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Pour le Café, double débat le 14 novembre sur les rythmes scolaires. Nous suivions à la fois la manifestation des « anti » à Paris et le colloque des maires tranquillement installés dans le « pro ». Des deux cotés même constatation : une sorte de cécité empêche de distinguer les vrais points difficiles du projet et le débat s’est politisé à outrance. La question des rythmes scolaires est devenue une foire d’empoigne pas toujours élégante dans laquelle sombrent les espoirs pour une refondation de l’Ecole. Et si on parlait des vrais problèmes ?

Jeudi 14 la dernière trouvaille des partisans de la réforme c’était de rendre les médias responsables de la crise politique dans laquelle se retrouve le ministre. Même s’il y a eu des dérapages, c’est rendre le miroir responsable de son image. En l’occurrence, les partisans de la réforme ne se battent pas pour accéder au médias et laissent la place aux « antis » depuis plusieurs semaines. Il faut beaucoup solliciter les réformistes pour qu’ils s’assument…

Si les médias ne sont pas parfaits, que dire des politiques ? La réforme des rythmes a été préparée depuis 2008 par un large éventail d’organisations. Lors du colloque organisé par la Gazette des commune, les élus ont avoué n’avoir pas anticipé les problèmes. C’est ce que nous avions constaté. Quand en 2012 on expliquait aux maires que recevoir 80% des écoliers l’après midi ce n’est pas la même chose que 20% le mercredi matin, tous se défilaient et niaient le problème. Quand on leur demandait où ils allaient mettre les enfants, même absence de réponse, au mieux… Quand on leur faisait remarquer il y a un an que sortir du chapeau 250 millions pour les communes pour les rythmes et en même temps maintenir bloqué le salaire des professeurs des écoles c’était source de problèmes, on n’était pas plus entendu….

Mais il y a pire. La mise en place des nouveaux rythmes cache une mutation profonde du système éducatif : l’entrée des collectivités locales dans le domaine pédagogique. Or on est dans un des rares pays où le système éducatif est national, où la décentralisation est faussée, entravée et partielle. Les collectivités territoriales sont de fait des acteurs incontournables et nécessaires du système éducatif et depuis longtemps. Mais elles ne sont pas perçues comme légitimes sur ce terrain. Elles-mêmes abordent la question avec d’infinies précautions à l’exception des communes qui se retrouvent maintenant au pied du mur avec les PEDT. Le rôle des politiques c’était de faire cette préparation politique ou alors de ne pas faire la réforme. Or rien n’a été préparé en ce sens pour expliquer aux acteurs du système éducatif cette mutation que les autres pays ont fait. On va retrouver le même problème sur des dossiers portés par les régions, comme l’orientation… Mais abordons les problèmes concrets. Au final c’est eux que l’on peut faire avancer rapidement.

D’abord le financement. L’Etat a bien réagi sur le financement et il a su dégager les moyens nécessaires. Au point que le coût de la réforme est supportable par les communes à condition que l’aide devienne pérenne. Le ministre a raison de faire remarquer que les communes pauvres s’emparent très bien de la réforme qui leur permet d’offrir à tous les écoliers des activités auxquelles n’accédaient que les plus favorisés. C’est aussi ce qu’ont montré les maires du colloque de la Gazette des communes. L’argument de l’inégalité territoriale joue plutôt dans le sens inverse de ce qu’affirment les opposants à la réforme. La réforme ne joue pas contre les enfants défavorisés si les maires jouent le jeu.

Le temps scolaire doit-il être revu ? Les « anti » ne cachent pas que la semaine de 4 jours est une erreur. C’est vrai que la France a la semaine de cours la plus chargée avec des journées de classe trop longues pour les enfants et que rééquilibrer sur 5 jours les apprentissages scolaires est un progrès pour les enfants. C’est différent pour les congés annuels et ceux d’été où la France est dans la moyenne européenne. Enfin il y a une variable que personne ne veut aborder parce qu’elle est politiquement dangereuse, tout particulièrement en ce moment, c’est le nombre d’heures de classe. La France affiche 964 heures de classe au primaire ce qui est dans le haut des états européens : seuls l’Italie, l’Espagne et le Portugal sont au même niveau. L’Angleterre est à 798h. L’Allemagne à 564 et la Finlande à 569. Dans un autre contexte ça pourrait donner une marge de manoeuvre.

Quand on écoute les pro et les anti, on est frappé du manque de dialogue sur le terrain. Un tiers des maires qui appliquent la réforme déclare n’avoir fait aucune concertation avec les enseignants. C’est renversant ! Les autres découvrent tout juste que la concertation doit être faite avec les professeurs et pas seulement avec les directeurs et les IEN. L’éducation nationale et les communes veulent des PEDT qui fonctionnent mais font comme si la concertation indispensable allait tomber du ciel. Si on veut que les animateurs et les professeurs s’organisent et travaillent ensemble il faut déjà que du temps de travail soit dégagé pour cela. A défaut, il ne faut pas s’étonner que ça ne marche pas.

Les élus découvrent aussi la question des locaux. La salle de classe appartient bien évidemment à la commune. Mais ce n’est pas un espace neutre. En elle-même elle est un outil de travail. Les enseignants préparent leur tableau , disposent les tables selon leur style. Ils observent aussi les usages qu’en font les enfants. Ils ont besoin d’être certains d’avoir leur matériel sous la main en bon état. La salle de classe est aussi le seul endroit où l’enseignant peut préparer et corriger tranquille puisque dans les écoles françaises les maitres n’ont pas de bureau. Les communes où la réforme se passe bien, Torcy par exemple, sont des communes où il y a de la place. Là où il n’y en a pas, parce qu’on n’a pas investi suffisamment , il va falloir trouver des solutions…

Dans une école où je me suis rendu récemment, les professeures m’ont avoué qu’elles ne regardaient même plus leur bulletin de paye. Parce que depuis des années le net est en diminution. Le ministère a enfin saisi qu’il y a surcroit de travail pour les professeurs des écoles. Des gestes ont été faits vers les instits avec une prime nouvelle et un accès plus fort à la hors classe. Mais ces progrès ne sont pas encore descendus concrètement et ne sont pas au niveau de la perte de rémunération.

Et si on parlait des autres réformes ? Beaucoup d’enseignants du primaire étaient enthousiastes sur la refondation Ils attendaient des changements urgents sur les programmes, la façon de travailler, les rapports avec la hiérarchie. Qu’a t’on fait de cette énergie ? Pour le moment ils n’ont vu venir que les rythmes et de la façon qu’on connait. L’erreur de timing est faite. Raison de plus d’ouvrir des perspectives rapidement sur le reste, particulièrement sur le métier enseignant.

Dans quelques jours les mauvais résultats de Pisa seront connus. Ce sont eux qui rendent la réforme des rythmes indispensable. Or le débat sur les rythmes montre à quel point la société française est incapable d’apporter des réponses raisonnables aux questions scolaires. Est-il vain de croire dans le sursaut salvateur ?

François Jarraud