Print Friendly, PDF & Email

Face aux difficultés du métier, à l’absence de perspectives, à la routine, dizaines de milliers d’enseignants veulent quitter l’Ecole. Président de l’association « Aide aux profs », Rémi Boyer est le plus à même pour faire le point sur la question de la seconde carrière des professeurs. C’est pour cela qu’il tient depuis 2007 une rubrique très lue dans le Café mensuel sur la seconde carrière. Son livre « Enseignants et mobilité professionnelle » est un véritable guide pratique pour tous les enseignants qui veulent voir d’autres horizons.

Les enseignants disent souvent qu’ils ne savent rien faire d’autre et que personne d’autre hors éducation nationale ne voudrait d’eux. Qu’en pensez-vous ?

J’ai souvent entendu cela quand j’étais prof. Ce sont des mots qu’ on entend en salle des profs vers la Toussaint quand les élèves commencent à devenir difficiles. On entend les collègues dire qu’ils en ont assez mais qu’ils ne savent où aller. C’est assez démoralisant. Mon avis est bien différent. Dans l’association que je préside, Aide aux profs, on a été consultés par près de 3 200 enseignants en 5 ans. On ressent que les professeurs sont cantonnés par l’éducation nationale dans leur métier et qu’elle limite leur mobilité externe. Par exemple les enseignants n’ont pas le droit de partir en cours d’année ce qui limite sérieusement leurs opportunités. Et l’enseignant de son coté a du mal à sortir de sa discipline. C’est particulièrement vrai au collège qui est le maillon faible car c’est là où l’enseignant est le plus déstabilisé dans sa discipline et où il a le plus de mal à se projeter dans un ailleurs. Dans le primaire, le professeur des écoles, généralement une femme, a une formation polyvalente et un conjoint qui a davantage de moyens financiers et qui peut financer sa mobilité. Au lycée les possibilités de carrière sont plus importantes et le métier semble moins pénible car l’écart entre le savoir académique du professeur et celui des élèves est moins vaste qu’au collège. Donc sur 3200 professeurs nous avons 50% de professeur des écoles, 40% d’enseignants en collège et 9% en lycée. Il reste 1% : ce sont des chefs d’établissement ou des CPE. Jamais des inspecteurs.

Préparer sa seconde carrière ça demande combien de temps ?

6 à 36 mois. 6 mois pour celui qui a déjà un projet bien construit et moins de 40 ans et qui cherche un poste en mobilité interne à l’éducation nationale. 12 mois à l’externe. Ceux qui n’ont pas de projet défini trouveront dans le livre des aides pour faire leur bilan de carrière et réfléchir. Selon la nature de la formation cela peut prendre de 12 à 36 mois. Par exemple un enseignant de 50 ans est déjà loin de sa formation initiale. Il est préférable qu’il reprenne un master pour se rendre plus intéressant sauf s’il a investi du temps dans des projets pédagogiques.

Officiellement l’Etat encourage la mobilité. Est ce que ca fonctionne vraiment ?

Pour moi, la loi de 2009 est un texte qui est destiné à aller dans le sens de la RGPP pour ne pas renouveler le maximum de fonctionnaires et pour redéployer les effectifs sur le territoires. Elle prévoit des primes de déménagement et de mobilité et G Tron et F Baroin n’ont pas caché leur intention d’économiser 6 milliards sur les opérateurs de l’Etat. On voit comment des emplois sont menacés au Céreq, à l’INRP, dans les CDDP. La loi prévoit que quand un fonctionnaire voit son poste supprimé l’administration doit lui proposer trois autres postes. S’il les refuse il est disponibilité sans solde automatiquement. Or les postes proposés peuvent être à Lille ou en Guyane… Avec cette loi on rentre dans un système très défavorable aux fonctionnaires. Les aspects attractifs de la loi (la validation des acquis de l’expérience, la mobilité) ne sont pas appliqués. Les aspects négatifs le seront.

L’Etat ne donne pas une aide à la formation ?

En avril 2011, Mme Théophile, DRH du ministère de l’éducation nationale, m’avait dit qu’elle donnait la priorité pour les gens envisageant une seconde carrière à ceux qui utilisaient le Droit Individuel à la Formation (DIF). Mais ceux qui en ont bénéficié c’est peau de chagrin ! En 7 mois elle avait reçu 435 demandes et en avait accordé 79. C4est donc 0,03% des effectifs de l’éducation nationale qui avait demandé à bénéficier du DIF ! Donc l’aide à la formation se fait a minima. Un autre exemple : les congés de formation professionnelle. Le temps d’attente peut être très long . Cela peut aller jusqu’à 18 ans sur Créteil ! 14 ans à Versailles, 5 à Rouen ! En ce qui concerne le bilan de compétences, l’éducation nationale affirme que les enseignants peuvent le demander au bout de 10 ans d’exercice du métier. Mais dans les faits ils ne sont plus financés dans les académies sauf Orléans Tours qui en a accepté 4 ou 5 l’an dernier. Dans les textes des choses merveilleuses sont possibles comme le congé de mobilité. Mais ça reste sur le papier faute de budget.

Quelles sont les étapes d’une mobilité professionnelle ?

La première c’est la réflexion sur sa carrière et les compétences que l’on a. Il faut identifier dans sa carrière tout ce qui est transférable ailleurs. Il vaut mieux y passer 2 ou 3 mois. La seconde c’est de savoir ce qui existe et de décider si on opte pour une mobilité interne ou externe à la fonction publique. Si c’est externe de savoir si on prend une disponibilité, si on a un capital pour financer une formation. Dans le 3ème temps il faut prospecter et rédiger son CV en évitant le modèle proposé par l’éducation nationale… Le livre explique cela.

Est ce que le paradoxe ce n’est pas que ce sont les professeurs les plus impliqués qui réussissent le mieux à construire leur seconde carrière ?

Déjà les professeurs les plus impliqués sont ceux qui fuient la routine . Ils acquièrent des compétences en menant des projets pédagogiques. Je conseille beaucoup aux enseignants de le faire pour cette raison et aussi parce que ça aide à voir le métier différemment. Les professeurs qui sont en difficulté ou qui ont des problèmes relationnels avec les élèves ou l’infantilisation imposée par la hiérarchie ont plus de craintes. D’une certaine façon le système les a écrasés comme un rouleau compresseur. Ils ont plus de mal à se projeter car ils doutent d’eux mêmes et leur milieu ne leur donne pas confiance en eux. D’autant que l’administration voit toujours la mobilité comme un échec et un professeur mobile comme en difficulté. Pour la plupart des portails académiques sur la mobilité, le reconversion signifie changer de discipline ou d’établissement , parfois devenir chef d’établissement. Jamais autre chose…

Peut-on proposer quelque chose à faire de suite ?

Il est important de faire sauter le verrou de l’ interdiction de la mobilité dans l’année. En theorie chaque fonctionnaire peut partir sur un préavis de 3 mois. En fait l’éducation nationale s’y oppose sous prétexte de l’intérêt du service. L’administration emprisonne les professeurs. De fait l’Etat supprime tout ce qui permet une seconde carrière interne : rased, détachements par exemple. On est face à un gouvernement qui nous ment. Les enseignants qui veulent faire autre chose sont acculés à la démission. Or on est dans une situation de transition démographique à l’éducation nationale. Ceux qui entrent dans le métier ne vont pas vouloir y passer leur vie. L’éducation nationale n’est pas du tout prête à cela. Elle n’anticipe pas le turn over important auquel elle va être confrontée.

Propos recueillis par François Jarraud

L’ouvrage :

Rémi Boyer, Enseignants et mobilité professionnelle. Conseils et outils pour choisir le votre. Les savoirs inédits, 86120 Ternay, 2011.



Sur le Café :

Toutes les rubriques Seconde carrière

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2007/Carrieres.aspx