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Neuf ans après le vote de la loi d’orientation de 2005 qui a créé le « socle commun », le Conseil supérieur des programmes a publié, en application de la nouvelle loi d’orientation de 2013, une nouvelle version du  » socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». Et déjà des voix s’élèvent pour lui prédire le même avenir que son prédécesseur. Certains pensent que le texte du CSP lui-même porte cet enterrement. Le socle commun est-il condamné à être le repoussoir collectif d’une institution scolaire incapable d’évoluer ?

Il y a pourtant de bonnes raisons à l’idée du socle. Elles se lisent d’abord dans les résultats de l’Ecole. Le début du 21ème siècle voit les inégalités scolaires se creuser par l’effondrement du niveau des plus faibles sans progression du nombre ou du niveau des meilleurs. Cet éclatement du système éducatif est de plus en plus visible. Les écarts entre établissements ont beau être camouflés dans les évaluations officielles, ils sont constatés par les familles. A la ségrégation sociale entre établissements, déjà extrême, s’ajoutent une ségrégation ethnique et scolaire. L’orientation est totalement dévoyée par la hiérarchisation des filières et l’obsession des familles de fuir les filières de relégation sociale et ethnique. La machine scolaire elle-même fabrique de la ségrégation et accentue les écarts malgré la bonne volonté de ses personnels. La mécanique qui s’est ainsi mise en route a un coût économique, social et politique monstrueux pour la société dans son ensemble. C’est cette situation qui impose de lire le système éducatif en se focalisant sur la réussite de tous et pas seulement celle des meilleurs.

Ecoutons ce que François Dubet disait déjà en 2006 à propos du premier socle.  » Faire réussir tous les élèves ne signifie pas que tous doivent entrer à polytechnique. Cela veut dire que tous les élèves acquièrent ce que l’on considère comme essentiel. C’est l’objectif de l’école élémentaire, il faut que ce soit aussi l’objectif du collège. Mais une fois acquise cette culture commune, il est certain que tous les élèves n’auront pas les mêmes performances. Faire réussir tous les élèves veut dire que l’école ne s’accommode pas de la relégation et de l’échec endémiques d’une partie des élèves ». La question du socle commun est liée à celle de la démocratisation scolaire.

Qui peut croire qu’on peut imposer la démocratisation scolaire sans rencontrer d’opposition ? Or, d’une certaine façon, le débat sur le socle compense l’absence de débat sur la démocratisation scolaire. Plus d’un an après la publication des résultats de Pisa , le choc attendu dans l’opinion ne s’est toujours pas produit. La mise en évidence des conditions systémiques de la construction des inégalités scolaires suscite peu d’intérêt. Le sort scandaleux fait récemment à des élèves de milieu populaire dans le département le plus riche de France rencontre l’indifférence blasée des acteurs du système à la différence de celui de la filière des élites il y a 6 mois. Or pour changer l’Ecole il faudrait l’énergie brutale que devrait apporter la constatation du niveau d’injustice profond de notre Ecole. Il faudrait aussi une équipe politique qui montre le chemin de l’ajustement de l’Ecole à ses valeurs. Mettre en place un système éducatif qui permette la réussite éducative des familles populaires nécessite plus qu’un texte. Plus qu’une formation pédagogique. Plus qu’une réforme systémique. Il y faut une croyance dans les valeurs de l’Ecole et une espérance politique. La consultation permettra-t-elle de les ressusciter ?

François Jarraud