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C’est probablement la discipline la plus mobilisée contre les nouveaux programmes. Après avoir renégocié les programmes de seconde, l’Apses, association des professeurs de SES très représentative, a court-circuité le ministère en publiant un contre-programme de terminale avant le programme officiel. Elle pose ainsi la question de la place des enseignants dans le système éducatif. Sujets ou objets ?

L’APSES s’est engagée dans un combat déterminé pour le programme de terminale. Que craignez vous des projets ministériels ?

Nous craignons que les erreurs qui ont prévalu pour le programme de première se reproduisent. Les quelques indications rendues publiques par le groupe d’experts ne sont pas de nature à rassurer. Le principe de cloisonnement disciplinaire, visant à isoler économie, sociologie et science politique semble devoir encore prédominer. Les « experts » ont par exemple prévu un thème intitulé « Economie de la protection sociale ». Cela signifierait-il que la protection sociale ne puisse être étudiée conjointement avec les autres sciences sociales ? On ne peut également qu’être inquiet du nombre de thèmes qui pourraient être abordés : 23 en 30 semaines de cours ! Même si cette liste peut inclure certains thèmes de l’enseignement de spécialité, il semble difficilement concevable d’engager les élèves dans un véritable processus d’appropriation des savoirs en plus d’une douzaine de thèmes. Ajoutons à cela que le programme est écrit sans que l’on connaisse la forme que prendront les nouvelles épreuves du baccalauréat de SES en cours de rénovation elles aussi. On marche vraiment sur la tête.

Peut on parler vraiment d’un recadrage idéologique de la discipline SES ?

La question reste posée lorsqu’on sait qu’un premier projet de programme de seconde supprimait l’étude du chômage et du pouvoir d’achat et que le programme de première fait disparaître la notion de classe sociale alors qu’un thème complet y est consacré à l’étude des groupes sociaux. Rappelons-nous que François Dubet avait démissionné du précédent groupe d’experts à cause notamment des interventions incessantes du ministère. Les SES sont depuis longtemps sous le feu des critiques de certains lobbies patronaux, notamment sous l’initiative de Michel Pébereau, président de BNP Paribas et membre très influent du MEDEF. Sans que l’on puisse parler de commande directe, le nouveau programme de première réalise malgré tout quelques unes de leurs demandes anciennes : séparer l’économie et la sociologie et commencer l’année par l’apprentissage de notions économiques pour elles-mêmes et non pour éclairer des questions contemporaines qui font débat. Il est, par exemple, assez significatif qu’il soit demandé aux élèves dorénavant de « montrer » et non de « s’interroger » sur les avantages de l’échange international dès le second thème abordé ! Jacques Guin, ancien président de groupes d’experts de SES, est certainement un de ceux qui a le mieux analysé ce « recadrage ». En octobre dernier il écrivait à propos du nouveau programme de SES de première : « Ce programme se remarque d’abord par son excellente « mise en scène » : à ce titre, il « soigne la communication », non pas vers ceux qui vont avoir à l’enseigner, mais certainement d’abord vers les diverses catégories d’observateurs qui, de l’extérieur du système éducatif, critiquaient les anciens programmes. D’une certaine manière, il est « séducteur », avec ce que ce choix comporte de « trompeur ». S’agissant par contre de la manière de poursuivre les objectifs qui lui ont été assignés et que l’on ne peut qu’admettre en ce qu’ils reflètent comme toujours les choix « politiques » d’une majorité régulièrement élue (ce qui, réciproquement, autorise ses opposants à s’exprimer), il me paraît pour le moins critiquable. Je m’en explique. Le choix majeur, c’est sommairement celui de démembrer les SES… » ( http://www.apses.org/debats-enjeux/analyses-reflexions/a[…])

Vos adversaires disent que les SES doivent être plus proches de l’enseignement universitaire des sciences économiques. Que répondez vous ?

Les SES doivent bien sûr permettre aux élèves de réussir leurs études supérieures ce qui est d’ores et déjà le cas, les taux de réussite et d’insertion professionnelle des bacheliers ES rivalisent avec ceux des bacheliers S. Mais n’oublions pas que les bacheliers ES ont des poursuites d’études diversifiées, ce qui est heureux pour un baccalauréat général : si près de la moitié s’oriente dans des filières de l’enseignement supérieur où l’économie est enseignée (IEP, classes préparatoires, écoles de commerce, IUT, BTS etc.), moins de 10% d’entre eux poursuivent en licence de sciences économiques. Pour réussir dans l’enseignement supérieur, en se spécialisant éventuellement en sciences économiques pour un petit nombre d’entre eux, les élèves doivent avant tout recevoir une solide culture générale et savoir problématiser, disserter, synthétiser, chercher de l’information… En ce sens, l’universitarisation des contenus enseignés en SES au lycée est une solution mal ciblée. Elle ne répond pas aux finalités du lycée général. L’association française d’économie politique a d’ailleurs récemment déclaré souhaiter s’appuyer sur les points forts de l’enseignement actuel de SES au lycée pour « en faire les bases d’une réforme de l’enseignement de l’économie dans les institutions d’enseignement supérieur ». (http://www.assoeconomiepolitique.org/spip.php?article237)

Pourquoi ne pas participer au comité d’experts pour faire passer vos points de vue ?

L’APSES a participé au groupe d’experts pour le programme de seconde puis à celui de première avant d’en démissionner pour un désaccord profond avec la nouvelle philosophie du programme. Lorsque la participation à un comité ne permet pas de faire passer son point de vue, il faut refuser qu’elle serve de caution à des programmes qui réorientent profondément les finalités de notre enseignement. Nous avons une responsabilité vis à vis de nos futurs élèves. Mais l’APSES ne se cantonne pas à un rôle de critique des programmes conçus à la hâte sous la houlette du ministère. Systématiquement, en seconde, première et terminale, nous avons fait des propositions abouties pour montrer que d’autres programmes étaient possibles et que d’autres procédures de confection des programmes étaient nécessaires. Après avoir réalisé une enquête bilan sur l’actuel programme de terminale auprès des professeurs de SES, nous venons ainsi de publier une proposition de programme pour la Terminale sans attendre ce coup-ci celle du ministère qui devrait être publiée en février. Cette proposition est soumise au débat ; en plus des professeurs de SES, nous l’avons envoyé aux associations d’économistes, sociologues et politistes du supérieur, aux syndicats enseignants, lycéens et aux fédérations de parents.

Par votre position sur les programmes de première et terminale vous posez la question du pilotage du système. Quelle place les enseignants doivent avoir dans la définition des contenus d’enseignement ? Sont-ils légitimes à en décider ?

Je crois qu’il arrivera un temps où l’on comprendra que les procédures actuelles de confection des programmes sont archaïques. La mise en minorité numérique et symbolique des enseignants dans les groupes d’experts est assez révélatrice de la vision pyramidale de la transmission des savoirs qui existe aujourd’hui. L’absence de chercheurs en sciences de l’éducation, l’absence d’évaluation préalable des anciens programmes, l’incapacité à réfléchir conjointement aux modalités d’évaluation des programmes ou la démarche de la table rase sont quatre autres graves lacunes.

Dans un de nos communiqués de presse sur le programme de première, nous avons repris ces propos d’Émile Durkheim qui n’ont pas perdu leur pertinence un siècle plus tard : « Un programme ne vaut que par la manière dont il est appliqué (…), s’il est appliqué à contresens ou avec une résignation passive, ou il tournera contre son but ou il restera lettre morte. » Les enseignants sont ceux qui devront mettre en œuvre ces programmes. Aujourd’hui, près d’un enseignant de SES sur deux demande le report et la refonte du programme de 1ère ES. C’est l’indice d’un dysfonctionnement majeur. Il est probable que si le ministère s’obstine à passer en force, l’écart soit sans précédent entre ce que prescrit le programme et ce que les collègues enseigneront, chacun « bricolant » comme il le peut à partir d’un programme inenseignable, ce qui est sûrement le meilleur indice de l’écueil d’un programme.

Le programme de seconde est appliqué. Ce qui remonte aux oreilles du café c’est à la fois des critiques sur les horaires mais aussi le plaisir des enseignants à travailler d’une autre façon. Quel regard l’APSES jette-elle sur cette première année ?

L’APSES a lancé une grande enquête sur les conditions d’enseignement en seconde, à laquelle plus de 600 collègues ont répondu. Les résultats sont encore en cours d’analyse, mais permettent déjà de dégager plusieurs enseignements. Contrairement à d’autres enseignements d’exploration, les SES ont lieu dans plus de la moitié des établissements sans dédoublements ou groupes réduits. A 35 élèves par classe et en 90 minutes par semaine, les collègues connaissent souvent une dégradation de leurs conditions d’enseignement, très liée aux grandes difficultés de proposer des activités pédagogiques mobilisatrices pour les élèves dans ces conditions. Le nouveau programme impose de traiter huit chapitres, dont certains assez éloignés de ce qui permettait aux SES de susciter l’intérêt des élèves jusqu’à présent. Dans certains établissements, l’enseignement d’exploration de SES ne peut pas faire l’objet d’une évaluation chiffrée, ou alors, la note n’est pas prise en compte dans la moyenne de l’élève. L’APSES ne fétichise absolument pas la notation, mais le fait que les SES soient placées dans une situation différente de celle des disciplines de tronc commun génère des effets pervers redoutables et de la souffrance au travail. Rappelons que les SES ne sont pas un enseignement d’exploration créé de toute pièce par la réforme en seconde comme la plupart des autres enseignements d’exploration, mais la discipline « pivot » de la deuxième série du cycle terminal en termes d’effectifs.

Quels sont les prochains grands rendez-vous de l’APSES ?

L’association tiendra les 3 et 4 février son stage national annuel, sur le thème de la fiscalité, avec des interventions de Jean-Marie Monnier, économiste, Alexis Spire, sociologue, et Nicolas Delalande, historien. Dans la foulée, nous organisons les états généraux des SES le 5 février, qui permettront de réfléchir et de tracer des perspectives d’action sur les évolutions à la fois de la place (le matin) et du contenu (l’après-midi) de l’enseignement de SES. Dans chaque table ronde, des intervenants issus de la communauté scientifique en sciences sociales, des spécialistes en sciences de l’éducation, des enseignants de SES et des anciens élèves de la série ES apporteront un éclairage sur les enjeux actuels de cet enseignement, pour introduire une discussion avec les participants que nous espérons riche et porteuse de perspectives pour l’avenir.

Nous ne désespérons pas de faire bouger les positions du ministère car les soutiens que nous avons engrangés au cours des dernières années sont de plus en plus larges, à la fois du côté des enseignants de SES (nos pétitions et enquêtes mobilisent bien au delà des adhérents de l’APSES), des membres de la communauté scientifique en sciences sociales, des syndicats enseignants et des fédérations d’élèves. Et chaque jour l’actualité suscite des questionnements qui rendent plus que jamais nécessaire un enseignement de sciences économiques et sociales qui permette aux élèves de comprendre les enjeux contemporains en sortant du dogmatisme et du « café du commerce ». Le projet porté par l’enseignement de Sciences Économiques et Sociales a de très beaux jours devant lui !

Marjorie Galy

Entretien : François Jarraud

Le site de l’Apses

http://www.apses.org

Faut-il refaire les programmes de SES ?

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Une discipline révisée

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/Guide08_SESUn[…]