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Plus de 10 ans après leur lancement, les Espaces Numériques de Travail (ENT) peinent à trouver leur place dans le système éducatif. C’est le constat que dressent Sylvain Genevois et Dany Hamon, dans un rapport réalisé pour le Conseil général de Seine Saint Denis. Le déploiement des ENT ne s’est pas accompagné du développement de nouvelles pratiques pédagogiques, pas plus qu’il n’a permis de dresser un pont solide entre l’Ecole et les familles. Finalement les technologies ne suffisent pas à modifier les normes sociales et éducatives.

Département particulièrement pauvre, la Seine Saint Denis a aussi la particularité d’avoir beaucoup de collégiens et un conseil général qui a engagé un vaste programme de construction de collèges et de soutien aux élèves en difficulté. Un des axes prioritaires du département c’est le développement du numérique à travers pas moins de deux ENT, Le cartable électronique et Célia, la déclinaison départementale de l’ENT régional Lilie. Le premier a été installé dans 27collèges à partir de 2007 à l’initiative de l’académie pour renforcer le lien école famille. Célia est proposé par le département depuis 2010 dans 36 collèges. Au total environ la moitié des 126 collèges du département bénéficient d’un ENT.

L’enquête menée par Sylvain Genevois et Dany Hamon vise à dresser un bilan des utilisations des ENT dans les collèges du département en se basant sur les données numériques d’exploitation et d’enquêtes auprès des enseignants (environ 500) et des élèves.

La plus surprenante constatation de cette étude c’est sans doute la baisse des connexions à Célia. Entre 2012 et 2013, le nombre de visites a été presque divisé par deux, signe de dysfonctionnements persistants. Les données de connexion montrent aussi, pour Célia comme pour le Cartable, une répartition très inégalitaire des usages. Dans les deux cas, 3 collèges font une grande partie des visites alors que la moitié des collèges en font très peu. Cela montre l’effet d’entrainement qui peut exister dans certains collèges et au contraire le refus persistant qui existe ailleurs.

La seconde constatation c’est le grand écart entre les usages enseignants et leur utilisation des ENT. Les enseignants du 93 ont largement intégré le numérique dans leur vie. 84% font leurs cours sur ordinateur, 60% réalisent des Powerpoint, la moitié mutualisent avec des collègues leurs cours, 41% font réaliser des objets numériques par les élèves. Ils sont bien de plein pied dans le siècle du numérique. Ces usages sont à mettre en parallèle avec l’utilisation de l’ENT. Un peu moins d’un tiers des enseignants l’ignore complètement. La moitié le trouve utile. Mais les principaux usages de l’ENT se résume aux obligations administratives. 52% des enseignants remplissent le cahier de textes en ligne parce qu’il faut le faire. Les trois quarts le remplissent exactement comme le cahier de textes papier, persuadés que personne en le lit davantage que le cahier papier. L’ENT sert aux enseignants pour entrer les notes, réserver des salles ou du matériel, remplir le cahier de textes et c’est à peu près tout.

Alors que les ENT étaient censés regrouper en un lieu unique les usages du numérique, force est de constater que la plupart d’entre eux continuent à passer par d’autres outils .La volonté de regrouper et controler les usages numériques sous le parapluie étatique est en échec. Les enseignants dont confiance à d’autres industriels pour les usages pédagogiques et n’ont visiblement pas de volonté de changer pour l’ENT. Alors que le ENT sont censés faire le pont avec les familles, le taux de fréquentation des parents est infime. Les parents ne se soucient que des notes. La communication entre personnels et entre personnels et parents passe encore par la rencontre physique.

Le rapport se termine sur le voeu d’un ENT unique pour le département et d’un projet d’accompagnement des enseignants dans un constat partagé. Mais l’implication des enseignants et des parents dans l’ENT reste à construire. Depuis le rapport sur l’expérience des Landes, il apparait que les TICE seules ne peuvent pas changer les méthodes. Le changement passe par une remise à plat de la gouvernance et la mise au clair des objectifs pédagogiques et de la place des TCE dans ce projet.

François Jarraud

Le rapport

Les TICE seules peuvent-elles changer la pédagogie ?