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Qu’est ce que l’école numérique, en quoi le numérique change les pratiques, les outils et les organisations ? EDUTER propose une série de six rencontres pour recueillir l’avis de chercheurs, d’éditeurs et d’acteurs de l’éducation. La première avait lieu le 2 février et a permis une visite toute en interrogations du numérique version éducatif.

Six séances pour un état des lieux

Jean Chevaldonné présente Eduter, l’Institut qu’il dirige comme une synthèse du Sceren, du CNED et de l’ex INRP. A la fois éditeur de ressources et appui des établissements, l’Institut doit envisager l’évolution de ses différentes activités au regard des changements impulsés par le numérique .Les questions posées méritent d’être partagées pour développer une culture commune et envisager les changements à produire pour mieux accompagner les établissements dans leurs évolutions. Ce partage est nécessaire au sein de l’Intitut Eduter qui rassemble des métiers différents. L’idée est d’ouvrir ce partage à un public plus large présent sur place ou à distance puisque les conférences peuvent être suivies sur Canal Eduter. A l’issue des six séances, les témoignages et les échanges seront rassemblées dans un document de synthèse, véritable panorama sur les interrogations soulevées par le numérique et des pistes d’usages et d’organisations.

Pour cette première journée était invitée Corinne Martignoni de la DGESCO pour une présentation de l’expérimentation sur les manuels numérique. Laurent Souchard, Inspecteur en mathématiques-informatique de l’enseignement agricole a partagé les résultats de ses travaux de recherche sur les logiciels d’entrainement en les confrontant à ses observations de pratiques en classe. Gilles Braun a proposé un panorama des outils numériques et les évolutions que l’on pressent. Quant à moi, j’invitais à une visite à travers les initiatives repérées par le Café Pédagogique pour voir les changements que le numérique amène.

Des outils mais quels usages ?

Des quatre présentations des éléments communs se dégagent. Le constat d’une école en phase de rupture est partagé. Le numérique joue un rôle d’amplificateur de changements à la fois par les usages qu’il permet et par l’accès potentiel aux savoirs qu’il favorise. Mais, souligne Laurent Souchard, il ne suffit pas de poser un ordinateur sur le bureau du prof pour que le changement dans la classe opère. Les outils sont disponibles mais s’ils ne sont pas utilisés, ils restent lettre s mortes. Une rupture semble nécessaire pour passer de l’outil aux usages. L’observation opérée sur quatre logiciels d’entrainement mathématiques a montré tout l’intérêt de ces outils pour comprendre les processus d’apprentissages mis en œuvre lors d’une activité. Les différents paramètres qui mènent à un résultat peuvent être analysés : le temps passé, les types d’exercices réussis, par exemple. Ce type d’outil permet d’individualiser en cours et de favoriser l’acquisition des notions par tous, de valoriser aussi l’effort effectué.

L’expérimentation sur les manuels numériques présentée par Corinne Martignoni fournit déjà quelques éléments d’analyse. Portant sur 69 collèges, impliquant 1200 enseignants et 15 000 élèves, elle a débuté en 2009. L’engagement est tripartite en associant la collectivité territoriale qui investit sur le matériel, l’académie qui assure la formation et l’accompagnement des équipes avec le Catice et l’Etat. Le choix des ressources est crucial, elles doivent répondre aux besoins des enseignants, respecter des contraintes techniques et permettre une appropriation et une mise en route qui ne grèvent pas le temps et la motivation à les utiliser. Les manuels numériques évoluent. Certains proposent une granularité qui s’affranchit des temps trop longs de téléchargement pénalisant les premiers manuels. Beaucoup s’ouvrent à l’interactivité permettant un enrichissement des contenus par l’enseignant et par la classe. Les usages observés sont plutôt collectifs avec le relais des tableaux interactifs. L’utilisation individuelle en dehors de la classe se heurte encore à des défauts d’équipement dans les familles. L’arrivée des tablettes apporte des promesses d’amélioration avec une plus grande facilité d’accès.

Diffuser, accompagner

La question de la formation des enseignants, de l’accompagnement se pose. Comment développer les usages, comment faire en sorte que le numérique permette l’émergence d’une école qui vise la réussite de tous ? Comment intégrer les savoirs buissonniers et les compétences numériques acquis hors de l’école par les élèves ? Comment développer une approche pluridisciplinaire qui favorise une véritable éducation par et au numérique ? La formation et l’accompagnement des équipes sont nécessaires et pas uniquement pour les enseignants. L’approche numérique impose un travail collectif au sein de l’établissement autour d’un projet et en relation avec les partenaires de l’école. La formation devrait toucher aussi les chefs d’établissement, l’encadrement pour favoriser l’émergence de projets. Le développement des usages du numérique est souvent une affaire de pionniers, d’innovateurs qui sont parfois isolés. Pour que l’école numérique opère il faut passer par une légitimation, une reconnaissance des pratiques et une intégration dans le quotidien de l’école.

Cette professionnalisation est d’autant plus nécessaire qu’on ignore aujourd’hui ce que seront les usages de demain. La pédagogie prend donc une place prépondérante dans la réflexion pour que les usages puissent intégrer les techniques émergentes dans un souci d’efficacité pédagogique. Dans son panorama des technologies de demain, Gilles Braun note la transformation des murs de la classe en murs sociaux permettant l’enrichissement des contenus par les interactions au sein du groupe et une ouverture vers l’extérieur. Cette transformation est illustrée par l’évolution des manuels numériques et côté technique par celle tableaux interactifs qui s’affranchissent des supports. A côté de ces outils, des instruments comme le GPS portent des promesses d’usages pédagogiques. La 3D, les mondes virtuels se développent également. Le secteur des technologies éducatives est devenu un secteur industriel à part entière avec des stratégies marketing fortes et un enjeu qui dépasse les frontières hexagonales. Il est mondialisé, dominé par les anglo-saxons, les allées du BETT en témoignent. Côté éditeurs publics, le modèle économique reste à inventer pour s’adapter à un marché où la gratuité tend à s’imposer. Le métier d’éditeur en lui-même demande à être réaffirmé pour offrir une garantie de qualité reposant sur des compétences éditoriales fortes. L’avenir de l’édition publique se joue sans doute là, par une confiance des utilisateurs dans les supports diffusés.

Au fil des échanges, d’autres questions affleurent. Elles concernent les aspects réglementaires et éthiques. Elles s’interrogent sur la pertinence des évaluations en vigueur pour des activités pédagogiques mises en œuvre avec des supports numériques. Quelle évaluation des compétences de travail en groupe, des habiletés à utiliser les supports, à trouver, trier les informations ? Elles soulignent aussi l’importance d’une visée politique claire et à tous les niveaux de l’école numérique. L’articulation entre état et collectivités territoriales peut apparaitre comme une pierre d’achoppement. Ce point mérite d’être clarifié pour faciliter le développement des usages numériques.

La première session autour de l’école numérique a soulevé nombre de questions, ouvrant l’appétit des auditeurs pour les sessions suivantes. Elle a montré que l’école numérique était encore en chantier, un état critique où la rupture souhaitée ne s’impose pas faute de visions politiques et de moyens clairement définis.

Monique Royer

Le projet école numérique

http://www.eduter.fr/menu-secondaire/dossiers/lecole-numerique.html