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Didacticien des mathématiques, expert des programmes 2002, membre de l’IREM (Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques), Roland Charnay est maintenant responsable d’un centre de télé formation en mathématiques. Son intervention porte sur les difficultés de compréhension des mathématiques par les élèves pour mieux prendre en compte ces difficultés dans la classe.

Il entre tout de suite dans le vif du sujet avec la résolution d’un problème donné aux élèves : Julie a acheté deux livres à 8€ chacun et quatre BD à 6€ chacune et un dictionnaire. Elle a payé 56€. Quel est le prix du dico ? Voir comment les élèves s’y prennent permet d’analyser les erreurs et les classe : relèvent-elles plutôt de difficultés en lecture de l’énoncé, en utilisation du calcul, en manipulation de l’opération, en raisonnement logique ou bien proviennent-elles de malentendus de compréhension, de « pièges » dans l’énoncé, ou de la méconnaissance de l’enjeu de savoir ?…

Roland Charnay décortique les résultats de la résolution de ce problème. « L’élève qui multiplie 8X6 = 54, puis trouve l’écart entre 54 et 56, détermine le prix du dictionnaire à 2€. La structure de la situation aurait été comprise. Il aurait cherché le prix du lot des livres et des BD, puis faire la différence avec le prix total. Le raisonnement est juste. Les calculs sont faux et il y a une mauvaise utilisation des nombres. ». Charnay continue de descendre au coeur de l’activité pour analyser la situation. Si on cherche l’origine des difficultés de cet élève, on s’aperçoit que :

– Le calcul mental n’est pas opérant, c’est la première source d’erreur.

– Les données numériques pour résoudre les problèmes sont couramment écrits en chiffres.

L’élève ne s’arrête donc pas aux chiffres 2 et 4, écrits… en lettres. Le problème tel qu’il est écrit, piège l’élève. Le contrat didactique relatif à la résolution de problèmes oriente le prélèvement d’indices. La multiplication est retenue et pas l’addition. Là, l’élève est guidé par un indice de vocabulaire, le mot « chacun » induisant une multiplication. Faut-il répondre à la question ou répondre à la personne qui pose la question en extrapolant sur ce qu’on pense qu’elle attend ?

Charnay continue à illustrer ses propos avec d’autres problèmes pour montrer d’autres erreurs. Les pratiques courantes en résolution de problèmes induisent des réponses de type déductif (si on fait des calculs avec les chiffres de l’énoncé, on trouve la réponse !). Les élèves ne sont pas habitués à faire des hypothèse, des essais et à fabriquer la réponse comme peut le faire un chercheur, dans une démarche d’investigation.

Puis il ouvre des pistes possibles : utiliser des problèmes ouverts, simples dans les calculs ou dans la compréhension de l’énoncé mais qui proposent des défis et ne se résolvent pas en utilisant la « bonne « opération. Mais attention, les raisonnements ne sont possibles que si les procédures de calcul mental sont maitrisées. Ces habiletés ne sont pas prédictives mais sont corrélatives à la réussite des élèves en maths, et même dans d’autres disciplines (Référence à une étude de Bruno Suchaut).

Pour résoudre un problème sur la proportionnalité (10 objets coûtent 22€, combien coûtent 15 objets ? par exemple), certains obstacles sont cognitifs. Les élèves n’envisagent pas d’autres relations entre les nombres que des relations additives et cela fait obstruction pour réussir le problème. Expliquer ne suffit pas dans cette situation. Pour dépasser l’obstacle, on va proposer une situation qui provoque un conflit entre « pensée » et « réalité ». On va réaliser concrètement des réglettes et faire tout un travail didactique pour éviter de faire une réglette et de la reporter 15 fois. On apprend à construire un raisonnement à partir de ce que peut apporter la réalité.

Plutôt qu’apprendre des règles, on va assurer la compréhension… Parfois les élèves sont dans la confusion d’objets de savoir : quand on « fait des maths », on travaille l’abstraction et on ne se situe pas dans la vie courante. Dans un problème de nombre de voyageurs dans un autobus, un élève propose 60, apparemment sans raison. C’est le nombre de places dans le bus qu’il prend tous les matins pour venir à l’école…

Autre piste pour mieux prendre en compte la difficulté : différencier, non pas par la tâche, qui est la même pour tous, mais par les procédures. Et le moment le plus opérant est quand on confronte les travaux des élèves. Une mise en commun est faite au tableau avec plusieurs traces, la question n’est pas de trouver le résultat mais de savoir par quel chemin on y est arrivé. Les procédures sont plus ou moins coûteuses, mais elles sont toutes valables.

La question de la manipulation pour comprendre : on n’apprend pas en manipulant, on apprend « avec sa tête », c’est une évidence mais il faut proposer aux élèves des dispositifs concrets pour les faire réfléchir. Il faut du réel pour que les jeunes s’approprient une situation. Exemple pour le bus, utiliser des boites avec des alvéoles. « En classe, il faut avoir des boites, mais le plus important est le couvercle ! Pour raisonner et anticiper la réponse dans sa tête. Puis on revient au réel pour vérifier. C’est tout ce travail d’anticipation qui est crucial pour comprendre. La question principale est bien celle de la conceptualisation », explique Roland Charnay à une assistance tout acquise à ses propos.

Il conclut avec une citation de Brousseau sur le statut de l’erreur, qui n’est pas l’effet de l’ignorance, de l’incertitude ou du hasard, mais constitutive de la connaissance acquise…

Isabelle Lardon

Sur le site du Café