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Suite à la conférence de Viviane Bouysse, on se répartit dans les différents ateliers, qui d’ailleurs sont plus des « communications » pour clore cette matinée. Celui de Marie-Lise Peltier doit traiter des apports de la recherche en didactique dans la construction des apprentissages en mathématiques, à l’école maternelle.

Elle ouvre en présentant un classique de la maternelle : le tri, ici plutôt le classement en PS. Maire-Lise Peltier insiste dans son exemple sur la nécessité de faire évoluer la situation. C’est sa complexification qui permettra aux enfants de construire la compétence visée. Les situations sont toujours pensées dans une temporalité où différentes étapes vont se succéder : « C’est dans cet espace entre le moment où on agit et et celui où on constate l’effet de son action que se construit le concept de tri. » Progressivement les enfants acquièrent des postures où ils convoquent des stratégies.

La conception de ces situations se doit de ne rien laisser au hasard, il faut avoir une réflexion pour concevoir des situations qui ont pour but d’être vraiment construites pour apporter à tous les élèves ce qui va être important pour la suite. Aussi, ce n’est pas le choix du contexte, ou du jeu qui fait qu’une situation permet ou non un apprentissage, c’est le fait que les élèves aient à développer une activité cognitive relative à la notion étudiée.

Alors qu’est ce que faire des maths ? C’est penser pour prendre des décisions.

La présence d’un milieu matériel n’implique pas la réduction de l’activité à une simple manipulation (bien que celle-ci ait également un rôle à jouer). Prévoir est très différent d’illustrer.

Marie-Lise Peltier brosse un historique, remontant aux programmes Chevènement de 1985 (ceux qui commencent à impliquer les familles qui ont accès à la publication des programmes en livre de poche et ceux qui voient le « retour » du nombre), passe rapidement sur la mise en place des cycles en 1989 pour décrire un peu l’ambition des programmes de 2002 qui selon elles étaient « exemplaires au moins dans la manière dont ils avaient été élaborés. Ils ont d’ailleurs résisté aux changement de gouvernement (Lang/ Ferry) ». Des documents d’accompagnements sont publiés, des outils d’évaluations, et nouveau sur la forme on voit apparaître les compétences en fin de cycle.

Avec loi Fillon, de nouvelles orientations sont prises, on instaure le socle commun de connaissances de base. Marie-Lise Peltier constate qu’on fait appel aux neurosciences pour prescrire les pratiques, tout en reconnaissant le bien-fondé des recherches et découvertes permises par ce secteur, elle doute des conséquences appliquées en matière de pédagogie. Elle balaie d’un revers la période 2008-2012

« dont on ne va pas parler » tout en pointant quand même les effets de la médicalisation des difficultés scolaires : « les évaluations ont pour fonction de « déceler » des troubles du développement et des apprentissages » . Elle relève une injonction paradoxale faite aux enseignants qui sont dé-responsabilisés sur le plan de ce qu’ils ont à faire au niveau pédagogique, mais trop responsabilisés sur le dépistage. Les comparaisons internationales induisent une dérive de centration sur la réussite, réussite dans l’instant au lieu des apprentissages construits et pérenne sur le long terme. Elle note que « les enfants peuvent réussir sans apprendre. »

Marie-Lise Peltier évoque ensuite les risques actuels : la centration sur le faire : « des manipulations diverses répondant à des objectifs globaux sans réflexion précise des enjeux de l’activité pour la construction de connaissances identifiables » elle remet en cause les activités où les élèves exécutent des tâches sans envisager qu’il y a quelques chose à apprendre de cette tache. Elle dénonce la centration sur des tâches segmentées et « élémentarisées » et notamment reposant sur l’écrit, en particulier le travail sur fiche où la tâche, une fois la consigne donnée, se réduit souvent à du coloriage, entourage…Elle remet en cause l’évaluation très présente (afin de pouvoir remplir les livets de compétences), souvent à partir de travaux écrits au détriment de l’observation en situation …

Elle invite à essayer de faire en sorte que l’école maternelle soit pensée comme un mode d’acculturation à un nouveau monde : celui de l’écrit en particulier. Selon elle l’école maternelle doit être l’endroit où l’on construit l’environnement culturel sur lequel s’appuie l’école et permettre à tous les élèves et à leurs familles de comprendre les enjeux de l’école. En tant qu’enseignants, nous sommes des « natifs scolaires », nous avons intégré ce patrimoine culturel, mais il faut avoir conscience que ce n’est pas le cas de tous les parents et que les enjeux peuvent être « opaques » pour certains milieux. Ceux là ne savent pas quelles sont les attentes de l’école, ils ne comprennent pas l’importance de telle ou telle activité et donc ils n’aident pas leurs enfants à repérer l’enjeu de l’apprentissage de la situation. Ce sont souvent les questionnements de la famille qui vont induire certains élèves à comprendre que dans l’activité il y avait quelque chose à apprendre, ce retour en famille sur les activités scolaires n’est pas présent dans beaucoup de milieux où l’enjeu de l’apprentissage n’est perçu ni par l’élève, ni par la famille. Faisant siens les propos de Viviane Bouysse à propos du langage de scolarisation , Marie-Lise Peltier insiste sur la différence entre verbalisation de l’action (nécessaire également) et construction de ce langage d’évocation, d’anticipation, d’aide à l’élaboration de la pensée. Elle invite à créer des dispositifs où l’élève expérimente et développe son autonomie, sa prise de décisions mais aussi pour donner du sens aux notion de prévision, de validation, de causalité. Selon elle il faut réunir confiance et sécurité pour que l’élève ose faire des tentatives, des essais mêmes infructueux et répétés notamment en le responsabilisant dans l’acte d’apprendre.

Elle indique que les concepts à construire sont peu nombreux : : le repérage, l’alignement, les formes, le tri, le nombre mais qu’il faut les construire dans des situations où leur nécessité s’impose et donne du sens. En s’appuyant sur des outils didactiques qu’elle qualifie de « robustes », l’enseignant doit :

développer le sens des connaissances

prendre en compte les obstacles liés à l’acquisition de certains savoirs. Plus les savoirs sont simples, plus ils sont difficiles à repérer, parce qu’ils sont tellement intégrés pour nous que nous les avons naturalisés, il faut observer les enfants agir pour les voir.

remettre en cause une conception de l’apprentissage qui irait du simple au complexe. Celle-ci s’avérant absolument inefficace.

remettre en cause l’idée que la simplification des tâches et/ou la répétition permet l’acquisition, cela participe, ça contribue, ça a une vraie fonction mais ce n’est pas suffisant.

Afin d’insister sur le rôle de la manipulation, Marie-Lise Peltier prend exemple sur l’acquisition du nombre.

Marie-Lise Peltier rappelle les fonctions du nombre : le nombre mémoire, le nombre pour comparer, le nombre pour calculer, prévoir. En matière de dénombrement il faut avoir une stratégie. Ce n’est pas une activité simple, d’ailleurs on dénombre jusqu’à la fin de l’université et ça ne se résume pas juste au comptage un a un. Le comptage n’est d’ailleurs qu’une méthode parmi d’autres pour compter : subitizing, comptage, partition et calcul, analyse combinatoire, estimation.

Réciproquement connaître la comptine n’est pas suffisant pour savoir dénombrer un à un. Pour certains enfants les mots-nombres connus restent à quantifier durant de longs mois. Ce qui est normal. Le comptage est toutefois une procédure de dénombrement possible et culturellement reconnue. L’enseignement du comptage-numérotage correspond au modèle spontané d’enseignement et est encouragé par l’institution mais son enseignement prématuré peut constituer un obstacle (didactique) à la construction du nombre (ignorance du dénombrement). Prudence : cela ne signifie pas qu’il faille « décrocher » les bandes numériques dans les classes maternelles et au CP ! Mais bien savoir à quoi ça sert, et quand on s’en sert.

Elle revient sur la nécessité de savoir utiliser la comptine dans le dénombrement d’une collection donnée, savoir coordonner le geste et la parole (Gelman), comprendre que le dernier nombre dit correspond au nombre d’éléments de la collection.

Pour montrer qu’il faut laisser du temps et utiliser le temps dans les apprentissages elle décrit ensuite l’évolution d’une situation basée sur l’énumération. L’énumération requiert des connaissances de nature spatiale, savoir « mettre de côté ce que tu as déjà compté ». Pour construire cette compétence le temps doit être pensé : il faut un temps entre intention, action et validation. Et c’est la répétition de la situation, son évolution qui vont obliger l’élève à construire une stratégie efficace. Marie-Lise Peltier met également en garde, la rigueur est de mise pour mener à bien ces dispositifs, parfois en effet il reste des effets induits non prévus: le milieu matériel peut résoudre le problème à l’insu de l’élève. Penser sa consigne, ne pas s’en écarter sont des précautions indispensables, illustrant son propos avec une situation classique (ERMEL) qui consiste à « aller chercher en un seul voyage juste ce qu’il faut pour… » elle explique que tout le « travail » de l’élève peut être anéanti avec une consigne mal énoncée et transformée « tu vas aller chercher le nombre de garages qu’il faut pour les voitures… » et il n’y a plus d’enjeu de recherche. S’appuyant toujours sur cette situation, elle invite à organiser le milieu pour faire construire les premiers nombres par des écrits de travail. En mettant encore du temps entre deux étapes de l’activité (compter le matin, mais ne devoir se souvenir que l’après-midi par exemple) elle fait intervenir la nécessité de recourir à une trace écrite. Les enfants proposent différentes stratégies (marquer le nombre, dessiner le nombre de garages…), ils doivent trouver un moyen de garder en mémoire pour eux, puis par la suite en faisant encore évoluer la situation, pour un camarade.

Le concept du nombre pour se souvenir (vers le code commun numérique) a trouvé une situation où il se justifie.

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