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Régis Malet (professeur à l’université de Bordeaux, rédacteur en chef de la revue Education comparée) parle, lui, de « L’évolution du paradigme de la professionnalisation des enseignants dans une perspective comparatiste ». Il critique l’idée même de professionnalisation. Si cette préoccupation est récurente, et peut paraître consensuelle, la notion est instable et nomade, et renvoie à des positions d’acteurs dans l’espace social, comme une réthorique qu’il souhaite questionner pour comprendre les luttes d’intérêts.

Appliqué au travail enseignant, la logique de service public est-elle soluble dans l’imaginaire professionnel ? En tout cas les enseignants ne sont pas ceux qui utilisent le plus le mot « professionnalisation » : c’est surtout leurs formateurs ou les chercheurs qui les étudient qui en parlent… Dans l’effritement actuel du contrat moral entre l’école et la société (développer un accès moins inégalitaire aux diplomes), l’appel à la « professionnalisation » s’inscrit dans le cadre d’un mouvement international d’idées, à partir de réseaux politiques, scientifiques, communicationnels, propres à la mondialisation. Elle s’épanouit au moment où la défiance grandit envers les enseignants, dans une perspective de régulation et de contrôle bien plus que dans une perspective de protection professionnelle, et ce malgré la bonne volonté de bien des chercheurs qui, ayant investi ce terrain, participent malgré eux à un discours auquel ils n’adhèrent pas. L’individualisation croissante de l’acception de la compétence professionnelle ne mobilise que les collectifs de proximité. Le « professionnel » est singulier, technique.

A qui profite donc la professionnalisation des enseignants ? Une grille de lecture existe, sur l’idée d’une fragmentation des groupes professionnels, entre une élite qui se situerait du côté des institutions, et une « base » livrée aux difficultés du quotidien. Les cadres intermédiaires, les promus internes y jouent un rôle-clé : chefs d’établissements, inspecteurs, formateurs, chercheurs constituent le noyau de ces élites disntiguées dans le champ de la gestion de l’éducation. Prescripteurs ou médiateurs, ils assurent une nouvelle donne, participent au renouvellement du contrôle des enseignants, prenant le pas de l’auto-régulation du groupe professionnel. Ils exposent au « professionnalisme managérié» tel que le définit Lise Demailly, dans ce qui est presque l’opposé de la professionnalité de Fryson. Elle permet de réinterroger l’opposition traditionnelle entre contrôle et autonomie.

Le paradigme des « compétences » joue un rôle dans ce processus pour la standardisation des métiers, dans une tentative de naturalisation de l’activité, de « bonnes pratiques » exemplarisées, détachant l’acte d’enseignement de son contexte social et du champ politique.

Le développement des recherches sur cet objet contribue à le rendre visible, car le développement des champs des sciences de l’éducation rend nécessaire son articulation avec les discours publics dominants. Même la sociologie critique raisonne peu en terme de « pouvoir », mais en terme d’étayage professionnel, certes utile, mais dans une indifférence aux enjeux politiques et sociaux. La revue « Education Comparée » y revient.

Derrière l’utilisation incantatoire à la « professionnalisation », les formations devraient travailler à comment le métier « s’apprend ». Mais la profession enseignante est de plus en plus paupérisée, de moins en moins formée, ce qui semble un problème : la connaissance du travail réel, culturel, social occupe une très faible place dans la formation et le recrutement ; l’alternance reste faible ; les conditions de recrutement ne permettent pas d’organiser des cursus longs, dans une conception simultanée (et non successive) du modèle de formation. L’Ecosse, les Pays-Bas, l’Irlande ont pris à bras le corps ces enjeux.

Il ne peut y avoir de professionnalité sans profession...


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