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Les premiers apprentissages mathĂ©matiques prĂ©disent la rĂ©ussite ou les difficultĂ©s scolaires Ă  venir. Le CafĂ© pĂ©dagogique publie en avant-première une sĂ©rie de 3 textes de RĂ©mi Brissiaud (Paris 8) adaptĂ©s d’un livre Ă  paraĂ®tre dĂ©but dĂ©cembre aux Ă©ditions Retz. Il montre que la brutale dĂ©gradation des performances en calcul constatĂ©e en 1999 par la DEPP (et confirmĂ©e depuis) n’est pas une consĂ©quence de la rĂ©forme des mathĂ©matiques modernes de 1970 parce qu’elle se produit bien plus tard, après les instructions officielles de 1986. En revanche, cette rĂ©forme nous a fait oublier ce qu’Ă©tait notre culture pĂ©dagogique des premiers apprentissages numĂ©riques. Cela a facilitĂ©, en 1986, un basculement vers des pratiques pĂ©dagogiques qui appartiennent Ă  une autre culture : celle des États-Unis, un pays dont la langue, l’anglais, est très diffĂ©rente et qui n’a pas d’Ă©cole maternelle. Il montre que ce basculement est Ă  l’origine de l’effondrement des performances en calcul et il alerte : ce que certains mettent en avant aujourd’hui « davantage de ludique, moins de symbolique » rĂ©soudrait peut-ĂŞtre le problème de la primarisation de l’Ă©cole maternelle, qui est rĂ©el, mais cela empĂŞcherait notre Ă©cole de renouer avec la culture pĂ©dagogique qui Ă©tait la sienne et cela pĂ©renniserait l’Ă©chec scolaire. Pour RĂ©mi Brissiaud, l’École de la RĂ©publique risque de passer Ă  cĂ´tĂ© de la possibilitĂ© de refonder la pĂ©dagogie des nombres alors qu’elle dispose de tous les outils pour le faire.

Les responsables du système éducatif et les chercheurs s’accordent aujourd’hui sur le constat d’une baisse importante des performances en calcul dès la fin d’école primaire. Le système scolaire français arrivera-t-il à retrouver les performances d’antan ? Cela dépend de l’analyse qui est avancée des raisons de cette baisse.

Un premier objectif de ce texte est de montrer, Ă  partir d’une analyse des donnĂ©es conduisant au diagnostic d’une baisse brutale des performances Ă  partir des annĂ©es 1990, que la pĂ©dagogie des nombres doit ĂŞtre repensĂ©e dès l’école maternelle ; elle nĂ©cessite mĂŞme une vĂ©ritable refondation ; un simple replâtrage de tel ou tel aspect des pratiques pĂ©dagogiques actuelles, serait inefficace. Et cette refondation doit ĂŞtre celle de la culture pĂ©dagogique au sens oĂą l’école maternelle doit renouer, concernant les apprentissages numĂ©riques, avec la culture pĂ©dagogique qui Ă©tait la sienne depuis 1923 environ et jusqu’en 1986. En effet, il sera montrĂ© qu’au niveau de l’école maternelle et du dĂ©but de l’élĂ©mentaire, c’est pour l’essentiel la continuitĂ© qui prĂ©vaut entre 1923 et 1986. Entre ces deux dates, il y eut bien la rĂ©forme de 1970, celles des « mathĂ©matiques modernes », mais elle n’a pas crĂ©Ă© la rupture que certains croient : ce qui apparaissait fondamental aux pĂ©dagogues avant 1970, est restĂ© traduit dans les pratiques après cette date. En revanche, après la publication en 1986 d’une circulaire concernant l’école maternelle, les Ă©lèves se sont mis Ă  apprendre en France comme aux États-Unis, un pays qui ne possède pas d’institution Ă©quivalente Ă  notre Ă©cole maternelle et dont la langue, l’anglais, favorise bien mieux l’accès au nombre que la nĂ´tre. Cette circulaire Ă©tait signĂ©e Jean-Pierre Chevènement mais, en l’occurrence, il a agi Ă  rebours de ce qu’il croyait faire. Les consĂ©quences de ce basculement doivent ĂŞtre reconsidĂ©rĂ©es aujourd’hui.

Un second objectif est de montrer qu’un autre changement politique s’impose aujourd’hui : il faut que, concernant la pĂ©dagogie des apprentissages numĂ©riques Ă  l’école (et probablement dans d’autres domaines), le ministère rompe avec un mode de gestion plus soucieux de diffuser les supposĂ©es « bonnes pratiques », instituant ainsi une sorte de pĂ©dagogie officielle, que d’outiller les enseignants sur les plans historiques, conceptuels, techniques et rĂ©flexifs. La reconstitution d’une culture pĂ©dagogique des premiers apprentissages numĂ©riques est une condition nĂ©cessaire pour que les enseignants aient des pratiques pĂ©dagogiques adaptĂ©es Ă  leurs Ă©lèves.

La baisse des performances et le « basculement de 1986 »

Rappelons d’abord que c’est entre 1987 et 1999 que les performances en calcul des écoliers français se sont fortement dégradées. Thierry Rocher (note 08.38 de la DEPP ; décembre 2008) a montré qu’entre ces deux dates, la moyenne des élèves de CM2 baisse des 65% de l’écart-type initial. Pour avoir une idée de ce que cela représente, il suffit de noter qu’en se basant sur le dispositif EIST et sur PISA, études menées au collège et au Lycée, on observe que le bénéfice d’une année d’apprentissage (entre la 6e et la 5e et entre la 3e et la 2nde) est de 40-50% de l’écart-type initial ; ce bénéfice est à comparer avec la baisse de 65% à un même niveau de classe entre 1987 et 1999. En revanche, les performances se stabilisent à ce bas niveau entre 1999 et 2007.

Ă€ la recherche des causes de la baisse

Face Ă  de tels rĂ©sultats, il convient Ă©videmment d’examiner de manière assez prĂ©cise la mĂ©thodologie utilisĂ©e : n’y aurait-il pas un biais dans le traitement statistique utilisĂ© ? Par exemple : l’Ă©tude se base sur des Ă©preuves communes mais celles-ci ne le sont qu’aux passations de 1987 et 2007, la comparaison de 1987 et 1999 se faisant, elle, par une mĂ©thode statistique appelĂ©e la triangularisation. Ayant eu un Ă©change avec Thierry Rocher, il est formel : si on refait les traitements statistiques en introduisant des conditions très dĂ©favorables Ă  l’hypothèse d’une baisse, les rĂ©sultats restent si nets que, dans tous les cas, il faut considĂ©rer que l’on est face Ă  une sorte d’effondrement des performances.

Or cette Ă©tude a bĂ©nĂ©ficiĂ© de circonstances historiques exceptionnelles qui font qu’elle est extrĂŞmement riche d’enseignements (Brissiaud, 2012). Elle infirme par exemple ce que Luc Chatel avançait comme explication lors d’une intervention au SĂ©nat, en mars 2011 : « Pendant de nombreuses annĂ©es, en consĂ©quence sans doute de Mai 68, notre système Ă©ducatif a en effet oubliĂ© qu’enseigner, c’est d’abord transmettre des savoirs… ». Elle infirme Ă©galement ce que pensaient quelques acadĂ©miciens des sciences qui, dans une lettre au ministre du 25 janvier 2007, soulignaient l’urgence qu’il y aurait eu « d’inverser le mouvement de rĂ©gression entamĂ© depuis les annĂ©es 1970 ». La date de 1970 n’est pas un hasard : c’est celle d’entrĂ©e en vigueur des programmes de l’école primaire qui marquent le dĂ©but de la « rĂ©forme des mathĂ©matiques modernes ». On se rappelle mal aujourd’hui le phĂ©nomène social que fut cette rĂ©forme. Elle est notamment Ă  l’origine du samedi après-midi libĂ©rĂ© pour les enfants mais studieux pour les instituteurs : ils devaient le consacrer Ă  se « recycler » en mathĂ©matiques modernes (Ă  l’époque, les sessions de formation continue s’appelaient des « stages de recyclage »). Dès 1970, de très grands mathĂ©maticiens, dont RenĂ© Thom, avaient Ă©tĂ© très hostiles Ă  cette rĂ©forme, et les acadĂ©miciens qui, en 2007, s’adressaient ainsi au ministre, ne faisaient que s’inscrire dans cette continuitĂ© : de leur point de vue, la baisse des performances en calcul Ă©tait la preuve que cette rĂ©forme n’aurait jamais dĂ» avoir lieu.

Or, le diagnostic du ministre, comme celui de ces académiciens, était erroné : en 1987, près de 20 ans après Mai 68, 17 ans après la réforme des maths modernes (1970), les élèves calculaient encore bien. Là encore, pour donner une idée de ces performances, on peut noter qu’une multiplication telle que 247 x 36 était réussie par 84% des élèves de CM2 en 1987 ; l’addition en colonnes de trois nombres 19 786 + 215 + 3 291 était réussie par 94% de ces mêmes élèves (Rocher, 2008). Dans un cas comme dans l’autre, il sera difficile de faire mieux à l’avenir parce que de tels taux de réussite sont élevés et, à partir d’un certain score, il est difficile de progresser encore (on appelle cela un « effet plafond »). En 1987, les élèves calculaient encore bien et ce serait déjà un beau progrès de retrouver les performances d’alors. En 2007, en effet, le taux de réussite à la même multiplication n’est que de 68% (84% auparavant) et celui de la même addition de 83% (94% auparavant) : même les additions, une opération dont les élèves de CM2 répètent l’exécution depuis bien longtemps, sont moins bien réussies. Mieux valait être un élève apprenant le calcul dans les 20 années ayant suivi Mai 68 et les 17 années ayant suivi la réforme des mathématiques modernes qu’un élève d’aujourd’hui. Comme nous allons le voir, cette erreur de diagnostic des académiciens a rendu singulièrement difficile l’émergence d’un autre diagnostic, permettant, lui, d’expliquer la forte dégradation des performances en calcul.

De plus, l’étude de la DEPP permet d’exclure toutes les causes de la baisse qui viennent Ă  l’esprit et qui ne sont pas d’ordre pĂ©dagogique. La dĂ©gradation des conditions sociales de certains enfants, suite au phĂ©nomène de ghettoĂŻsation des banlieues pourrait-il l’expliquer ? Non, la baisse affecte tous les milieux socioculturels dans les mĂŞmes proportions, les enfants d’ingĂ©nieurs comme ceux de chĂ´meurs. L’augmentation du temps passĂ© devant la tĂ©lĂ© ou la console de jeu pourrait-il l’explique? Non, sur la mĂŞme pĂ©riode, il n’y a pas de baisse des performances en français et on comprendrait mal qu’un tel phĂ©nomène affecte de manière spĂ©cifique le calcul. Et une Ă©ventuelle baisse des moyens accordĂ©s Ă  l’école ? La pĂ©riode 87-99 est, tout au contraire, la dernière durant laquelle les moyens accordĂ©s Ă  l’Ă©cole ont Ă©tĂ© revalorisĂ©s de manière considĂ©rable : le statut et la rĂ©munĂ©ration des professeurs d’Ă©coles est alignĂ© sur celui des certifiĂ©s, une formation professionnelle consĂ©quente, etc. Cela ne signifie Ă©videmment pas que l’école pourra redevenir performante sans de nouveaux moyens : ceux-ci se sont considĂ©rablement dĂ©gradĂ©s depuis l’annĂ©e 2000 environ et on peut sĂ©rieusement douter que la mobilisation nĂ©cessaire pour revenir aux performances antĂ©rieures soit possible avec un statu quo. Mais l’analyse des rĂ©sultats de la DEPP prouve que, dans le domaine du calcul, une amĂ©lioration des moyens accordĂ©s Ă  l’école peut tout aussi bien aboutir Ă  la situation de 1999 (performances dĂ©gradĂ©es) qu’à celle de 1987 (bonnes performances). L’amĂ©lioration des moyens est nĂ©cessaire. Elle n’est pas suffisante.

On en vient donc à envisager les causes d’ordre pédagogique. Cela conduit à comparer les pratiques pédagogiques de la période 1970-1987 avec celles de la période qui suit (1987-2007). En fait, nous commencerons effectivement par comparer ces deux période mais, dans un deuxième temps, nous verrons que c’est la période 1923-1986 qu’il faut comparer avec la période qui suit (1987-2007). En effet, comme on va le montrer, la réforme de 1970, que certains considèrent comme un bouleversement, s’est en réalité effectuée en préservant ce qui était au cœur de la culture française des premiers apprentissages numériques. De plus, pour une meilleure intelligibilité, c’est 1986, et non 1987, qui sera retenue comme date charnière, parce que c’est en 1986 que paraît un texte officiel qui institutionnalise un basculement de la pédagogie du nombre à l’école maternelle.

Le « basculement de 1986 »

Entre 1970 et 1986, suite aux travaux de Piaget, les pédagogues doutaient que les enfants puissent profiter d’un enseignement des nombres avant 6-7 ans et, à l’école maternelle, l’accent était mis sur des activités qualifiées de « pré numériques ». Les enseignants distribuaient par exemple à leurs élèves des blocs en PVC de formes, tailles, épaisseurs et couleurs différentes et les enfants devaient trouver tous les triangles rouges, puis les triangles rouges épais. Ils avaient aussi à mettre en série des tiges de tailles différentes, etc. Le comptage n’était d’aucune façon préconisé et jamais un enseignant n’aurait fait compter ses élèves le jour de la visite de l’inspecteur. Qui se souvient encore que dans le Monde de l’Éducation de novembre 1982, on pouvait lire : « Pour des enfants de cinq ans, apprendre à compter jusqu’à dix n’a guère d’utilité (sinon faire plaisir aux parents) » ? Dans le fichier le plus utilisé au CP, la leçon sur les nombres 1, 2 et 3 se situait en novembre et les élèves n’écrivaient le nombre 10 qu’en janvier. Ce sont ces élèves qui, arrivés en CM2 en 1987, calculaient bien.

Cette période s’achève en 1986 avec la publication d’une circulaire sur l’école maternelle (MEN, 1986). On y lit : «Progressivement, l’enfant découvre et construit le nombre. Il apprend et récite la comptine numérique ». Après plus de 15 ans de quasi disparition de tout apprentissage numérique à l’école maternelle, sous l’ère piagétienne, le changement était radical. C’est pour cela que l’on parlera dans la suite de ce texte du « basculement de 1986 ». Dans un ouvrage (Palanque et col, 1987), une professeure de mathématiques raconte comment, après la lecture dans la revue « La Recherche » d’un article de vulgarisation d’une psychologue américaine, Rochel Gelman (1983), ses collègues d’une équipe liée à l’INRP, Ermel, (Équipe de Recherche Mathématiques à l’école Élémentaire) effectuent une volte-face dans leurs convictions. Il est vrai que l’article s’intitulait : « Les bébés et le calcul » et que, si les bébés savent calculer, il devient difficile de justifier l’absence de tout apprentissage numérique à l’école maternelle.

Les mathématiciens de Ermel se mettent à penser que le comptage doit être enseigné le plus tôt possible (dès la petite section) et ils décident de l’enseigner en attirant l’attention des élèves sur ce que Rochel Gelman appelait le « principe de correspondance terme à terme » (Gelman & Gallistel, 1978) : lorsqu’on compte, l’enfant qui réussit doit être attentif à faire correspondre 1 mot avec 1 objet ; on dit « Un (un objet est pointé), deux (un autre objet est pointé), trois (encore un autre)… ». Il est important de souligner que cette manière de compter « à la Gelman » est aussi celle que les parents adoptent le plus souvent en dehors de l’école : le basculement de 1986 ne correspond donc pas seulement à l’importation de la culture pédagogique des États-Unis, c’est aussi l’importation, au sein de l’école maternelle, de la pédagogie du comptage selon le sens commun. Le plus souvent aujourd’hui, les enfants de PS apprennent à compter ainsi jusqu’à 5. Dans presque toutes les GS, une file numérotée est affichée jusqu’à 30. On compte ainsi presque tous les jours les enfants présents, les étiquettes des absents. Quand un enfant ne sait pas écrire le chiffre 8, il compte ainsi jusqu’à ce nombre sur la file numérotée afin d’en retrouver l’écriture chiffrée. Aujourd’hui encore (octobre 2012), sur le site du ministère, eduscol, figure une épreuve d’évaluation de fin de GS et, quand un élève échoue un comptage jusqu’à 30, il est recommandé au maître d’attirer fortement l’attention de cet élève sur la correspondance 1 mot – 1 objet (MEN/DEGESCO, 2010). Ce sont ces élèves qui, arrivés en CM2, calculent mal.

Depuis 1986, avec des apprentissages numériques aussi précoces, les élèves devraient devenir bien meilleurs en calcul que leurs prédécesseurs ! L’étude de la DEPP montre que c’est le contraire qui est vrai. On se trouve donc face à un paradoxe : comment se fait-il qu’à une époque où l’école enseignait les nombres beaucoup plus tardivement, elle formait des élèves bien plus performants en calcul qu’aujourd’hui ? Nous allons voir que l’enseignement du comptage « à la Gelman » éloigne les élèves du calcul plus qu’il ne les en rapproche.

Mais le basculement de 1986 concernant les apprentissages numériques aux cycles 1 et 2 (école maternelle, CP et CE1) n’est peut-être pas le seul changement pédagogique qu’il convient d’étudier pour comprendre l’effondrement des performances en calcul. Comme c’est au niveau du CM2 que l’étude de la DEPP compare les performances des élèves de 1987 et de 1999, une explication possible serait qu’avant 1987, les maîtres de cycle 3 (CE2, CM1, CM2) avaient des pratiques pédagogiques bien meilleures que ceux qui leur ont succédé. Si c’est le cas, il faut absolument essayer de préciser quelles sont ces pratiques pédagogiques : elles permettraient en effet aux élèves d’être bien plus performants qu’aujourd’hui en commençant l’apprentissage beaucoup plus tardivement et, donc, en y consacrant beaucoup moins de temps.

En fait, personne encore n’a pris l’initiative de défendre un tel point de vue. En effet, cette période 1970-1987 recouvre grandement celle des « mathématiques modernes » et un grand nombre des activités menées à l’époque (le calcul en bases autres que 10, par exemple) ont été très critiquées. On peut rappeler également qu’entre 1970 et 1990, le signe de la soustraction (le symbole « – ») n’était introduit que vers le milieu du CE1 (seule l’addition à trou était étudiée au CP et en début de CE1). Faut-il voir dans cette introduction tardive du signe de la soustraction, l’une des raisons des meilleurs résultats ? Peu de gens sont prêts à défendre cette idée.

Bien plus probablement, c’est un phénomène ayant affecté les premiers apprentissages numériques (cycles 1 et 2) qu’il convient d’incriminer, à savoir le basculement qu’à représenté, à partir de 1986, la préconisation d’enseigner le comptage « à la Gelman » aux jeunes élèves.

Les progrès que permet le comptage « à la Gelman », ceux qu’il ne permet pas

Enseigner le comptage « Ă  la Gelman », c’est enseigner un comptage numĂ©rotage

En fait, enseigner le comptage « à la Gelman » ou selon le sens commun est loin de permettre aux enfants d’accéder facilement au nombre. Ainsi, en PS et en MS, on observe très fréquemment le dialogue suivant (Schaeffer & col, 1974) :

Adulte : Combien y a-t-il de jetons ?

Enfant (en comptant les jetons) : « un », « deux », « trois », « quatre ».

Adulte : Oui, alors combien y a-t-il de jetons ?

Enfant (recompte les jetons) : « Un », « deux », « trois », « quatre ».

Adulte : Je suis d’accord, mais ce que je t’ai demandé, c’est combien il y a de jetons ?

Enfant (recompte encore) : « Un », « deux », « trois », « quatre ».

Cet enfant met bien en correspondance terme à terme les mots-nombres et les jetons de la collection, mais il n’isole pas le dernier mot-nombre prononcé pour répondre à la question posée. L’enfant reste apparemment incapable d’exploiter ce comptage pour répondre à la question : « Combien… ? ». Son comptage ne lui permet pas d’accéder au nombre. On peut dire : son comptage n’est pas un dénombrement.

Pour comprendre ce phĂ©nomène, il suffit d’imaginer un autre contexte oĂą l’enfant pointe des objets en disant des mots tous diffĂ©rents : « cube », « table », « fenĂŞtre », « toboggan », par exemple. Le dernier mot prononcĂ©, « toboggan », rĂ©fère Ă  l’objet qui est pointĂ© au moment oĂą ce mot est prononcĂ© (le toboggan), il ne dit rien des autres objets, ni de l’ensemble des objets. Or, lors d’un comptage « Ă  la Gelman », le dernier mot, « quatre », est prononcĂ© alors que l’enfant pointe le dernier objet, comme dans l’exemple prĂ©cĂ©dent, mais dans ce cas l’enfant devrait comprendre que « quatre », pour l’essentiel, ne rĂ©fère pas Ă  cet objet parce qu’il dĂ©signe une propriĂ©tĂ© de l’ensemble des objets : ce mot prĂ©cise quelle est la pluralitĂ© que l’enfant a devant lui, il dit le nombre d’unitĂ©s de la collection. Pointer un objet tout en prononçant un mot, alors que celui-ci dĂ©signe pour l’essentiel une propriĂ©tĂ© d’autre chose, correspond Ă  un fonctionnement du langage complètement atypique (Markman, 1989 ; 1990). Ă€ vrai dire, on ne l’observe que dans le contexte de l’enseignement du comptage « Ă  la Gelman ». C’est donc l’insistance des pĂ©dagogues sur la correspondance 1 mot – 1 Ă©lĂ©ment qui explique l’incomprĂ©hension des enfants : elle les conduit Ă  concevoir les Ă©lĂ©ments successivement pointĂ©s comme « le un, le deux, le trois, le quatre… ». Les mots prononcĂ©s sont alors des sortes de numĂ©ros renvoyant chacun Ă  un Ă©lĂ©ment et un seul ; le dernier mot prononcĂ© est lui aussi un numĂ©ro, comme les autres.

Ainsi, enseigner le comptage « à la Gelman », selon la pédagogie de sens commun, c’est enseigner un comptage numérotage (Brissiaud, 1989a). Les preuves empiriques en sont nombreuses : lorsque des enfants de 4 ans et demi environ viennent de compter 7 objets et lorsqu’on leur demande de montrer les 7 objets, en insistant sur la marque du pluriel (les), les enfants montrent quand même un seul objet : le dernier pointé (Fuson, 1988) ; lorsqu’on demande à des élèves de GS de rédiger un message écrit afin de ne pas oublier combien il y a d’objets dans une collection de 7 objets qu’ils viennent de compter, ils dessinent : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, c’est-à-dire l’ensemble des numéros qu’ils viennent d’utiliser (Sinclair & col, 1988 ; Brissiaud, 1989a). Pour comparer deux collections, certains enfants comptent l’une en disant : 1, 2 , 3, 4 ; puis l’autre collection en disant : 1, 2 , 3, 4, 5 et ils concluent correctement alors qu’ils ne savent pas répondre 4 et 5 à la question « Combien y a-t-il… ? » : ils ont compris que lorsque leur comptage numérotage va plus loin, on peut dire : « Il y a plus là que là » (Droz & Paschoud, 1981).

Cette signification des mots-nombres s’installe d’autant plus facilement que les jeunes enfants vivent dans un univers de numĂ©ros : en dehors de l’Ă©cole, 4 est pour les enfants le numĂ©ro de l’Ă©tage oĂą ils habitent, 28, celui de leur appartement, 3 celui de la chaĂ®ne tĂ©lĂ©… Lorsqu’un enfant appuie sur la touche « 3 » de la tĂ©lĂ©commande, il ne voit pas 3 images, il voit une seule image, celle de « la 3 ». Bref, un enseignement prĂ©coce du comptage « Ă  la Gelman » renforce la signification des mots-nombres en tant que numĂ©ros et ne favorise pas l’accès Ă  leur signification en tant que noms de nombres, lorsqu’ils dĂ©signent des pluralitĂ©s.

Les exemples précédents montrent que l’usage du comptage numérotage permet certains progrès ; il permet même la comparaison de la taille de 2 collections. Cependant, ces quelques progrès risquent de se payer au prix fort ultérieurement car l’enseignement du comptage numérotage éloigne les élèves du calcul. En effet, la relation numérique « 5 et encore 3, c’est 8 » n’a aucun sens lorsqu’on interprète les chiffres comme des numéros. Regarder successivement les programmes de « la 5 » puis de « la 3 », ne dit rien de ceux de « la 8 ». L’entrée dans le calcul est évidemment impossible tant que les enfants n’ont pas compris que les mots qu’ils utilisent pour compter désignent des pluralités successivement engendrées par l’ajout d’une unité : « deux, c’est un et encore un » ; « trois, c’est un, un et encore un » ou bien : « trois, c’est deux et encore un ».

Faire le choix du comptage numérotage, c’est contraindre les enfants à s’approprier les nombres et le calcul alors que l’on fait un usage des mots qui masque ce qu’il est crucial d’apprendre, c’est contraindre les enfants à un apprentissage implicite des nombres et du calcul. L’entrée dans le calcul est alors une telle course d’obstacles que les élèves les plus fragiles y échouent en grand nombre. Toutes les études sur les enfants en difficulté grave et durable, ceux que certains chercheurs qualifient de « dyscalculiques », décrivent ces enfants comme enfermés dans le comptage 1 à 1 (Geary, 2005).

C’est la raison pour laquelle, dans la culture pédagogique française, depuis 1923 environ jusqu’au basculement de 1986, l’enseignement du comptage numérotage avait été d’abord très sévèrement critiqué, puis proscrit. La raison avancée était que « … cette façon empirique fait acquérir à force de répétitions la liaison entre le nom des nombres, l’écriture du chiffre, la position de ce nombre dans la suite des autres, mais elle gêne la représentation du nombre, l’opération mentale, en un mot, elle empêche l’enfant de penser, de calculer » (Fareng & Fareng, 1966). On retrouve dans cette citation les idées qui viennent d’être exposées : il est vrai que des progrès sont possibles avec un enseignement précoce du comptage numérotage ; mais, chez de nombreux élèves, cette façon d’enseigner le comptage provoque surtout un retard dans l’appropriation du calcul.

On peut aussi évoquer Henri Canac (1955), sous-directeur de l’ENS de Saint-Cloud et membre de la commission Langevin-Wallon. Évoquant ces enfants qui, au cours moyen, sont incapables de retrouver le résultat d’une addition élémentaire sans compter 1 à 1, il les qualifient d’« élèves mal débutés ». L’étude de la DEPP valide ce que pensaient ces pédagogues d’avant 1970 et va même au-delà : mieux vaut ne rien enseigner du tout à l’école maternelle plutôt que d’y créer de tels obstacles au progrès (nous verrons qu’il faudrait préciser : surtout lorsqu’on parle français, parce que cela est moins vrai lorsqu’on parle anglais).

Une autre possibilité : enseigner les décompositions et le comptage dénombrement

Mais l’absence de tout apprentissage numérique à l’école maternelle, comme ce fut le cas entre 1970 et 1986, n’est pas la seule solution pédagogique, ni vraisemblablement la meilleure. Il existe une autre façon de parler les nombres à l’école maternelle, notamment, en PS et en MS (Brissiaud, 1989 ; 2007).

Elle consiste, dans un premier temps, à éviter tout enseignement du comptage numérotage et même, plus généralement, à éviter toute utilisation par l’enseignant des mots-nombres en tant que numéros, afin de privilégier les décompositions des 3 premiers nombres. Ainsi, pour enseigner le nombre 2, l’enseignant de PS utilise comme synonyme de deux : « un et encore un », en faisant, bien sûr, les actions correspondantes : « Deux cubes, c’est un cube (l’enseignant prend 1 cube) et encore un (il en prend 1 autre), deux (ils les montrent tous les deux) » ; et il demande à l’enfant de donner de même : « deux crayons, un crayon et encore un », deux petites voitures… Il ne dit donc jamais : « un, deux » en pointant successivement les objets, il ne les numérote jamais. Puis, quand les enfants ont compris les nombres 1 et 2, il fait de même avec le nombre 3 en utilisant comme synonyme de trois : « un, un et encore un » ou bien « deux et encore un ».

C’est seulement lorsque les enfants ont une connaissance approfondie des 3 premiers nombres qu’il devient possible d’enseigner le comptage. Avoir cette connaissance approfondie, c’est rĂ©ussir tout un ensemble de tâches mettant en jeu ces nombres : savoir dire directement ces nombres en face d’une collection correspondante ; savoir donner une collection ayant 1, 2 ou 3 Ă©lĂ©ments ; savoir reconnaĂ®tre directement une collection de 3 parmi des collections de 2 et 4 ; savoir rĂ©soudre des problèmes oĂą il s’agit d’anticiper le rĂ©sultat d’ajouts et de retraits de 1 ou 2 dans le tout petit domaine numĂ©rique des 3 premiers nombres, etc.

Dès que les Ă©lèves ont une connaissance approfondie des 3 premiers nombres, donc, il devient possible d’enseigner le comptage d’abord jusqu’à 4, plus tard jusqu’à 5. Et il est nĂ©cessaire et très facile que cet enseignement prenne une forme diffĂ©rente du comptage numĂ©rotage. DĂ©crivons cette autre façon de l’enseigner en se plaçant dans la situation oĂą, pour donner 4 cubes Ă  un nounours, par exemple, l’enseignant montre aux Ă©lèves comment on compte des objets en les prĂ©levant successivement d’un stock. L’enseignant dit « un » quand il a dĂ©placĂ© le 1er objet, il dit « deux » non pas au moment oĂą il touche le 2e objet, mais quand celui-ci a Ă©tĂ© dĂ©placĂ© et, donc, quand la collection des deux objets a Ă©tĂ© formĂ©e (on vise Ă  ce que l’enfant associe le mot « deux » Ă  la pluralitĂ© : 2, c’est le rĂ©sultat de 1 et encore 1), il dit « trois » non pas au moment oĂą il touche le 3e objet mais au moment oĂą celui-ci a Ă©tĂ© dĂ©placĂ© et, donc, quand la collection de trois objets a Ă©tĂ© formĂ©e (pour que l’enfant associe le mot « trois » Ă  la pluralitĂ© : 3, c’est le rĂ©sultat de 2 et encore 1). Idem pour « quatre » ; si les enfants ont compris les 3 premiers nombres (et il ne faut procĂ©der Ă  cet enseignement que quand c’est le cas), ils ont la possibilitĂ© d’accĂ©der Ă  la signification du mot « quatre » en gĂ©nĂ©ralisant celle de « un », de « deux » et de « trois » : si c’est le cas, ils apprennent d’emblĂ©e que 4, c’est 3 et encore 1.

Lorsqu’il procède ainsi, l’enseignant enseigne une forme de comptage très différente du comptage numérotage, parce que la correspondance terme à terme qu’il théâtralise n’est pas celle entre 1 mot et 1 objet mais la correspondance entre 1 mot et la pluralité des objets déjà pris en compte (ce n’est pas un comptage « à la Gelman »). Lorsqu’un enfant comprend cette forme de comptage, chaque mot prononcé désigne pour lui un vrai nombre puisqu’il désigne la nouvelle pluralité obtenue après l’ajout de 1 ; c’est la raison pour laquelle on peut alors parler de l’enseignement d’un « comptage dénombrement ». Il est sûr que l’on ne peut pas espérer enseigner avec succès le comptage dénombrement aussi précocement, ni aussi loin, qu’il est possible de le faire avec le comptage numérotage. Mais si l’on veut, plus tard, voir l’édifice prendre de la hauteur, il convient d’assurer de solides fondations.

Les enseignants peuvent aussi utiliser un « comptage dénombrement explicite ». Il y a deux façons de rendre un comptage dénombrement explicite. La première consiste à dire : « 1 et encore 1, 2 ; et encore 1, 3 ; et encore 1, 4 ». En effet, un comptage dénombrement est un comptage où l’on cherche à faire comprendre le calcul sous-jacent au dénombrement ; verbaliser ce calcul ne peut que favoriser cette compréhension. La seconde façon consiste, lors d’un comptage dénombrement, à exprimer le nombre total résultant de l’ajout successif des unités, en spécifiant la nature de cette unité : « un jeton, deux jetons, trois jetons… ». En effet, dans l’expression « trois jetons », la syntaxe de ce petit groupe nominal fait que le mot « trois » réfère à une pluralité, il n’est pas un numéro. Or, la signification des mots-nombres que le comptage dénombrement cherche à privilégier est celle de pluralités, celle que l’on appelle aussi la signification cardinale des mots-nombres.

De même que les points cardinaux (nord, sud…) sont ceux qui servent de repères pour s’orienter dans l’espace, la signification cardinale des mots-nombres est celle qui doit guider la pratique pédagogique des enseignants de maternelle. On remarquera d’ailleurs que dans les décompositions d’un nombre (trois, c’est deux et encore un, par exemple), chacun des mots-nombres prononcés a une signification cardinale. Faire le choix de privilégier les décompositions et le comptage dénombrement, c’est privilégier la signification cardinale des mots-nombres et, partant, c’est permettre un apprentissage explicite des nombres et du calcul.

Renouer avec la culture pédagogique des pays francophones

Faire le choix pédagogique de privilégier l’usage de décompositions des nombres et le comptage dénombrement, est-ce renouer avec la culture pédagogique de l’école maternelle française ? Nous allons voir que c’est effectivement le cas.

Dans un ouvrage publié dans les années 50 (Brachet, Canac et Delaunay, 1955), le premier de ces auteurs s’exprime ainsi : « Ce n’est pas, nous semble-t-il en remuant (l’auteur veut dire : en comptant numérotant) l’un après l’autre les quatre jetons d’une collection que l’enfant forme la notion de quatre et des décompositions. Ce serait plutôt, croyons-nous, en contemplant, à bonne distance, et d’une vue d’ensemble, simultanée, la constellation de 4 objets, que l’enfant sera illuminé par le nombre 4, qui est 2 + 2 et 3 + 1 ». Le mot « illumination » est évidemment malheureux mais le propos de ce pédagogue serait resté complètement d’actualité s’il avait dit : « Imaginer les différentes façons de dessiner les 4 points de la constellation du dé, est l’un des moyens par lequel l’enfant peut accéder au fait que 4, c’est 2 + 2 et c’est 3 + 1 ». L’important est évidemment que ce pédagogue se livrait à une critique du comptage (numérotage) et mettait la connaissance du nombre 4 du côté de la connaissance de ses décompositions.

De même, trouve-t-on un équivalent de la notion de comptage dénombrement dans les écrits des pédagogues anciens. C’est souvent à travers les propos des Inspectrices Générales des écoles maternelles que l’on sait aujourd’hui ce qu’était la culture pédagogique à l’époque. L’une d’elles, J. Bandet (1962), préconise cette forme d’enseignement du comptage, dans les cas où les unités ne sont pas déplaçables. Elle préconise d’utiliser un cache et de découvrir progressivement les unités :

Puis l’enseignant dĂ©couvre un point de plus en disant : « quatre », etc. Pourquoi cet emploi d’un cache ? Cette pĂ©dagogue s’appuie sur un phĂ©nomène que les psychologues ont bien Ă©tudiĂ© : l’être humain a la possibilitĂ© de traiter jusqu’à 3 unitĂ©s en parallèle, sans ĂŞtre obligĂ© de focaliser son attention successivement sur chacune d’elles, phĂ©nomène que l’on appelle le « subitizing » (Fischer, 1991 ; Piazza & col, 2011). Lorsqu’on enseigne le comptage ainsi, on peut dire que, d’une certaine façon, l’enfant qui a compris les 3 premiers nombres voit « un », puis « deux » puis « trois » ; chacun de ces mots est mis en correspondance avec la pluralitĂ© que l’enfant « voit » et, lorsque l’enseignant fait apparaĂ®tre l’unitĂ© suivante en disant : « quatre », l’enfant a la possibilitĂ© de gĂ©nĂ©raliser la signification des mots « un », « deux » et « trois » en associant le mot « quatre » Ă  la pluralitĂ© correspondante. Il s’agit bien d’une forme d’enseignement du comptage dĂ©nombrement.

Mais c’est encore Henri Canac qui renseigne le mieux sur ce qu’est la culture pĂ©dagogique de l’école française concernant les apprentissages numĂ©riques après 1945. Dans un texte publiĂ© d’abord dans une revue en 1947, puis dans un livre (Brachet & col, 1955) et enfin dans un ouvrage rĂ©digĂ© par une commission d’experts rĂ©unis par l’UNESCO autour de Gaston Mialaret (Mialaret, 1955), il se livre Ă  une critique sĂ©vère du comptage (numĂ©rotage) : « …dans la plupart de nos classes enfantines ou prĂ©paratoires, il n’est pas sĂ»r en dĂ©pit de quelques apparences spĂ©cieuses, qu’on s’Ă©lève beaucoup au-dessus du dĂ©nombrement mĂ©canique. » (p. 12) Il n’utilise pas l’expression « comptage numĂ©rotage », bien sĂ»r, il utilise mĂŞme le mot dĂ©nombrement qui porte Ă  confusion, mais comment ne pas voir les prĂ©misses d’une analyse du comptage numĂ©rotage quand il dit ceci d’un enfant qui compte (numĂ©rote) : « dans l’incapacitĂ© oĂą il se trouve d’opĂ©rer d’un seul coup, il se rĂ©cite mentalement la suite des nombres, les noms ainsi profĂ©rĂ©s, surtout s’ils sont nettement scandĂ©s, constituant Ă  leur manière des objets concrets » (p. 12). Et il professe du mĂ©pris pour ce comptage (numĂ©rotage), trop de mĂ©pris mĂŞme, parce qu’il nie les quelques progrès qu’il permet : « Le maniement de bĂ»chettes, la gesticulation digitale, le preste tracĂ© de barres sur l’ardoise, peuvent Ă  la rigueur dĂ©velopper la dextĂ©ritĂ© de la main ; mais cette prĂ©cieuse qualitĂ© trouve de meilleures occasions de s’affirmer dans d’autres disciplines ».

Dans le mĂŞme texte, Henri Canac met ensuite en avant la valeur cardinale des nombres et il prĂ©sente une « mĂ©thode nouvelle » qui « forme Ă  (son) sens, une des meilleures conquĂŞtes de la pratique pĂ©dagogique au cours du dernier quart de siècle. » Cette mĂ©thode consiste Ă  Ă©tudier les nombres dans l’ordre et elle conduit les enseignants : « Ă  construire (dĂ©finir, poser), le nouveau nombre par adjonction de l’unitĂ© au nombre prĂ©cĂ©dent, puis Ă  Ă©tudier ses diverses dĂ©compositions en nombres moins Ă©levĂ©s que lui. »

Ainsi, avec cette mĂ©thode, il y a un moment pour l’Ă©tude du nombre 3, suivi d’un moment d’Ă©tude de 4, puis de 5… jusqu’Ă  10. Chaque nouveau nombre Ă©tudiĂ© est dĂ©fini comme rĂ©sultant de l’ajout de 1 au prĂ©cĂ©dent. L’étude du nombre N commence donc par un comptage dĂ©nombrement jusqu’à N. Et, pour chaque nombre, on consacre beaucoup de temps Ă  en Ă©tudier les dĂ©compositions. Il ne faut pas se mĂ©prendre : ce n’est pas une conception « behavioriste » des apprentissages qui guide ces pĂ©dagogues ; ils veulent avant tout choisir une mĂ©thode qui Ă©vite un premier Ă©cueil : le comptage (numĂ©rotage) 1 Ă  1, notamment sur les doigts. Canac en parle d’ailleurs comme d’une « gesticulation digitale ». L’objectif de ces pĂ©dagogue est de « bien dĂ©buter » les Ă©lèves.

Comment, selon Henri Canac, reconnaĂ®t-on un Ă©lève « mal dĂ©butĂ© » ? Au fait qu’il ne mĂ©morise pas les rĂ©sultats d’additions Ă©lĂ©mentaires et qu’il compte jusque tard sur ses doigts : « Dans de nombreux cours Ă©lĂ©mentaires, ou mĂŞme cours moyens, on trouve souvent de grands benĂŞts qui comptent sur leurs doigts (en cachette lorsque M. l’Inspecteur est lĂ ) ou qui, sommĂ©s de rĂ©soudre une simple opĂ©ration, comme 8 + 5, se rĂ©citent intĂ©rieurement Ă  eux-mĂŞmes : 8, 9, 10, 11, 12, 13 en Ă©voquant des doigts imaginaires. » Henri Canac fait ainsi le lien entre l’enfermement dans le comptage 1 Ă  1 et l’absence de mĂ©morisation des rĂ©sultats d’addition.

En fait, le thème de la mĂ©morisation des rĂ©sultats d’additions est peu prĂ©sent dans le texte d’Henri Canac. En revanche, il est omniprĂ©sent dans un texte antĂ©rieur, le Rapport de MM les Inspecteurs GĂ©nĂ©raux Marijon et Leconte sur les confĂ©rences pĂ©dagogiques de 1928 (Savard, 1940). C’est donc chez les pĂ©dagogues du « quart de siècle » d’avant 1945, ceux qui sont Ă  l’origine de la conquĂŞte pĂ©dagogique que constitue la mĂ©thode d’étude de chaque nombre l’un après l’autre, qu’il faut aller chercher le complĂ©ment d’information nĂ©cessaire.

Il semblerait que ces confĂ©rences pĂ©dagogiques de 1928 aient plutĂ´t pris la forme d’ateliers dans lesquels les instituteurs devaient rĂ©pondre Ă  des questions du style : « Quelle doit ĂŞtre la part de la rĂ©flexion et de la mĂ©moire dans l’enseignement des premières notions de calcul ? » « Convient-il d’apprendre par cĹ“ur la table d’addition? Vaudrait-il mieux exercer les Ă©lèves Ă  combiner les nombres en utilisant les notion de compensation, de voisinage, de symĂ©trie et de dĂ©composition que leur intuition conçoit sans effort ? »

La rĂ©ponse est sans ambages : « Ce n’est qu’après avoir bien rĂ©flĂ©chi, comparĂ©, raisonnĂ© mĂŞme, qu’une notion est confiĂ©e Ă  la mĂ©moire. » « L’on passe toujours trop rapidement sur l’Ă©tude des premiers nombres, dans la hâte d’arriver aux opĂ©rations,… ces brillantes opĂ©rations qui font la joie de certains maĂ®tres et d’Ă  peu près tous les parents. »

« D’abord, l’Ă©tude de la première dizaine de nombres contient en germe bien des idĂ©es et nĂ©cessite bien des gradations : nommer ces nombres tout en les rĂ©alisant matĂ©riellement avec des objets, recommencer avec haricots, des billes… /… combiner les premiers nombres par addition et soustraction, n’employer la rĂ©pĂ©tition, pourtant nĂ©cessaire, qu’après s’ĂŞtre assurĂ© que toutes les combinaisons ont Ă©tĂ© « senties » de telle façon que le rĂ´le de la mĂ©moire reste subordonnĂ© et final, ensuite Ă©crire ces nombres et enfin s’Ă©lever au nombre dit abstrait, le seul sur lequel on opère finalement, tout cela qui est aujourd’hui si bien fait Ă  l’Ă©cole maternelle peut aussi servir de mĂ©thode pour la suite au cours prĂ©paratoire et au cours Ă©lĂ©mentaire. Bien entendu, lorsque la toute première initiation a Ă©tĂ© Ă  ce point dĂ©taillĂ©e, les enfants ne doivent plus compter sur les doigts. »

On voit s’élaborer dans ce passage, la méthode que, plus tard, Henri Canac qualifiera de « nouvelle ». Il faut prendre ce qualificatif au sérieux : Henri Canac dit lui-même qu’elle « n’est pas sans parenté avec les méthodes nouvelles d’apprentissage de la lecture » et sans doute pensait-il que promouvoir son usage était une façon de s’inscrire dans le mouvement de l’Education Nouvelle, si puissant au moment de la Libération. Le fait qu’une telle méthode risque d’instiller l’ennui par son aspect répétitif (leçon du 3, du 4…) et, donc, fonctionner à rebours des idées qui ont présidé à son élaboration, est une autre histoire.

Et concernant la mĂ©morisation des rĂ©sultats d’additions dont le rĂ©sultat dĂ©passe dix ? La recommandation est très claire : « Il convient, selon nous, d’arriver très vite Ă  la formation, par voie purement mentale, de 8 + 7 = 15, au moyen de 8 + 2 = 10, 10 + 5 = 15, Ă©tant entendu que ces exercices auraient Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©s de nombreuses rĂ©alisations manuelles et visuelles. ». On notera que l’usage d’une telle stratĂ©gies n’est pas accessible Ă  un Ă©lève qui ne s’est pas appropriĂ© la dĂ©composition : 7 = 2 + 5. De façon gĂ©nĂ©rale, il n’y pas d’usage de stratĂ©gies de dĂ©composition-recomposition possibles pour obtenir le rĂ©sultat d’une addition dont le rĂ©sultat dĂ©passe dix sans une bonne connaissance des dĂ©compositions des dix premiers nombres.

On peut donc rĂ©sumer ainsi ce qu’Ă©tait, en 1970, la culture pĂ©dagogique des premiers apprentissages numĂ©riques Ă  l’Ă©cole :

1°) L’enseignement doit Ă©viter deux Ă©cueils : le comptage mĂ©canique 1 Ă  1 et un apprentissage par cĹ“ur prĂ©coce des rĂ©sultats des additions Ă©lĂ©mentaires.

2°) Comment Ă©viter ces deux Ă©cueils ? En permettant aux Ă©lèves de s’approprier les dĂ©compositions des 10 premiers nombres avant d’utiliser, pour les additions dont le rĂ©sultat dĂ©passe 10, des stratĂ©gies de dĂ©composition-recomposition.

Ainsi, la mĂ©thode « nouvelle » qui s’Ă©labore Ă  partir de 1923, met l’accent sur une Ă©tude progressive des nombres et de leurs dĂ©compositions parce qu’elle est un moyen d’Ă©viter les deux Ă©cueils prĂ©cĂ©dents, et non pour adopter une progressivitĂ© de type « behavioriste ». Ces pĂ©dagogues anciens prĂ´nent un tel dĂ©coupage de l’étude des nombres parce qu’ils visent une meilleure comprĂ©hension des nombres et parce qu’ils considèrent cette comprĂ©hension comme la condition d’une meilleure mĂ©morisation. Cette conception de l’enseignement n’a rien Ă  voir avec le dĂ©coupage de ce qu’il faut enseigner en fragments Ă©lĂ©mentaires afin de favoriser des conditionnements successifs. Or, c’est souvent ainsi que la doxa moderniste l’analysera par la suite.

1970 : les fondamentaux de la culture pĂ©dagogique de l’Ă©cole sont prĂ©servĂ©s

Les analystes de la rĂ©forme des mathĂ©matiques modernes de 1970, Michel Delord notamment, ont surtout insistĂ© sur les changements survenus Ă  cette Ă©poque. Deux phĂ©nomènes ont principalement attirĂ© leur attention. Le premier est que l’usage des signes d’opĂ©rations a Ă©tĂ© retardĂ© : après 1970, seul le signe « + » Ă©tait enseignĂ© au CP, les signes « x » et « – » l’étaient en milieu de CE1 et aucun symbolisme n’était utilisĂ© pour la division avant le CE2. Le second est qu’après 1970, on n’écrivait plus de « nombres concrets » au CP, il n’était plus recommandĂ© que l’enseignant Ă©crive au tableau des Ă©galitĂ©s telles que : « 4 pommes + 3 pommes = 7 pommes ; il n’était pas plus recommandĂ© que les Ă©lèves les Ă©crivent sur leur cahier.

L’étude de la DEPP montre que ces changements ne se sont pas traduits par une dégradation des performances. Cela s’explique : l’arithmétique scolaire, surtout dans les petites classes, est souvent une arithmétique orale et, bien évidemment, on a continué dans les classes à résoudre des problèmes d’addition itérée de la même quantité, mais sans parler de multiplication ; on a continué à proposer des problèmes de partage ou de groupement, mais sans parler de division et l’on a continué à dire dans la classe que : « 4 pommes plus 3 pommes égalent 7 pommes », même si on écrivait seulement l’égalité sans les unités. Si ces deux changements étaient si importants, comment expliquer qu’au final, 17 ans après la réformes des mathématiques modernes de 1970, les enfants de CM2 calculaient toujours bien ?

Mais, entre l’avant et l’après 1970, il y eut aussi des continuitĂ©s, et elles Ă©taient bien plus importantes que les discontinuitĂ©s, parce qu’elles concernaient ce qui Ă©tait au cĹ“ur de la culture de l’Ă©cole d’avant la rĂ©forme : le rejet du comptage (numĂ©rotage) 1 Ă  1 et l’enseignement des dĂ©compositions des nombres.

Première continuitĂ© : le rejet de l’enseignement du comptage numĂ©rotage. Plus qu’un rejet, mĂŞme : sa disparition. D’une certaine manière, on pourrait dire que le rĂŞve de Henri Canac, des Ă©poux Fareng, de J. Bandet… s’est rĂ©alisĂ© avec la rĂ©forme des mathĂ©matiques modernes : enfin, il n’y eut plus de sĂ©quences conduisant les enfants Ă  « remuer des jetons », Ă  se livrer Ă  une « gesticulation digitale », etc. L’enseignement du comptage numĂ©rotage disparut du seul fait que tout apprentissage numĂ©rique fut banni de l’Ă©cole maternelle et du dĂ©but du CP (on est durant la pĂ©riode piagĂ©tienne de l’Ă©cole). On notera d’ailleurs que l’Inspectrice GĂ©nĂ©rale qui exerçait lors de la transition entre les anciens et les nouveaux programmes Ă©tait J. Bandet, celle qui prĂ©conisait la forme d’enseignement du comptage dĂ©nombrement qui consiste Ă  dĂ©masquer successivement les unitĂ©s de la collection que l’on veut dĂ©nombrer. A-t-elle pensĂ© qu’il valait mieux que tout comptage disparaisse de l’Ă©cole maternelle parce qu’elle dĂ©sespĂ©rait que les enseignants abandonnent l’enseignement du comptage numĂ©rotage ? Toujours est-il que la solution adoptĂ©e fut effectivement la plus radicale que l’on puisse imaginer.

Il y eut, de mĂŞme, continuitĂ© concernant l’enseignement des dĂ©compositions des nombres : après 1970, elles restent très fortement mises en avant au CP, mais de manière diffĂ©rente. Au milieu des annĂ©es 70, pour comparer la taille de deux collections, les Ă©lèves de dĂ©but de CP utilisaient systĂ©matiquement la correspondance terme Ă  terme : soit ils rapprochaient physiquement les Ă©lĂ©ments des deux collections, soit ils les reliaient en traçant des traits. Et dans les Ecoles Normales (lĂ  oĂą s’effectuait la formation des maĂ®tres avant les IUFM), on prĂ©conisait très fortement une activitĂ© qui s’appelait les « boĂ®tes nombres ». Celle-ci commençait vers le mois de novembre au CP et durait jusqu’au mois de janvier. Elle conduisait les Ă©lèves Ă  placer dans une mĂŞme boĂ®te des collections qui peuvent ĂŞtre mises en correspondance terme Ă  terme (par exemple, une collection de 7 cubes, une autre de 7 trombones…). Pour dĂ©signer la propriĂ©tĂ© commune Ă  ces collections (le nombre, donc), les Ă©lèves Ă©taient assez vite en difficultĂ© : certains ne connaissaient ni le mot-nombre correspondant, ni son Ă©criture chiffrĂ©e (rappelons que l’on n’apprenait plus du tout le comptage Ă  l’Ă©cole maternelle : ni le comptage numĂ©rotage, ni le comptage dĂ©nombrement !). Pour dĂ©signer le nombre, une première possibilitĂ© consistait Ă  adopter un symbole arbitraire : une spirale par exemple. Mais l’enseignant mettait fortement en avant un autre moyen : si l’on dĂ©couvrait qu’une collection de 7 cubes, par exemple, a Ă©tĂ© placĂ©e dans la boĂ®te correspondante alors qu’elle est formĂ©e avec une collection de 4 cubes rouges et une autre de 3 bleus, on vĂ©rifiait qu’il est possible de retrouver cette dĂ©composition avec les autres collections de la boĂ®te et on Ă©crivait « 4 + 3 » sur la boĂ®te : la boite devenait celle des collections que l’on forme en rĂ©unissant une collection de 4 et une autre de 3. Il Ă©tait donc possible de dĂ©signer le nombre correspondant Ă  cette boĂ®te par l’écriture « 4 + 3 » sans connaĂ®tre le chiffre 7 ni mĂŞme le mot « sept ».

On utilisait ainsi ce que l’on appelait une « Ă©criture additive » du nombre. Dans un premier temps, une « Ă©criture additive » d’un nombre pouvait ĂŞtre utilisĂ©e avant de savoir comment ce nombre s’Ă©crit en chiffres, dans un second temps, les deux Ă©taient reliĂ©s. Il suffit d’ouvrir un fichier de l’Ă©poque pour s’apercevoir qu’un temps important Ă©tait consacrĂ© Ă  travailler les « Ă©critures additives » des nombres et, donc, les dĂ©compositions. Et quand on y regarde de près, il y avait lĂ  une situation tout Ă  fait intĂ©ressante pour apprendre Ă  « combiner les nombres en utilisant les notion de compensation, de voisinage, de symĂ©trie et de dĂ©composition » (Marijon et Leconte, 1928).

Cette activitĂ© a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e par Guy Brousseau, le fondateur de la didactique des mathĂ©matiques en France ; elle est dĂ©crite dans ce que l’on peut considĂ©rer comme l’un de ses articles les plus importants (Brousseau, 1972). Les adaptations qui en ont Ă©tĂ© faites et que l’on trouve dans divers ouvrages, prenaient souvent certaines libertĂ©s avec la progression originelle, mais toutes reposaient sur l’hypothèse que les enfants n’avaient pas encore un comptage assurĂ© et qu’il fallait profiter de ce moment pour mettre fortement en avant les dĂ©compositions des nombres. Il y eut, de ce point de vue, une totale continuitĂ© entre l’avant 1970 et la pĂ©riode ayant suivi. C’est plus tard, en 1986, que s’est situĂ©e la rupture, c’est aussi Ă  partir de cette date que les performances des enfants se sont brusquement et fortement dĂ©gradĂ©es.

Concernant l’Ă©laboration de la culture pĂ©dagogique de l’Ă©cole française, on vient d’insister sur la continuitĂ© entre 1923 et 1986. Il est probablement injuste de ne pas remonter plus loin dans le temps en Ă©voquant Ferdinand Buisson qui, parlant de la mĂ©thode intuitive qu’il prĂ©conise, prĂ©cise en 1887 qu’elle « a pour but de faire connaĂ®tre les nombres : connaĂ®tre un objet, ce n’est pas seulement savoir son nom, c’est l’avoir vu sous toutes ses formes, dans tous ses Ă©tats, dans ses diverses relations avec les autres objets ; c’est pouvoir le comparer avec d’autres, le suivre dans ses transformations, le saisir et le mesurer, le composer et le dĂ©composer Ă  volontĂ©. ».

De plus, il faudrait vraisemblablement avoir une vision plus internationale et parler de renouer avec la culture pédagogique des pays francophones. Lors de conférences en Wallonie, divers pédagogues m’ont dit partager l’analyse que je leur présentais du comptage numérotage, m’informant que, lorsque des pédagogues wallons abordaient cette question, ils parlaient souvent de « comptage unaire » plutôt que de comptage numérotage.

RĂ©mi Brissiaud

Laboratoire Paragraphe – Université Paris 8

A suivre…

Voir aussi :

Le nombre Ă  l’Ă©cole maternelle

La pédagogie du nombre chez les 2-3 ans