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Faire entrer le théâtre à l’école, par la pratique du jeu théâtral, l’analyse des pièces, la fréquentation des salles de spectacle, c’est la mission que s’est fixé l’ANRAT (Association nationale de Recherche et d’Action théâtrale) depuis sa création en 1983. Présidée par Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, et par Claire Rannou, déléguée nationale, soutenue par le Ministère de l’Éducation nationale et le Ministère de la Culture, elle rassemble enseignants et professionnels du théâtre dans une même conviction de la valeur éducative et pédagogique du théâtre. Pour Philippe Guyard, membre du Conseil d’Administration, enseignant au Lycée Jean Moulin de Torcy et professeur relais auprès de la Ferme du Buisson à Noisiel, il est aussi une précieuse source d’éveil et de développement de la personnalité pour les adolescents. A l’heure où les politiques budgétaires sont encore inversement proportionnelles aux discours d’incitation, où l’ouverture des pratiques scolaires sur la culture et le spectacle vivant relève souvent de la gageure pour les enseignants, l’ANRAT entend réveiller les pouvoirs publics sur l’urgence de restaurer la place du théâtre scolaire.

Question de regards

Pour Philippe Guyard, agrégé d’Histoire Géographie, chargé de l’option théâtre facultative au lycée Jean Moulin de Marne La Vallée (77) et professeur relais auprès de la Scène nationale de la Ferme du Buisson à Noisiel (77), le théâtre apporte un atout appréciable dans la relation pédagogique : accepter de regarder l’autre et d’être regardé, avoir la modestie de supporter d’être accompagné, c’est une forme d’apprentissage de l’existence et de la prise en compte de l’autre, pour les élèves adolescents mais aussi pour les enseignants, parfois emprisonnés dans l’asymétrie rigide d’une relation trop normée. « Cela instaure une autre confiance et une autre écoute, reconnaît Philippe Guyard. Le travail de répétition théâtrale permet aussi d’accepter l’effort, montre qu’on peut ne pas réussir du premier coup sans être pour autant voué à l’échec. » L’ANRAT, qu’il a rejoint depuis 3 ans, a pour vocation initiale la recherche sur les enjeux pédagogiques de la pratique théâtrale. Les fruits de ce travail font l’objet de colloques et de rencontres régulières. Un congrès mondial du théâtre Éducation, présidé par Catherine Tasca, sera d’ailleurs organisé à Paris en 2013, sous l’égide d’IDEA (International Drama/Theatre and Education Association) en relation avec l’ANRAT. Mais c’est aussi et surtout une affaire de pratique militante, de la part des enseignants bénévoles qui la composent en majeure partie, qui vise à faire évoluer les cadres et les pratiques au sein de l’institution.

Inciter les enseignants à emmener leurs élèves au spectacle

Pas évident, admet Philippe Guyard, quand on mesure la force des barrières symboliques des pratiques culturelles et des déplacements de part et d’autre du périphérique, même pour aller ou venir de proche banlieue (pire encore pour des villes plus lointaines et peu desservies, comme Coulommiers ou Provins). Généralement organisées hors temps scolaire, ces sorties ont aussi un coût non négligeable : la solution de l’abonnement, pour conduite un projet sur l’année avec sa classe, restreint considérablement le choix des salles accessibles. Raison pour laquelle l’Anrat a entrepris de fédérer 20 théâtres d’Ile de France, dans le cadre du dispositif « Transvers’arts », qui prévoit des Parcours-spectateurs de 3 spectacles, dans trois salles différentes, avec une action d’accompagnement pour chaque spectacle (atelier de pratique, rencontre avec les artistes, découverte du lieu) en bénéficiant du tarif d’abonnement. Les parcours sont librement construits par les équipes d’enseignants de l’ANRAT, ils bénéficient d’une aide financière du Rectorat, en particulier par le Rectorat de Créteil, très en pointe dans ce domaine, tandis que la DRAC participe au financement des actions d’accompagnement par la DRAC. Une formule partiellement reprise par le CRIF pour certains Parcours créés après la suppression de Tick’art.

Le modèle exemplaire de Lycéens au cinéma

L’idée est de s’inspirer du dispositif « Lycéens au cinéma », exemplaire pour la diffusion des films en milieu scolaire – même s’il est plus aisé de faire circuler quelques copies de film que de déplacer des groupes scolaires dans les salles de spectacle, admet Philippe Guyard. L’ANRAT réalise des supports de 4 pages, adaptés par niveaux scolaires, et qui donnent pour chaque œuvre ou spectacle du Parcours les quelques clés essentielles qui permettent de se repérer. Les parcours sont constitués en fonction des niveaux scolaires (primaire, collège, lycée), mais ils tiennent compte aussi de critères de cohérence de temps, par la répartition des actions, et de logique géographique : aucun parcours n’est exclusivement parisien.

Apprendre à aller de soi-même au spectacle

Les parcours sont normalement prévus pour des classes entières. Mais comment ignorer qu’on ne parvient jamais à rassembler la totalité du groupe, en dehors du temps scolaire et sur des activités qui demandent une forte implication personnelle ? Mieux vaut, précise Philippe Guyard, réserver moins de places que l’on n’a d’élèves, au risque de susciter un sentiment de frustration plutôt que de gâchis et d’échec. D’autant que l’enjeu, au-delà de la pratique scolaire, serait de faire naître chez les élèves des habitudes culturelles qui perdurent après le lycée ; inimaginable si on les traîne de force au spectacle. La meilleure solution, reconnaît Philippe Guyard, serait de les charger d’organiser eux-mêmes leur parcours – mais les délais de réservation, l’incertitude d’engagement des adolescents, les inhibitions et les incertitudes, rendent la démarche hautement aléatoire, même avec un suivi très présent de l’enseignant. Cela fonctionne, constate-t-il sur des programmes de ciné-club ou des expositions, mais à condition d’avoir des établissements complices, capables de souplesse. On peut alors charger des élèves de Terminale, déjà familiarisés l’année précédente avec la démarche, de « coacher » des élèves de Première.

Des moyens en peau de chagrin pour les options théâtre

Un coaching entre classes d’âge qui tend à se produire un peu de lui-même dans l’option théâtre, remarque Philippe Guyard, mais par la force des choses : à force de restriction des dotations horaires, les établissements choisissent de plus en plus souvent de supprimer les heures d’enseignement théâtral. Au lieu de 3 niveaux à 3h d’enseignement chacun, on regroupe souvent les élèves sur un créneau unique. Ce qui favorise sans doute le relais entre aînés et cadets, mais rend difficile de faire vivre l’activité théâtre dans ces conditions de pénurie. Paradoxalement, remarque Philippe Guyard, la précarité des options artistiques est en proportion inverse de la politique de communication de ces dernières années sur ce sujet : les plus vifs encouragements se sont accompagnés de restrictions drastiques sur le terrain. L’ANRAT, touchée aussi par la baisse de subventionnement, maintient plus que jamais son action militante : elle rassemblera, le 21 juin, les directeurs de théâtre de l’Ile de France pour une demande commune de mise en adéquation des discours et des faits. Si le changement politique laisse espérer une embellie de la situation, aucun signe concret n’est encore parvenu aux responsables de l’ANRAT.

A l’échelle nationale, l’ANRAT poursuit son développement : actions de formation pour les enseignants et les chefs d’établissement (stage pratique et atelier spectateur à Avignon au mois de juillet), publication d’analyses de spectacles (collection Pièces démontées, revue Continuum), fiches support d’analyses, fiches d’informations, etc.

Jeanne-Claire Fumet

A retrouver sur le site de l’ANRAT