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Dans les périodes de crises, on dit, on peut entendre : « on vit une époque formidable. » Christine Passerieux propose de faire en sorte qu’elle le soit. Elle pense que le GFEN doit prendre sa part, ce qui est d’ailleurs le cas par le biais du Conseil Supérieur des Programmes. Il convient de faire en sorte que les enfants des classes populaires deviennent des élèves comme ceux qui arrivent déjà à l’école muni de ce bagage. Christine Passerieux choisi le modèle défini par Dominique Bucheton pour identifier ce qui caractérise la « posture d’élève ».

Interroger les évidences

Mouche du coche, Christine Passerieux revient sur les évidences évoquées le matin par Elisabeth Bautier et propose de réfléchir sur quelques-unes d’entre elles. « On dit par exemple qu’il faut que les élèves soient dans un cadre sécurisant, mais qu’est-ce que c’est ? Il s’agit à la fois de valoriser leurs productions et en même temps de ne pas s’y arrêter, de les inciter à aller plus loin que là où ils sont déjà en posant des défis, autant de situations qu’ils n’ont pour beaucoup jamais rencontrées et qui sont difficiles à aborder. Les conditions vont être autant de leviers indispensables pour que les enfants osent un geste, une parole, une hypothèse. » Christine Passerieux mesure l’importance de cette donnée : « C’est quelque chose qui va être important tout au long de la scolarité, tout au long d’une vie. Ça se construit tout petit comme une manière d’être au monde. »

La confiance en soi est absolument nécessaire. La loi de Refondation pose la capacité de tous à réussir, maintenant il va falloir le mettre en acte. « Pour ce faire les enfants qui nous arrivent vont avoir besoin d’expérimenter, de vivre leurs capacités pour comprendre qu’apprendre ce n’est pas tout savoir, c’est un processus, un cheminement, que risquer c’est éminemment jubilatoire. Ce goût d’apprendre est une condition centrale du devenir élève. » Sur l’acte d’enseigner ce point de vue a pour conséquence de « penser l’évaluation non comme une œuvre achevée mais comme une observation fine de ce que les élèves proposent et de comment ils cheminent. C’est une posture d’enseignant qui consiste non pas à prendre en compte une production comme une norme mais qui observe comment chacun avance dans son propre trajet, se déplace dans son cheminement. C’est ce chemin qui est à construire à l’école maternelle. » Aussi construire un cadre sécurisant c’est permettre de « faire ce chemin en toute quiétude ».

Autre évidence à questionner : si l’on crée ce cadre d’apprentissage, qu’est-ce qu’il y a donc à apprendre à la maternelle ? Revenant sur une préoccupation de la matinée, Christine Passerieux illustre que ce qui fut le « Vivre ensemble », puis le « devenir élève » dans les programmes élude le « apprendre ensemble ». Elle observe que la mise en place de la réforme des rythmes a créé des confusions sur le « qui fait quoi », avec qui j’apprends quoi et elle assène qu’il y a un « besoin d’identifier clairement les objets d’apprentissages. » Elle revient sur la question de la « mise en groupe ». « C’est quoi ? Est-ce une somme d’individus ? Ou la création d’un collectif ? »

Nouveau pied de nez sur l’idée répandue qu’apprendre c’est fastidieux, ennuyeux. Du coup l’école maternelle a beaucoup déguisé, masqué les apprentissages. Il y a là quelque chose à repenser sur cette question pour trouver « comment créer l’appétence, cette chose qui donne pouvoir. »

Alors quid du jeu à l’école maternelle ?

« Certes il faut que les enfants jouent, la question ne se pose même pas, d’ailleurs on empêcherait les enfants de jouer qu’ils trouveraient encore le moyen de jouer quand même, mais comment faire en sorte que les enfants identifient que derrière ces jeux il y a des apprentissages et lever les malentendus ? » L’action de l’enseignant réside dans le chercher à « entraîner les enfants sur des lieux où ils n’ont pas envie naturellement d’aller tout seuls puisqu’ils en ignorent l’existence. Seule l’école maternelle est productrice de ce changement de rapport au monde. »

Expliciter le travail, l’activité de l’enfant pour qu’il accède à la mise à distance : « certains enfants sont dans le faire et d’autres ont déjà construits qu’il s’agit de comprendre ce qu’on est en train de faire. » Christine Passerieux en est convaincue : « Il faut que les enfants aient identifié l’objet sur lequel ils travaillent. » Elle ouvre une piste constatant que le découpage des apprentissages en domaines d’activités a parasité ce nommer précis, selon elle le terme de « disciplines » mériterait d’être reposé pour clarifier ce dont on parle, et savoir nommer ce sur quoi on travaille. Il s’agit toujours de rendre perceptible le but à atteindre, ce qui est attendu et donner à entendre ce que c’est que la posture d’élève. Tout en ne réfutant pas que cela demande « du travail et du temps. »

Découle alors la remise en cause d’une nouvelle idée reçue, d’importance encore et selon laquelle « il faut manipuler ! » Rapportant les propos d’une élève qui lui confie : « je crois que ça veut dire qu’il faut toucher ». Christine Passerieux montre que derrièe l’idée de manipulation, il y a une visée ciblée : « il y a dans la manipulation même une convocation de la capacité à réfléchir. » Le but est bien « d’amener les enfants à prendre conscience qu’ils pensent sur leur action. »

Une épopée humaine

Revenant sur la dimension anthropologique du phénomène « apprendre », pour Christine Passerieux il importe que « les élèves prennent conscience que leur scolarisation les engage dans une histoire de l’humanité. » Il nous faut leur « Faire prendre conscience que les actions auxquels on les invite ouvrent de nouveaux horizons et les inscrit dans quelque-chose qui dépasse leur histoire, les engage dans l’aventure humaine et les fonde comme petit humain. »

Les élèves doivent accéder au fait que leurs apprentissages s’inscrivent dans des pratiques sociales. Et que ce vécu commun à la fois dépasse chacun et en même temps le construit. Cela produit en plus du nouveau bien commun aussi, « parce que c’est le sentiment de bâtir qui nous fait devenir des grands. »

Pour Christine Passerieux qui insiste « C’est sur ces questions fondamentales que se pose ce qui est vraiment « devenir élève. » » Force est de constater pour elle qu’il faut s’appuyer délibérément sur les spécialistes des disciplines pour trouver à proposer qui nous paraît incontournable pour ce devenir élève. Prenant exemple sur la littérature elle démontre que l’on a pensé longtemps « qu’il fallait un bain de lecture pour que les enfants comprennent ce qu’est être lecteur mais encore faut-il se saisir des histoires qu’on nous lit. C’est en privilégiant certaines formes de lire que l’élève va construire du signifiant. » Il faut « donner aux élèves des clés pour entrer dans ce qu’est l’acte de lire. », et pour ce faire « Se donner des éléments de progressivité, cf. les travaux de Stéphane Bonnery, Véronique Boiron : d’abord des récits explicites, récits simples dans lesquels il n’y pas tout ce qui nécessite apprentissages. Ce patrimoine commun qui permet à des enfants qui ne connaissent pas cet objet livre de le construire.

A propos de la question du groupe et du collectif : « c’est aussi le lieu de l’émancipation de ses représentations premières, ce qui contraint à aller là où on ne va pas spontanément. » Christine Passerieux cite Vygotski « Un enfant peut entrer dans la culture scolaire dans la mesure où le programme scolaire devient son propre programme. » Le développement des enfants va dépendre des apprentissages qu’on va leur proposer. Elle conclue sur « le moment important de l’avancée dans la bataille menée sur l’importance de l’école maternelle, il faut continuer et c’est important parce que c’est un lieu où on se met en questionnement. Dans l’urgence politique dans laquelle on se trouve, les orientations ministérielles sont intéressantes, mais ça ne peut se faire sans nous, les avancées se font dans un rapport de force. » Elle invite à se saisir de cette question centrale du devenir élève, comme une invitation à venir réfléchir dans les collectifs du GFEN.

Lucie Gillet

Sur le site du Café