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Apprendre par l’action, c’est bien le propre de la maternelle et des sciences ! Dès lors se pose la question de comment faire des sciences en maternelle et non simplement des activités de découverte quel que soit leur intérêt par ailleurs ? Comment passer du faire au concept ? Quel cadre théorique ? Quelles sont les priorités ? Voilà le défi que propose Catherine Ledrapier, professeur à l’IUFM de Franche-Comté aux nombreux enseignants, IEN et doctorants qui participent à cet atelier.

La mise en activité des participants démarre par un brainstorming individuel puis en petit groupe pour définir ce qui caractérise les sciences en général et comment en faire dans nos classes de maternelle, en prêtant donc grande attention aux spécificités de l’âge. Les réponses fusent : « Apprendre à raisonner » « connaître les phénomènes naturels » « rendre curieux » « manipuler » « expérimenter » « créer des situations problème à portée des élèves » « questionner » « démarche » « rigueur » « lecture, écriture, textes documentaires » sont autant de réponses apportées par les participants. Pour les enseignants, l’enfant apprend à l’école que la science est la démarche par laquelle on peut répondre aux questions que l’on se pose sur le monde. Elle requiert des critères de validité acceptés par une communauté de chercheurs : c’est « vrai » non pas que j’ai peur ou parce que tu me séduis mais parce que tes arguments sont convaincants. L’enfant utilise l’argument scientifique et quitte le débat d’opinion avec des arguments sociaux.

Pour aller plus loin dans la réflexion, nous lisons un texte de Mme Ledrapier qui invoque le statut des sciences et du vrai d’Aristote à Bachelard. Après cette lecture, les enseignants affinent leur perception de la nature de la science et nous nous rapprochons de l’épistémologie bachelardienne. Une citation de Gaston Bachelard interpelle profondément les enseignants : « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. (…) S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » Et de conclure que l’accent devrait être davantage mis sur la phase de questionnement et de problématisation pour ne pas passer trop vite à la phase de résolution. Il faut faire émerger les questions des enfants. A cette fin, un enseignant souligne l’importance de l’insolite : rendre le familier étranger, mettre en crise ce qui semble si évident. Il suffit pour cela de faire rentrer dans la classe des objets familiers pour les comprendre. Catherine Ledrapier souligne que la posture de l’enfant en recherche et en questionnement n’est pas forcément la plus rassurante pour l’enseignant. L’objectif de l’enseignant devrait être de susciter des problèmes et des questions plutôt que de proposer des questions fermées. Plus encore, l’enseignant doit distinguer les questions qui sont de l’ordre du renseignement des questions qui se prêtent à la problématisation et qui par conséquent donnent lieu à une véritable démarche scientifique dans la classe.

Après ces discussions préliminaires, Catherine Ledrapier brosse un rapide tableau des modèles psychologiques des apprentissages à travers des exemples d’activités en classe. Manipulations libres ou mise en scénario des activités, quelle que soit la mise en situation, l’enfant peut adopter une posture scientifique. Un atelier libre « faire des bulles » conduit l’enfant peu à peu à chercher comment « faire des bulles exprès » ce qui est de l’ordre de « l’innovation fonctionnelle », en d’autres termes, à partir d’événements aléatoires, l’enfant produit quelque chose de nouveau. Suit alors l’étape de reproduction de cette découverte ou en langage piagetien la phase de « stabilisation quantitative ». Les différentes propositions de complexifications de l’action (rythme des bulles, variation de taille, coordination des mouvements etc) suivent le schéma piagétien de l’apprentissage de l’action. Mme Ledrapier introduit ainsi la notion de constructivisme et rappelle que selon Wallon ce schéma est insuffisant parce que la conceptualisation ne pourrait être une simple intégration de l’action. Pour Wallon, la représentation langagière est importante. Mme Ledrapier rappelle l’apport fondamental des travaux de Vygotski quant à la place central du langage et sa fonction sociale dans l’appropriation des apprentissages de l’enfant.

La conclusion de cette partie de l’exposé de Catherine Ledrapier porte sur les dernières avancées de la recherche en psychologie. Elle nous invite à retenir que les enfants en école maternelle ont des compétences et des connaissances biens supérieures à ce que l’on a longtemps cru. Cette affirmation est étayée par des recherches scientifiques sur de très jeunes enfants et même des bébés de trois mois grâce à la méthode dite « le regard préférentiel » où l’on note par exemple que les bébés observent plus longtemps un phénomène inhabituel qu’un phénomène familier ; ce qui signifie qu’ils différencient déjà le familier et l’insolite et recherchent activement ce dernier.

Ensuite, Catherine Ledrapier reprend l’exposé chronologique des différentes conceptions de la science et s’attarde sur la vision positiviste, selon laquelle les scientifiques font des découvertes sur le modèle de « la découverte d’un trésor ». Selon Mme Ledrapier les positivistes affirment qu’il suffit de regarder les choses pour voir la vérité. La primauté donnée ainsi à l’observation fausse la nature de l’information scientifique. L’observation serait alors secondaire et susceptible de briser l’esprit scientifique. Pour Bachelard, en sciences il s’agit avant tout de faire des découvertes, il faut donc apprendre à découvrir, apprendre à poser et résoudre des problèmes. Pour cela, il est essentiel de changer de regard sur le monde. Pour comprendre les sciences et mener de véritables séances de sciences à l’école maternelle, Catherine Ledrapier définit les piliers de la démarche scientifique: heuristique, modélisation et problématisation. L’ensemble constitue la conceptualisation au sens scientifique.

En classe, pour mener de véritables activités scientifique, Mme Ledrapier formule plusieurs propositions. Les enseignants devraient privilégier les activités collectives et garder à l’esprit que pendant les activités empiriques l’apport précoce des enseignants est nocif. Ensuite, les activités empiriques doivent être enrichies d’activités langagières. Enfin, l’enseignant ne devrait pas être centré sur sa feuille de route et le minutage de sa séance mais plutôt sur ce que peut découvrir l’enfant.

Ange Ansour

Sur le site du Café