A la rentrée prochaine en Seine-Saint-Denis, ce sont 1300 stagiaires et néo titulaires qui vont devoir faire cours à temps plein sans la moindre expérience, sans année de transition ou de formation entre l’université et l’enseignement.

Face à ces constats, on peut être légitimement inquiet des annonces qui sortiront de ces « Etats Généraux« . Les annonces dévoilées dans la presse d’une nouvelle échelle des sanctions ou du développement des dispositifs « relais » se heurtent à la politique de suppression de postes dans l’Education nationale. Comment faire mieux et permettre une prise en charge des jeunes décrocheurs avec moins d’adultes ? Avec des formules chocs comme la « tolérance zéro », le gouvernement risque encore une fois de tomber dans de l’affichage sans réalité concrète sur le terrain.

En matière de lutte contre les violences à l’école, il ne faut pas confondre causes et symptômes. La solution, il n’y en a qu’une, elle s’appelle l’Education.

Mathieu Hanotin

Dans le Café :

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