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Chercheur au LabSic de Paris 13, Alain Chaptal suit l’aventure du numérique éducatif en France et dans le monde anglo saxon depuis des années. Pour lui le rapport sur la structuration de la filière numérique est « affligeant » et totalement dépassé. C’est « retour vers le futur »…

Quel avis général portez vous sur ce rapport ?

C’est un texte animé de bonnes intentions. Mais affligeant. Je le sous-titrerais « Retour vers le futur ». C’est un mauvais modèle d’exercice technocratique. Le rapport n’aborde pas les questions essentielles. Le numérique pour quoi faire ? Comment convaincre de sa valeur ajoutée ? Que va-t-on faire pour mobiliser les hommes ? Tout cela est évacué. Que fait on pour les innovateurs ? Ce texte n’est pas mobilisateur. Je me demande ce qu’un enseignant, confronté aux difficultés réelles de l’enseignement, en pensera.

Ce qui me frappe c’est la résurgence de choses annoncées à de nombreuses reprises sans que des décisions n’aient abouti. On retrouve par exemple l’idée de la refonte du C2i2e, le grand portail indexé. Mais comment indexer des ressources en multiplication croissante quand on n’a pas automatisé les méta données ? C’est vider la mer avec une petite cuillère ! Or c’était déjà annoncé en 2004. Quand on parle d’un moteur de recherche éducation, ça fait trembler Google ? Dans le passé, l’A2i devait déjà créer ce moteur français… Les partenariats territoriaux on en parle aussi depuis des années.

Si je me mets sur le terrain pédagogique, le rapport recommande de mettre les moyens pour les dispositifs de visualisation. Mais ca va heurter le déficit du commerce extérieur puisque ce matériel est produit par des sociétés américaines ou anglaises. Il n’y aura donc pas de ressources pour le faire. On découvre des vertus pédagogique aux tablettes. Mais ce sont des outils de consultation pas de création.

Deux exemples me heurtent directement. Le rapport revient sur l’interopérabilité des ENT. Mais c’est ce que fait en principe le SDET depuis 2004… Si je voulais résumer ma frustration je prendrais l’exemple des préconisations 19-20. Il faut développer la recherche. Bien ! Mais aucun chercheur ne fait partie des personnes consultées !

Ce rapport est un catalogue de bonnes intentions sans aucun souci de donner un début de traduction opérationnelle et aucun moyen.

L’idée de créer un comité de financeurs dont l’organe opérationnel serait le ministére vous semble réaliste ?

C’est un vieux schéma. En 2004 j’avais écrit dans la Revue de l’ingénierie éducative un article intitulé « Le mammouth et la vache à lait » qui a été censuré dans sa version en ligne. Le ministère voit dans les collectivités locales les moyens financiers pour développer la filière. Ca ne marchera jamais.

Cela pointe la formidable absence des moyens. Quant le rapport montre, dans les annexes, les actions de différents pays il oublie l’importance de l’Angleterre. Pour développer la filière il y a eu un vrai projet politique mené par Thatcher en soutenant le BESA, le syndicat des fournisseurs. Puis Tony Blair a continué. Aux Etats-Unis, autre pays phare, ça se développe car les collectivités locales investissent des sommes considérables et le gouvernement fédéral aussi avec le Race to the Top et le fonds d’innovation I3.

Le rapport envisage aussi de trouver des moyens chez les éditeurs. C’est réaliste ?

C’est de bonne guerre d’accuser les éditeurs. Ils essaient de continuer à encaisser de vrais euros sur le papier alors que sur le plan numérique ils sont très prudents.

L’essentiel c’est que pour structurer une filière il faut que ça serve à quelque chose. On ne s’attaque pas dans ce rapport aux vrais problèmes. Pourtant encourager les innovateurs ne couterait pas grand chose à l’Etat.

Propos recueillis par François Jarraud