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Démarche de formation, proposée ici pour illustrer les valeurs du GFEN dans l’apprentissage de l’écriture. L’animateur invite d’abord à ce que chacun réfléchisse à la question de « Pourquoi apprendre à écrire à l’école maternelle ? » Lors de la mise en commun, on s’interroge, « Qu’est-ce qu’écrire ? Est-ce le geste d’écriture ou produire de l’écrit ? Ou les deux. » et « Est-ce qu’on produit en maternelle ? » Les réponses fusent et petit à petit les réponses sont classées en trois catégories : ce qui relève des aspects de la fonctionnalité de l’écrit (geste d’écriture / motricité fine, mémoriser, laisser une trace, transmettre un message.) ; ce qui relève de l’aspect linguistique et ce qui relève de la dimension cognitive : la dimension anthropologique, organiser sa pensée, conceptualiser.

Un atelier du GFEN sans mise en situation n’est pas un atelier, alors un deuxième animateur propose de se mettre dans la situation d’un apprenant, tels nos élèves de maternelle qui doivent apprendre à prendre des repères sur des supports écrits (leur étiquette prénom), nous voici ici néo-apprenants en langue arabe. Mais la rédactrice se permet ici de préciser qu’un atelier ça doit se vivre et que vous ne pourrez trouver ici qu’un ersatz de cette expérience collective.

L’animateur-enseignant projette la calligraphie de 5 mots en arabes qu’il nous faut mémoriser, puis essayer de retrouver parmi un échantillon plus vaste (12 propositions). L’objectif pourrait s’intituler : « Trouver plusieurs mots connus parmi d’autres. » Outre le fait que la mise en situation génère un léger sentiment de panique dans l’assemblée, alors que celle-ci n’est pas en résistance et volontaire pour s’engager dans la tâche, celle-ci paraît de prime abord ardue. Chacun est invité à réfléchir d’abord individuellement avant de confronter son avis à celui des autres au sein d’un petit groupe. Ceci pour illustrer le principe d’auto-socio-construction des savoirs cher au GFEN. Finalement tout le monde est entré dans une stratégie pour s’acquitter de la tâche et des échanges récapitulent les différents appuis qui ont facilité la résolution du problème. Certains se sont appuyés sur des similitudes avec des formes graphiques qu’ils maîtrisent et qu’ils pouvaient facilement « photographier », tous ont cherché sur quels repères s’appuyer (petits points, longueur de l’énoncé, forme des lettres : attaque en particulier, liaison entre les lettres. …)

Pour poursuivre l’animateur propose une nouvelle étape : de nouveau une liste de mots en arabe et dans un ordre aléatoire une autre liste des transcriptions phonétiques des différents énoncés. Il s’agit de faire correspondre chaque mot à sa transcription phonétique, on apprend qu’il s’agit de noms de différentes villes. Les participants s’appuient sur ce qui peut être recoupé : ils recherchent les récurrences, des similitudes entre les mots, la longueur de l’énoncé. Des débats émergent pour nommer ce qu’on observe : parle-t-on de lettres, de voyelles, de consonnes ? Quid d’un énoncé avec une majuscule alors que les autres n’en ont pas…

Remobilisation de l’auditoire par une nouvelle consigne proposée par l’animateur : à présent que nous avons lu… je vous propose d’écrire…Il s’agit de reproduire la graphie d’un modèle projeté. Le tracé des participants est malhabile et ne peut s’effectuer que dans l’aller-retour continuel jusqu’au bout de la tâche entre observation d’un détail du modèle, tentative du reproduction. Toutefois personne n’est sûr d’avoir validé la réponse à la consigne et on s’inquiète de pouvoir être lu. L’animateur interroge l’auditoire sur ce qui a posé difficulté : l’orientation, certains ont essayé de faire comme il faut, en partant de la droite puisque c’est de l’arabe, contrairement à leurs habitudes. D’autres n’ont pas pensé à mobiliser cette connaissance qu’ils ont pourtant. Les démarches personnelles sont explicitées. Emerge la question du ductus propre à chaque lettre et qui est totalement inconnu. De même que la question du sens puisque les protagonistes ne savent toujours pas ce qu’ils écrivent. On les éclaire sur ce point… il s’agit tout simplement de Paris.

Les animateurs se réfèrent maintenant aux travaux de Marie-Thérèse Zerbato-Poudou et sa démarche de dictée à l’adulte pour clarifier les gestes et trajectoires lors de la reproduction d’un énoncé (lettre ou mot). L’animateur est la main, le public est le cerveau qui doit le guider.

Outre la situation hilarante qui vaut par elle-même, on touche ici vraiment du doigt l’importance de la précision des indications, celle du vocabulaire à mobiliser.

Pour finir c’est de nouveau à chacun d’essayer de graphier personnellement, le constat majoritaire est que c’est plus facile (les opérations mentales sont remobilisées en contexte).

On définit enfin les critères d’évaluation pour l’enseignant, ou de réussite pour l’enfant pour s’accomplir de cette tâche : l’orientation et trajectoire du mot, l’aligement et l’horizontalité, la complétude, l’ordre.

A présent que chacun-e a pu ressentir et expérimenter ce qui se joue pour nos élèves, on s’interroge collectivement sur quel a été le rôle du langage dans les moments d’apprentissage de l’écriture ? Le langage a aidé à préciser une intention dans la direction du geste, il aide à concevoir celle-ci à partir du moment où on l’énonce. Il fait entrer dans la codification. On ne regarde pas juste le signe on le décrypte. Il fixe des étapes. Le rôle du langage a également résidé dans la mise en mots des difficultés qu’on a éprouvées, ce vécu commun a été fédérateur, on a réfléchi avec les autres mais également contre les autres, c’est l’illustration du conflit socio-cognitif., c’est par l’échange qu’on a construit. Les temps de validation dans les échanges en petit groupe ont permis de se mettre d’accord pour nommer nos intuitions, d’argumenter, de se construire un code commun. L’un des rôles-clés était aussi le feed-back de l’animateur qui serait en classe celui de l’enseignant : se rendre inutile mais indispensable par la pose des contraintes.

Pour conclure les animateurs se réfèrent aux travaux d’Henri Wallon (dépasser le faire et la centration sur l’action pour « dire le faire » et « penser le faire »), à ceux de Bernard Lahire in Culture écrite et inégalités scolaires: « les élèves qui imitent n’ont pas à mettre en œuvre un rapport réflexif au langage » et enfin à Vygotski pour ce qui est du processus de la transformation. Des exemples de pratiques facilement transposables en classe sont également évoqués.

Nul doute que l’essai est bel et bien transformé pour les participants de l’atelier qui repartiront eux-mêmes changés dans leur propre perception de l’activité d’écriture. Ils appréhenderont mieux ce qui pour eux était peut être jusqu’ici une évidence ayant fait l’expérience qu’elle est en réalité le produit d’un cheminement, d’une construction à plusieurs, un processus dans lequel le langage a une part prépondérante.

Lucie Gillet

Sur le site du Café