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C’est la dernière intervention de la journée. Dominique Bucheton réussit à emporter l’adhésion du public. Ses propos bousculent un peu les enseignants en général mais confortent les militants qui l’écoutent dans quelques « résistances ». Dominique Bucheton est une didacticienne du français, professeure à l’université de Montpellier, directrice du LIRDEF (laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation).

Elle se demande comment faire pour que l’engagement des enseignants produise des effets et celui des élèves aussi, parce que les deux sont investis dans l’affaire. Qu’est-ce qui fait de la co-activité en classe une dynamique positive ? Quelles postures des uns et des autres vont entrainer cette dynamique ?

Elle dit qu’il faut « penser le renouvellement de la professionnalité enseignante, parler des dilemmes de la profession. Enseigne-t-on la même chose en Education Prioritaire ou est-ce qu’on allège parce que les élèves ne peuvent pas apprendre ? Faut-il assurer la paix sociale ou est-ce qu’on continue d’éduquer malgré tout, par des chemins différents ? On externalise les problèmes ou on les règle dans la classe ? On accepte ou on réduit la diversité culturelle ? On fait le pari de l’éducabilité de tous ou pas ? ».

Elle propose trois postulats pour penser l’aide :

– la question du sujet : l’élève est une personne avec des affects, des émotions. Les dimensions cognitives, langagières, relationnelles, culturelles, identitaires sont corrélées aux apprentissages

– Penser séparément les questions didactiques et pédagogiques est contre-productif : il faut des ajustements spécifiques selon les disciplines

– maitres et élèves : l’influence de la posture de l’un sur les autres

Dominique Bucheton présente le modèle de l’activité enseignante qu’elle a mis au point avec ses équipes issues de domaines divers (sociologie, psychologie, didactique, etc.), qu’elle a appelé « le multi-agenda ». Elle commence par la définition du geste professionnel, inscrit dans l’histoire de la profession, adressé à quelqu’un et donc partagé entre élèves et maitre. Pour l’enseignant, il a la visée spécifique de faire apprendre et éduquer. Le geste utilise divers canaux (oral, écrit, corporel) et, pour finir, il est situé et ajusté au contexte.

Les gestes professionnels de l’enseignant, c’est « faire plein de choses à la fois ! » :

– les gestes de tissage sont la clé de l’apprentissage des élèves, ils permettent de mettre du sens aux apprentissages et de faire des liens entre eux

– les gestes d’étayage pour soutenir et encourager

– les gestes de pilotage pour gérer la conduite de la classe

– les gestes d’atmosphère qui créent un climat de confiance et de travail dans le groupe.

Le centre du modèle est bien sûr occupé par les savoirs à faire apprendre. « Les postures sont des combinaisons momentanées de gestes. Je prends souvent cet exemple : c’est l’idée du vélo avec différents braquets, on change de vitesse pour passer les obstacles, la côte, la descente… L’empan d’ouverture des postures est plus ou moins large, on doit disposer d’une ou plusieurs postures selon les contextes. » Evidemment, il y a des postures d’enseignement et des postures d’apprentissage dans lesquelles passent les enseignants et les élèves tour à tour à l’intérieur d’une séance, comme on change de vitesse au cours d’une promenade à vélo. « Les élèves favorisés circulent dans 3 ou 4 postures en une seule séance, tandis que les élèves en difficultés n’en ont qu’une ou deux. »

Les nombreuses études menées dans les classes montrent qu’à une posture de « contrôle » de l’enseignant, correspond une posture « scolaire » d’apprentissage. C’est le fameux « effet maitre », mais comment se manifeste-t-il ? « Les postures rétro-agissent les unes sur les autres. Il y a des jeux compliqués dont il faut être conscient. »

Dominique Bucheton passe ensuite un extrait vidéo qui montre un atelier dirigé. Elle appelle cela « une mini classe ». Le principe est de « différencier, individualiser dans et par le collectif ». L’enseignant se rend disponible pour 5 à 10 élèves pendant 30 mn. La classe est organisée autrement, les autres élèves font une autre activité en autonomie. L’aide est personnalisée mais collective, l’enseignant pilote l’avancée de la tâche et apporte une aide individuelle à chacun. Les élèves observent, organisent, se parlent. Dominique Bucheton précise qu’en filmant ces séances et en menant des entretiens avec l’enseignant, on s’aperçoit que l’enseignant se développe au niveau professionnel en même temps que les élèves. Dans l’extrait video, il découvre des obstacles didactiques au cours de l’activité. « Ce double développement est impressionnant, l’enseignant a une relation différente aux élèves, la posture d’accompagnement est dominante mais on arrive à des postures d’enseignement à la fin de l’atelier. C’est une piste pour l’aide, un étayage de proximité puissant. Le développement est social et l’aide a lieu au coeur de la classe. »

Ce sera le mot de la fin. Dominique Bucheton reçoit des applaudissements nourris. Jacques Bernardin clôt la journée en reconstruisant des liens entre tous les moments, par un geste de tissage expert ! Il annonce le congrès-université d’été du GFEN qui se tiendra à Paris du 10 au 12 juillet. Le rendez-vous est pris !

Isabelle Lardon

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