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Par Jeanne-Claire Fumet

Pour sa trentième édition, le Salon Expolangues organisé par le magazine l’Etudiant, choisit de mettre en valeur le français, parmi d’autre langues phares comme le Chinois, le Russe ou l’Arabe, ou encore les langues régionales avec le Catalan et toutes les langues européennes, dont le Grec, par exemple, présentées sous un jour culturel autant que linguistique. Inattendu dans ce contexte, le stand de la Direction de l’Accueil, de l’Intégration et de la Citoyenneté, du Ministère de l’intérieur, dédié à la promotion du FLI (Français langue d’intégration) et du label proposé aux organismes de formation en charge de l’apprentissage du français aux migrants. Pour ce Salon peut-être plus modeste, moins riche en opérateurs de séjours linguistiques et recentré sur les valeurs culturelles de la France, l’ouverture au monde se fait plus nuancée, sous l’influence des préoccupations contextuelles.

Un rapport aux langues étrangères qui s’améliore

« Je constate que depuis quelques années, les choses changent : il n’y plus ce blocage traditionnel face à la pratique des langues étrangères chez les jeunes français, sans doute grâce à internet, affirme Camille Rabehanta, Commissaire Générale du Salon. Beaucoup de sites sont en anglais ! L’inhibition passe, depuis quelques années, grâce aux pratiques plus libres permises par cet outil. Et puis les jeunes voyagent plus, ils ont une vision plus large de l’espace international. » L’intérêt pour la langue arabe, déjà mise à l’honneur l’an passé, et régulièrement représentée par l’Institut du Monde Arabe, ou pour le Chinois, valorisé depuis 2008 avec les Instituts Confucius, ne se dément pas.

Apparition du FLI : français langue d’intégration

Nouveauté de l’année, l’espace Des langues et des Mots, en partenariat avec le Ministère de l’Intérieur, doit recevoir des animations et des conférences destinés au grand public comme aux professionnels. Consacré aux débats sur le FLI mercredi, il accueillera jeudi des cours de langues dispensés par des comédiens à des élèves de classes de CM2. « Mon objectif, c’est d’offrir aux visiteurs le plus d’informations possibles, sur le plus grand nombre de langues possibles et de les sensibiliser à la question linguistique », conclut Camille Rabehanta, qui avoue avoir de très bons souvenirs de son apprentissage des langues à l’école, en particulier à travers les séjours linguistiques. « C’est encore la meilleure méthode pour apprendre une langue : se rendre sur place et parler avec les gens. »

Des conditions d’enseignement dramatiques

Point de vue partagé par les représentants de l’APLV (Association des Professeurs de Langues Vivantes) : les séjours linguistiques restent la meilleure approche, aussi bien linguistique que culturelle, d’une langue étrangère. Les programmes français, adossés au CECRL, ne perdent pas pour autant leur richesse culturelle, contrairement à ce que certains ont pu craindre. Mais les conditions d’enseignement sont dramatiques : des horaires qui ne cessent de se restreindre, 2h de langue en moyenne par semaine, en groupes entiers (jusqu’à 36 élèves), qui ne permettent pas d’apprendre correctement. Les stages de remédiation pendant les vacances scolaires, sur lesquels l’institution communique beaucoup ? « Les enseignants sont fortement incités à venir enseigner sur 3 jours, pour des cours rassemblés dans un seul lycée de la ville ; ce sont souvent des vacataires qui y vont. Ces sessions intensives ne remplacent pas les heures supprimées, à peu près à une année de scolarité ! Et on nous demande quand même de diversifier et d’adapter notre enseignement, » déplore Françoise Du, enseignante en Bretagne et responsable APLV.

« Dans les collèges, il est très difficile d’avoir du matériel ; rétroprojecteur, labo de langues… L’éventail des langues enseignées se réduit, certaines sont menacées de disparition, surenchérit Michel Morel, responsable APLV. On parle beaucoup des rares cas de langues rares qui ouvrent, mais l’abandon du russe ou de l’italien, la dégradation de l’allemand, le manque de développement de l’arabe, relèvent de mauvais calculs politiques et économiques : pour exporter, on a besoin de gens qui parlent la langue de l’acheteur, mais aussi qui connaissent bien sa culture et la comprenne. Quant aux séjours linguistiques scolaires, c’est devenu un parcours d’obstacles : les crédits internationaux sont réservés aux classes européennes, les autres doivent faire comme ils peuvent », ajoute-t-il . Quant à l’usage d’internet, les professeurs restent dubitatifs ; hormis des usages ludiques ponctuels, les élèves ne vont pas d’eux-mêmes y chercher la difficulté. »

A Paris, priorité aux compétences linguistiques

Côté Rectorat de Paris, on préfère souligner la priorité donnée par le projet académique à l’amélioration des compétences linguistiques, la mobilité des enseignants et des élèves, l’encouragement des échanges internationaux. Pour Claude Beaudoin, adjoint DAREIC , « c’est une question d’organisation interne : pour les classes spécifiques, européennes, internationales, bi-langues, les dispositifs binationaux (franco-italien, franco-espagnol…) on s’attache à créer des conditions d’ouverture internationale. Il ne s’agit pas de les privilégier, mais ces sections ont un rôle moteur pour l’enseignement des langues et l’intérêt des élèves. Mais les langues sont vivantes : leur attrait, leur déclin sont des phénomènes fluctuants. Si certaines langues sont moins enseignées, c’est qu’il y a moins de demandes des parents et des élèves », affirme-t-il. L’Académie de Paris favorise les échanges de postes avec des enseignants étrangers, les stages d’été ou la scolarisation pour un an à l’étranger, les stages de langue gratuits pendant les vacances, des ateliers de pratique pour les élèves… Sans pouvoir sans doute toucher tous les publics scolaires.

Valoriser la langue et la culture arabe

Le Centre de Langue et de Civilisation de L’Institut du Monde Arabe propose ses formations à des publics adultes, salariés ou retraités, qu’animent des motivations diverses : beaucoup de raisons professionnelles, pour les stagiaires salariés, que leur travail confronte à l’utilité de la maîtrise de cette langue, mais aussi un intérêt culturel et à l’égard de cette langue difficile au départ en raison de sa structure sémitique, sans notation des voyelles (au contraire des langues latines) et demande donc un bon apprentissage initial pour pratiquer. Frédérique Foda, agrégée d’Arabe et détachée auprès de l’Institut, voit beaucoup à apprendre de ce rapport différent à l’enseignement : les stagiaires sont motivés, ils veulent que la formation fonctionne et se soucient peu de « l’auréole du prof, même agrégé ». Les professeurs doivent revoir et modifier leurs méthodes, se concerter, s’adapter pour une pratique vivante auprès d’un public attentif et demandeur, au long des 4 à 6 années qu’exige une maîtrise convenable de la langue. Des relations pédagogiques très différentes du modèle scolaire, mais aussi une approche valorisée de la culture du monde arabe qui pourrait être transposée avec profit, dans les établissements scolaires où la langue d’origine finit par être parfois disqualifiée comme stigmatisante. Un cours ouvert au jeune public permet désormais de s’initier dès 7 ans et jusqu’à 16 ans, avec un certain succès auprès d’enfants de parents étrangers ou de couples mixtes, soucieux de transmettre leur culture native.

Francophonie à l’honneur

Pour représenter le français, « une langue pour demain », le Ministère de la Culture et le Ministère des Affaires Étrangères animent le Pavillon d’honneur, point de rencontre de multiples interventions : le français en mouvement, langue d’ouverture au monde, moteur d’avenir ou langue de création. La Francophonie se porte bien, selon Laurent Lapeyre et Odile Canale, représentants de ces deux Ministères : langue de culture et d’érudition, mais aussi d’échanges commerciaux, par exemple en Afrique du Sud, pour traiter avec l’Afrique francophone, mais aussi en Amérique du Sud et dans plusieurs régions du monde sans passé historique francophone. L’enjeu de l’apprentissage des langues est d’autant plus vif, dans ce contexte, pour les jeunes français, que la demande de compétences linguistiques se fait plus variée d’année en année. Il faut préserver la plus grande variété de langues étrangères dans les établissements scolaires, estiment-ils. Ainsi, la déshérence de l’Allemand serait une lourde faute de stratégie, quand de nombreux postes de cadres germanophones restent non pourvus chaque année.

Pour Alain Schneider, attaché de l’Institut français à Cracovie de passage au Salon, l’une des difficultés réside dans le manque de moyens consacrés par les gouvernements aux enseignements en langue, ce qu’il constate en Pologne, où les déclarations d’intention ne sont pas suivies de dotations suffisantes pour servir la priorité hautement proclamée de l’ouverture internationale par les formations en langue.

Un stand pour l’Immigration et l’Intégration…

Le stand du Ministère de l’Intérieur, d’une apparence ludique vite démentie par la sécheresse des supports de communication, contraste avec l’ambiance du Salon. Mickaël Magand, Chef de Bureau à la DAIC, se montre rassurant : il souligne l’importance de maîtriser la langue du pays d’accueil, pour un public migrant, se félicite de la dimension culturelle qu’exige le label FLI et évoque les différents niveaux de validation proposés aux apprenants. Les organismes existent, affirme-t-il, les publics y sont déjà reçus, il s’agit simplement d’inciter, sans contraindre, à s’emparer de connaissances utiles en valorisant les bonnes pratiques. Rien d’obligatoire ni de déterminant, par conséquent, dans cette nouvelle mesure, dont la présence au sein du Salon résonne pourtant de manière incongrue. Peut-être l’explication réside-t-elle dans cette remarque incidente de Laurent Lapeyre, « nous essayons de faire en sorte que les enfants d’expatriés français apprennent aussi la langue de leur pays de résidence et en découvre la culture », souligne-t-il. En plus de leur éducation en langue française, par conséquent ; peut-être une piste à explorer pour favoriser l’intégration, qu’elle ne se fasse pas au prix de l’effacement de la culture d’origine ?

Jeanne-Claire Fumet

Liens :

Expolangues

http://www.expolangues.fr

Le site de l’APLV

http://www.aplv-languesmodernes.org

Centre de Langues et civilisations arabes

http://www.imarabe.org/apprendre-arabe/a-b-une

Sur le FFLI

http://www.immigration.gouv.fr