C’est une des promesses de la « stratĂ©gie numĂ©rique » de Vincent Peillon. M@gistère, le nouveau service de formation continue Ă distance des enseignants, devait proposer aux professeurs des Ă©coles français une vingtaine de formations fin 2013 avant peut-ĂŞtre d’ĂŞtre Ă©tendu au secondaire. Cette offre devait apporter aux enseignants davantage de libertĂ© dans leur formation et rĂ©pondre Ă un besoin de formation continue très vif sur le terrain et nĂ©cessaire pour la refondation de l’Ecole. DĂ©but 2014, bien des questions demeurent sur M@gistère malgrĂ© les rĂ©unions d’information ministĂ©rielles. Son dĂ©ploiement semble en retard. Il rencontre trois obstacles de taille : le temps, le budget et la culture propre Ă l’Ă©ducation nationale. Celui-ci est-il rĂ©dhibitoire ?
Comment refonder sans former ?
Depuis des annĂ©es les budgets de formation continue dans l’Ă©ducation nationale ont Ă©tĂ© sacrifiĂ©s au fonctionnement du système Ă©ducatif. L’offre s’est Ă©normĂ©ment tarie dans le secondaire. Dans le premier degrĂ©, la formation continue fait partie d’un volet d’heures annualisĂ©es. Les formations sont donc obligatoires. Mais on entendait de vives critiques sur leur qualitĂ©, leur adĂ©quation aux besoins et les choix imposĂ©s par la hiĂ©rarchie. Dans de nombreuses circonscriptions, selon le Snpi Fsu, n’Ă©taient plus assurĂ©es, au premier trimestre de l’annĂ©e scolaire 2013-2014, que les formations de proximitĂ©. Les stages ont disparu ou se limitent aux formations institutionnelles (pour les futurs directeurs par exemple).
Dans ce contexte, la proposition Peillon de crĂ©er un service numĂ©rique proposant une formation Ă distance ressemblait fort Ă une planche de salut vite instituĂ©e. En 2013, les syndicats ont nĂ©gociĂ© avec le ministère la refonte des obligations de service des enseignants. Selon le site du ministère, « au moins 9 » des 18 heures consacrĂ©es Ă l’animation pĂ©dagogique et Ă des actions de formation continue devraient ĂŞtre dĂ©diĂ©es Ă des formations sur support numĂ©rique, c’est Ă dire Ă M@gistère. Mais la circulaire d’application, publiĂ©e fin aoĂ»t 2013, est moins prĂ©cise : elle ne donne pas d’indication de volume horaire pour la formation Ă distance. MalgrĂ© tout, voilĂ la formation continue relancĂ©e en compatibilitĂ© avec le budget existant. Vincent Peillon pouvait promettre que la totalitĂ© des enseignants du primaire bĂ©nĂ©ficieraient des formations nĂ©cessaires Ă la refondation, soit un effort sans prĂ©cĂ©dent.
Une offre en retard
« Aujourd’hui on forme les formateurs« , reconnait-on, fin dĂ©cembre 2013, au ministère. « Mais l’objectif c’est bien de faire profiter de M@gistère tous les professeurs des Ă©coles cette annĂ©e. Notre mot d’ordre c’est au moins trois heures de formation par M@gistère pour chacun des 340 000 enseignants ». Les syndicats ne confirment pas une montĂ©e en puissance aussi rapide. Selon S Sihr, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Snuipp, la plupart des plans de formation sont dĂ©jĂ bouclĂ©s indĂ©pendamment de M@gistère. D’autres rĂ©servent un module mais sans que le contenu soit prĂ©cisĂ©. Peu de dĂ©partements ont vraiment intĂ©grĂ© le dispositif comme l’Oise.
Au demeurant l’offre de formations n’est pas encore au rendez-vous. Onze modules avaient Ă©tĂ© promis pour octobre 2013 et 20 pour janvier 2014. DĂ©but janvier seulement 4 seraient prĂŞtes selon les syndicats, 15 selon le ministère. Impossible de vĂ©rifier ! Le ministère encadre ses dĂ©monstrations de telle sorte qu’il n’est pas possible de voir la rĂ©alitĂ© de l’offre et la qualitĂ© des contenus. M@gistère propose des parcours tutorĂ©s et interactifs. Les thèmes abordĂ©s sont soit des points de programme assez pointus ((les droits de l’enfant, enseigner l’Ă©nergie au cycle3), soit des pratiques professionnelles comme le « plus de maĂ®tres que de classes », enseigner l’orthographe ou « le calcul mental ». Chaque formation est un parcours qui dure de 3 Ă 6 heures. Ainsi le module sur le calcul mental comprend 3 heures de mise en commun rĂ©elle ou virtuelle , un temps d’autoformation, une analyse de sĂ©quence en classe virtuelle, une analyse du programme officiel et la fabrication d’une sĂ©quence. « Les activitĂ©s sont variĂ©es et le formateur peut retenir une partie ou la totalitĂ© du parcours », prĂ©cise-t-on au ministère. La plateforme dispose d’un espace de classe virtuelle que les formateurs sont invitĂ©s Ă utiliser. Mais nous n’avons pas pu vĂ©rifier la façon dont il est utilisĂ©.
Quelle place pour la hiérarchie dans une formation à distance ?
Qui a rĂ©alisĂ© ces formations ? M@gistère puise dans les rĂ©alisations de Pairform@nce, un dispositif plus ancien de formation continue mutualisĂ©e. Les parcours de M@gistère sont rĂ©alisĂ©s par des groupes de travail rĂ©unissant IEN et conseillers pĂ©dagogiques. C’est d’ailleurs ce qui explique la grande variĂ©tĂ© du catalogue. Chacun place dans M@gistère des contenus dĂ©veloppĂ©s pour d’autres occasions. Les contenus sont validĂ©s par l’Inspection gĂ©nĂ©rale. « Certains ne sont pas encore au standard de qualitĂ© que nous voulons », dit-on au ministère. Mais on vante la diversitĂ© des activitĂ©s.
La formation Ă distance va-t-elle libĂ©rer les enseignants et mieux ajuster l’offre Ă la demande ? « Les enseignants vont disposer d’une grande libertĂ© d’organisation pour suivre ces formations en se connectant du lieu de leur choix », dit on au ministère.  » La durĂ©e de formation dĂ©comptĂ©e au titre de l’inscription dans un parcours de formation est fixĂ©e forfaitairement. Elle correspond Ă la durĂ©e annoncĂ©e du parcours (3, 6 ou 9 heures) », explique la circulaire, ce qui semble Ă©carter toute volontĂ© de contrĂ´le tatillon sur ces formations. Ainsi M@gistère devrait faciliter l’adhĂ©sion des enseignants Ă la formation.  » Vouloir l’implication des enseignants dans la formation continue, nĂ©cessite de les associer Ă l’organisation des plans de formation et de leurs contenus, de considĂ©rer leurs demandes comme une donnĂ©e incontournable, mĂŞme si elle doit ĂŞtre confrontĂ©e Ă l’analyse des besoins », nous a dit Paul Devin, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du SNPI Fsu, un syndicat d’inspecteur.
En fait le risque de suivi des enseignants existe bien. Personne ne semble capable de dire qui a accès au fichier des connexions mĂŞme si, au ministère, on promet de ne pas compter le temps connectĂ© et de respecter la circulaire. Mais de fait l’organisation mĂŞme des formations, avec des rendez vous fixĂ©s Ă l’avance Ă travers un carnet de bord entre formateurs et enseignants, sous entend un encadrement et un suivi de près au niveau local. Pourtant, « ce qui sera important c’est de savoir si l’enseignant y a trouvĂ© son compte et non de savoir combien de temps il y a passé », nous dit P Roumagnac, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Sien Unsa.
Quelle libertĂ© de choix ? « M@gistère n’est pas un outil d’autoformation. C’est un outil pour les formateurs », dit-on au ministère. « Il appartient aux inspecteurs de l’Ă©ducation nationale de dĂ©terminer les prioritĂ©s de formation pour leur circonscription, sur la base des besoins qu’ils identifient ou de ceux exprimĂ©s par les personnels et des prioritĂ©s acadĂ©miques ». En clair les enseignants d’une circonscription ne peuvent pas s’inscrire Ă la formation de leur choix. Ils doivent suivre les formations (ou la formation) retenues par leur inspecteur (IEN). « On est dans un cadre institutionnel », nous dit on au ministère. « Le professeur des Ă©coles peut exprimer ses besoins mais l’IEN dit ce qu’il souhaite ». Certains ont Ă©tĂ© très souples. D’autres imposent leur choix. Ce qu’il reste comme libertĂ© aux enseignants c’est au final seulement le lieu de connexion Ă la plateforme.
Tensions syndicales
« Si le ministère installe le flicage des collègues, ça voudrait dire qu’il est totalement Ă cotĂ© de la plaque« , nous a dit Christian Chevalier, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Se Unsa. « M@gistère doit s’appuyer sur le principe de confiance », confirme S Sihr. « Les enseignants sont avides de formation continue. Si le contenu est bon, il se jettent dessus ».  » Si nous voulons que l’Ă©cole fasse progresser la rĂ©ussite de ses Ă©lèves, il ne suffit pas de produire un chiffre artificiellement gonflĂ© d’heures de formation et de faire progresser quelques indicateurs », nous dit P Devin du SNPI Fsu. « Il faut que l’accompagnement professionnel des enseignants leur permette de rĂ©soudre les multiples problèmes que pose l’enjeu d’un Ă©cole capable de produire la rĂ©ussite de tous. Les moyens et la formation des personnels restent des vecteurs nĂ©cessaires pour rĂ©ussir Ă relever ce dĂ©fi ».
M@gistère soulève aussi chez les syndicats des rĂ©ticences sur son principe mĂŞme. Pour le ministère, ce dispositif ne vise pas Ă Ă©carter les formateurs mais Ă les aider. C’est pour cela que les parcours proposent des mises en commun qui peuvent ĂŞtre Ă distance ou en prĂ©sentiel. « M@gistère ne peut pas se substituer aux formations classiques », nous dit le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Snuipp. »Ce ne peut ĂŞtre qu’un complĂ©ment ». Entre les attentes de la base, la vision hiĂ©rarchique du savoir tombant du sommet et les exigences syndicales, M@gistère reste encore dĂ©but 2014 largement Ă construire.
François Jarraud