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Un dictionnaire de philosophie parmi tant d’autres ? Pas exactement. D’abord parce qu’il est lui-même philosophique : il engage le lecteur à la réflexion autant qu’il l’instruit. Mais aussi parce que ce n’est ni un lexique des mots de la philosophie, ni un glossaire de leur usage au fil du temps et des œuvres. Pas non plus un compendium : l’auteur y revendique sa propre philosophie – mais chaque définition peut servir aussi à « ceux qui ne partagent pas [son] orientation philosophique ». Un très beau livre, revu et complété à l’occasion de sa 4ème édition, et qui invite le lecteur à cheminer avec aisance parmi les idées.

Un double modèle : Voltaire et Alain

Première épreuve pour un ouvrage de ce genre, le choix de ce qu’on y retient. L’émondage est une règle nécessaire dans la profusion infinie des objets et de leurs contextes. Les références, les occurrences, les termes retenus ne peuvent être qu’en nombre limité. Mais comment en régler le choix ? La longueur des articles, explique l’auteur, n’est pas fonction de l’importance de la notion traitée mais de la difficulté qu’il y a à la définir. Ainsi, l’article « précaution » est-il plus long que l’article « prudence » – alors qu’on sait l’importance de cette dernière dans la tradition aristotélicienne. Quant au choix des entrées, l’auteur dit s’être inspiré de « de deux admirations pour deux chefs-d’œuvre » : le Dictionnaire philosophique de Voltaire et les Définitions d’Alain. Environ 118 entrées empruntées au premier, 264 au second, précise l’avant-propos, « par jeu plutôt que par défi ». Solution élégante pour un arbitrage indécidable, qui soumet le philosophe à une contrainte supplémentaire mais dessine les grandes lignes de son entreprise.

Faut-il triompher de la concupiscence ?

Au fil des pages, on croise la chasteté, vertu « qui triomphe de la concupiscence » ; mais faut-il en triompher, s’interroge l’auteur, et comment ? « Voyez comme nous sommes chastes après l’amour », remarque-t-il. On bien l’équipe, ce « contraire d’une foule, et moyen parfois de la contrôler ou de lui plaire ». La félicité, comme « joie permanente qui persévérerait dans son intensité », dont « l’impossibilité nous distingue des dieux ; [le] rêve, des animaux. (…) Double mensonge ». On pourra discuter plus vivement l’article féminité, dans lequel l’auteur évoque le souvenir de motardes grossières pour rappeler combien les stéréotypes de genre sont bénéfiques et utiles dans l’ordre des convenances sociales…

A parcourir sans ordre

Brièveté autant qu’il se peut, simplicité du langage ordinaire chaque fois qu’il suffit, références aux écoles et systèmes comme à des moments de pensée plutôt que des étapes historiques, André Comte-Sponville, fidèle à la manière qui lui est habituelle, propose au lecteur une promenade éclairée dans les chemins de la réflexion. Un livre dont on ne se lasse pas de parcourir les entrées, sans souci d’ordre, au fil des associations d’idées ou des éclaircissements cherchés, et qui se révèle un très bel ouvrage de compagnie.

Jeanne-Claire Fumet

Dictionnaire Philosophique – André Comte-Sponville. PUF Quadrige, 08/2013.

ISBN : 978-2-13-060901-8 – 1120 pages – 29.00 €