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 » L’urgence est l’ennemie de la démocratie « . Secrétaires nationaux du Snep Fsu, Christian Couturier et Claire Pontais réagissent à la tribune de JL Auduc en plaidant pour un grand débat sur la formation des enseignants. Ils développent ici plusieurs points précis de la masterisation qui méritent débat.

Nous voulons dans cette tribune saluer amicalement JL Auduc avec qui nous avons souvent eu des échanges fructueux. Il nous invite à une discussion pointue à partir de ses analyses et propositions. C’est justement pour cette raison que nous sommes attentifs au titre de la tribune et de ce qu’il suppose. Nous disons clairement : attention à l’urgence qui peut, à nouveau, poser des problèmes graves de démocratie et produire à terme des effets pervers par manque de débat.

Nous partageons la quasi-totalité des analyses de JL Auduc, et nous avons été nous-mêmes tout au long de ces (mauvaises) dernières années très présents dans la dénonciation de la contre-réforme de la formation. La décision du conseil d’état donne raison à tous ceux qui se sont battus. Mais il faut penser aux collègues, forcés de s’impliquer dans la mise en place des masters, qui ont passé des jours et parfois des nuits à « monter » des dispositifs pour former les enseignants. C’est le cas des IUFM et dans l’Université, de nombreux STAPS. Il y a des avancées communes, mais nous devrons faire avec tous les acteurs dont les points de vue divergent suivant qu’ils sont professionnels, enseignants-chercheurs, directeurs d’UFR, d’IUFM, jurys aux concours… Sur le site du « Café » on peut d’ors et déjà lire par exemple la contribution de Didier Delignères, professeur des Universités, qui, tout en partageant un certain nombre de diagnostics, chute sur d’autres conclusions que celles de JL Auduc. L’urgence est l’ennemie de la démocratie. Et la démocratie, ce n’est pas non plus un débat tous azimuts. Il faut l’instruire et construire collectivement, sur un sujet déterminant, de société, comme celui-ci, des consensus même provisoires.

Nous ne doutons que Jean-Louis Auduc cherche une position qui pourrait satisfaire le plus grand nombre tout en permettant des avancées notables. Pour autant, certaines de ses propositions posent problème et doivent être largement discutées. Cette contribution cherche seulement à donner quelques exemples significatifs sur les sujets soulevés.

Nous ne pouvons nier cependant qu’il y a une certaine « urgence ». Nous soumettons donc au débat des mesures transitoires et immédiates et d’autres (comme celles impliquant une nouvelle refonte des dispositifs de formation), à échéance plus lointaine.

Mesures d’urgence vraiment urgentes

La question du vivier est effectivement primordiale. Il s’agit rapidement de donner un signe fort aux étudiant-es :

– supprimer l’exigence du CLES2 et du C2i2e dès cette année pour pouvoir recruter tous les postes à pourvoir et enlever un obstacle (totalement sous-estimé aujourd’hui) à l’inscription au concours.

– Annoncer très rapidement une augmentation des postes dès l’année prochaine pour rétablir les déficits voulus par le précédent gouvernement. Cela donnera probablement un signe fort pour le vivier potentiel.

– Retarder au maximum pour cette année les dates d’inscription aux concours et lancer une campagne d’information et d’appel pour le métier.

– Mettre en perspective les pré-recrutements dont le principe est défendu par quasiment tout le monde. Transitoirement ces pré-recrutements peuvent se faire en M1, M2, ou même post-master.

– Rétablir la formation post-concours (application de la décision du conseil d’Etat) et s’assurer qu’on réponde au besoin de formation disciplinaire et professionnelle. En évitant si possible certaines erreurs du passé : des formations dites transversales inconsistantes, discours généraux inadaptés, formatage aux textes institutionnels ou aux « bonnes pratiques », etc.

– Rétablir le potentiel IUFM : demander aux présidents d’université de maintenir les moyens IUFM, réintégrer les PEMF et les formateurs associés du second degré, dans les équipes de formation.

Si déjà ces mesures « d’urgence » étaient prises, on pourrait commencer à travailler sereinement et à se replacer dans une nouvelle dynamique tout en laissant ouvert la suite.

Mettre une nouvelle réforme en perspective

Nous savons depuis longtemps que rien, dans la « Mastérisation », à part l’économie de postes due à l’affectation à temps complet des stagiaires, n’a été pensé. Il faut donc reprendre le fil de la pensée, s’appuyer sur les professionnels de la formation, pour mettre en perspective une nouvelle réforme. Quatre points sont à étudier ensemble, parce qu’ils font système. Les disjoindre reviendrait à ne pas tirer les leçons de trois dernières années. Il faut penser la mise en place de pré-recrutement pour enrayer la crise de recrutement qui s’annonce. Mais leur fonction est aussi d’augmenter, pour les jeunes qui seront pré-recrutés, le temps disponible pour se consacrer entièrement aux études pour devenir enseignant. Il faut penser l’ensemble du cursus de la licence à la première année de fonctionnaire-stagiaire (on ne peut concentrer les problèmes que sur les 2 années de master). Il faut bien entendu revoir le couple épreuves de concours/place du concours dans le cursus (il paraît évident qu’on ne peut pas demander les mêmes choses selon qu’il se situe en fin de licence ou début de M1, en fin de M1, en fin de M2, voire après le master…). Enfin, il faut étudier de près la question : qui forme ? Quelle pourraient être les missions une nouvelle structure comme celle annoncée par le Ministre ?

Jean-Louis Auduc ne se positionne que sur un sujet, le couple épreuves/place du concours. C’est évidemment pour nous un problème méthodologique. Il fait aussi totalement l’impasse sur l’adossement à la recherche, qui est pourtant un problème majeur à l’Université et au-delà, dans la conception de la formation pour un futur enseignant, ainsi que la formation post-concours, ce qui pourrait laisser croire que l’on peut sortir « prêt à l’emploi complet ».

Mais admettons que l’on ne discute que du concours et de sa nature. Nous voulons mettre en débat ce qui est présenté comme une évidence :

– le concours comporte 4 épreuves (pourquoi 4 ?)

– le concours est en 2 parties (qu’est-ce qui justifie aujourd’hui un tel découpage ?) et la première partie (admissibilité) est obligatoirement écrite (quid des disciplines comme l’EPS, les arts qui pourraient prétendre à une première sélection sur une épreuve de production artistique ou sportive par exemple…)

– Le concours est étalé sur 2 années puisque l’admissibilité « doit » être en M1.

Ces choix, même s’ils ne sont pas nouveaux, restent problématiques et feront ré-émerger des problèmes dans 2 ou 3 ans. Certes, Il faut admettre qu’il n’y a pas une solution passe partout. Aucune solution ne règlera l’’ensemble de nos problèmes de formation qui est un système complexe. Les objections que nous faisons sont ici faites à titre d’exemple et devraient s’accompagner de nouvelles propositions (que nous avons faites dans un document qui garde toute son actualité : ftp://ftp2.snepfsu.net/snepfsu/peda/iufm/snep-fsu-doc_travail_FDE.pdf).

Nous reprenons les propositions une par une.

Un concours à 4 épreuves ?

Le nombre d’épreuves actuel est né d’une seule volonté : celle de faire des économies sur les concours au moment où il y avait énormément de candidats. La LOLF avait donné l’objectif, réduire de 30% le coût global. On peut rester dans ce cadre. Mais ce n’est pas très raisonnable. Ce serait penser que tous les champs disciplinaires ont les mêmes exigences, requièrent les mêmes ressources, les mêmes formes d’intelligences. On peut sans doute imaginer que certaines disciplines ont besoin de plus d’épreuves pour mieux identifier les diverses connaissances et compétences. Il y a de plus des disciplines « bi-disciplinaires » (histoire-géo, physique-chimie par exemple), et multi-disciplinaires (SVT, EPS, arts plastiques, etc.) qui couvrent un plus grande surface. Le concours actuel a déjà fait la démonstration que ce chiffre de 4 n’était pas viable, en créant selon les disciplines des sous-épreuves. Par ailleurs réduire c’est également moins bien discriminer : pour être enseignant de langue vivante par exemple l’expression orale dans la langue étudiée est un problème en soi. Où mettre une telle épreuve pourtant nécessaire dans le schéma proposé par JL Auduc ?

Un concours en 2 parties ?

Le découpage en 2 parties des concours repose sur le principe de la sélection et là encore du coût. Cette mesure a été introduite pour faire une première sélection importante (jusqu’à un rapport de 1/10 dans certains concours). Mais, dans la logique de ce que nous décrivons au paragraphe précédent, pourquoi décréter que l’élément discriminant sera uniquement écrit ? En prenant exemple sur notre discipline (EPS), s’il est effectivement important que le concours comporte des écrits pour vérifier certaines compétences, on peut raisonnablement penser que ce n’est pas forcément une bonne prédiction pour la capacité finale à être un bon enseignant. Surtout si, comme cela l’implique dans les propositions de JL Auduc pour le 2nd degré, l’écrit est censé répondre aux besoins disciplinaires « académiques » et l’oral aux besoins professionnels. Actuellement nos 2 épreuves sont sur l’histoire institutionnelle de l’EPS au XXème siècle et sur la capacité de s’appuyer sur des sciences pour proposer des apprentissages. C’est quoi alors la discipline EPS : de l’histoire et des sciences appliquées ? !

Pour les autres disciplines, le concours proposé scinderait les compétences disciplinaires des compétences dites professionnelles. C’est un frein considérable à ce que nous appelons de nos vœux : une formation dite « intégrée ».

Pourquoi, alors que l’on s’achemine vers une pénurie non conjoncturelle d’étudiants s’orientant vers ce métier, garder le principe d’une admissibilité. Pourquoi décréter implicitement que ce modèle serait plus performant qu’un concours en une seule partie qui ne poserait plus de problème de découpage de calendrier, temps de correction incompressible pour la publication des résultats… Un concours en une seule partie aurait en plus le mérite de pouvoir ajuster les épreuves, écrites, orales, manipulation, pratiques… en fonction des ressources exigées par l’enseignement de telle discipline.

Un concours étalé sur 2 années ?

Là encore il convient de repérer le revers de certaines médailles, et surtout confronter les idées à la réalité. Le concours en deux parties, étalé sur 2 années, provoque un découpage obligatoire des 2 années de master qui ne forment plus alors un ensemble cohérent mais, en fait, deux années de préparation au concours. La première préparera l’admissibilité, la seconde l’oral un peu rapidement baptisé de professionnel (tout le concours doit être selon nous et disciplinaire et professionnel). Il y a là une dichotomie « historique » contre laquelle nous luttons depuis longtemps. Ce découpage provoquera, de la part des formateurs et des étudiants, un alignement sur le principe d’économie qualifié aujourd’hui de « bachotage ». On peut rétorquer qu’il suffit alors de prévoir un ratio admissibles/admis proche de 1 pour que la seconde année soit vraiment une année de formation. Cette solution, préconisé par certains, provoque un autre effet retour : c’est alors la sélection par l’écrit qui devient sur-déterminante. Qui alors encore une fois des disciplines comme la nôtre ? Par ailleurs, on aurait un coup de balancier. Aujourd’hui les étudiants valorisent le concours par rapport au master (on ne peut pas tout faire disent-ils, à juste titre). Sans concours sélectif puisque quasiment tous les admissibles seraient admis, ils valoriseront probablement le master (exigible) et non le concours. Dans les deux cas, le rapport à la recherche est totalement sous-estimé dans les échanges passés et actuels. On revient aux critiques de l’ancien système.

Ceci dit, si on estime, qu’il faut quand même bien que l’oral du concours soit un tant soit peu sélectif, l’étalage du concours sur 2 années pose alors un sacré problème : que faire de ceux qui échoueront. Garantir l’admissibilité pendant combien d’années ? Un an comme ça a déjà été proposé ? Mais alors si nouvel échec (c’est fréquent encore aujourd’hui pour rester sur l’exemple de l’EPS) l’étudiant doit repartir pour 2 ans ?

Bref, notre but ici n’était pas de tout explorer, mais seulement d’émettre quelques objections que nous jugeons importantes. Nous pouvons d’ailleurs noter que nous les avions évoquées dans notre document déjà cité, mais que personne n’a pris soin de les reprendre pour les contredire, exemples et arguments à l’appui. Notre but était simplement d’inciter non à fermer le débat mais à l’ouvrir. L’expérience des années précédentes incite à la prudence et rechercher le meilleur compromis possible, après avoir étudié toutes les possibilités. Nous espérons que tout le monde aura à cœur de se hâter, mais pas trop vite.

Christian Couturier et Claire Pontais

Voir également un résumé de nos priorités http://www.snepfsu.net/fde/docs/04avril12.php

assorties de propositions sur la structure de formation, les contenus de concours et les pré-recrutements.

La tribune de JL Auduc

Tribune de D Delignières

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