Print Friendly, PDF & Email

Que signifie la réussite éducative ? Claude Lelièvre interroge l’histoire de l’éducation. Une façon de mieux saluer la nomination d’une ministre en charge d’un département nouveau.

Il y a tout juste 80 ans – le 3 juin 1932 – le ministère de « l’Instruction publique » a changé de dénomination, et il est devenu le ministère de « l’Education nationale ». Contrairement à ce qui a été soutenu étourdiment par certains ( tels que Milner dans son pamphlet « De l’Ecole » qui a connu un grand succès il y a une trentaine d’années ) cela ne signait pas du tout un passage ( décadent pour eux ) du primat de ‘’l’instruction’’ au profit de ‘’l’éducation’’.

Cette nouvelle appellation était en fait un ‘’appel’’ à l’unité, dans le cadre de la marche vers « l’Ecole unique » amorcée au début du XX° siècle. Anatole de Monzie, le ministre à l’origine de ce changement d’appellation, avait exposé 15 ans auparavant, dans un ouvrage qui avait fait quelque bruit à l’époque ( « Les Réformes scolaires » ) , ses idées forces en la matière : « une Ecole une et indivisible comme la République », la prolongation de la scolarité obligatoire, la gratuité de l’enseignement secondaire, le monopole de l’enseignement public.

Il faut sans doute redire ici ce qui a été au principe de la distinction entre « instruction » et « éducation » depuis la Révolution française. Et le mieux sans doute est de citer l’intervention célèbre et tout à fait éclairante de Rabaut Saint-Etienne à la Convention le 21 décembre 1792 : « Il faut distinguer l’instruction publique de l’éducation nationale. L’instruction publique éclaire et exerce l’esprit ; l’éducation nationale doit former le cœur ; la première doit donner des lumières et la seconde des vertus […]. L’éducation nationale est l’aliment nécessaire à tous ; l’instruction publique est le partage de quelques –uns ».

On notera avec quelque amusement le paradoxe historique qui a eu lieu en avril 1824 lorsque la direction des affaires scolaires et universitaires a quitté le ministère de l’Intérieur ( où elle était depuis le Directoire et Napoléon ) pour être érigée en ministère de plein exercice. Ce premier ministère de plein exercice reçoit alors l’appellation de « ministère des Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique » et son premier titulaire est un évêque – Mgr Frayssinous – appartenant à un gouvernement ultra royaliste et clérical. Il s’agissait à l’évidence avant tout en réalité d’ ‘’éducation’’ ; mais l’expression d’ ’’instruction publique’’ évoquait moins les conceptions les plus révolutionnaires, ceux des robespierristes en particulier ( partisans du primat et de l’urgence de ‘’l’éducation’’ pour tous ) , et c’est pour cela qu’elle a été choisie

Comme on n’arrête pas le progrès, une ministre déléguée à « la réussite éducative » ( George Pau-Langevin ) figure dans le nouveau gouvernement. On a eu à la fin des années 1950 ( pour les enfants de classes socio-culturellement favorisées ne réussissant pas à l’Ecole ) l’émergence de l’expression en « échec scolaire » ; une expression qui s’est étendue ensuite, à partir des années 1960, à des élèves de toutes origines. Avec une valse hésitation : échec de l’élève et/ou échec de l’Ecole ? Puis on s’est mis à parler en termes de ‘’réussite’’, de ‘’réussites pour tous’’. Aurait-on pu avoir une ministre déléguée à « l’échec scolaire » ? Sans doute pas. A « l’ échec éducatif » ? Sans doute pas non plus ( et encore moins ). Aurait-on pu avoir une ministre déléguée à « la réussite scolaire » ? Certainement. Alors « éducatif » au lieu de « scolaire » a-t-il du sens, peut-il avoir du sens, et lequel ?

Claude Lelièvre