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« Il s’agit de redonner de la noblesse à une filière peu considérée ». Le 19 décembre, Geneviève Fioraso a présenté la nouvelle filière supérieure professionnelle qui devra être effective à la rentrée 2016. A cette date, le « Brevet professionnel supérieur », un diplôme de niveau III, sera la suite logique du bac pro. La ministre y voit plus de clarté pour les familles et les jeunes. Mais quel valeur réel aura ce diplôme spécifique crée pour des jeunes ayant déjà un bac spécifique ? Entre la promotion et la relégation de quel coté va pencher la balance ?

« Le gouvernement a une responsabilité quant à l’insertion, l’avenir des bacheliers professionnel, issus à plus de 80% des catégories les plus modestes de la société. C’est un enjeu de justice sociale, celui de rétablir l’ascenseur social républicain. C’est un enjeu économique, puisque le redressement industriel et la mise en place de nouvelles filières industrielles ne pourront se faire que si nous disposons des qualifications correspondantes ». Le 19 décembre, Geneviève Fioraso présente le projet de création d’une filière post bac spécifique destinée aux bacheliers professionnels. Elle charge Christian Lerminiaux, ancien président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, de la définir. Mais la ministre omet d’évoquer l’enjeu éducatif qui explique cette annonce.

Comment gérer le flux des bacheliers professionnels ?

C’est que l’enseignement supérieur doit faire face à l’essor rapide des bacheliers professionnels. En 2000 ils étaient déjà près de 100 000 (93 000). En 2010 on a délivré 119 000 diplômes du bac professionnel. En 2013, 159 000. C’est à travers le bac professionnel que s’est faite la démocratisation de l’accès au bac. Selon Vincent Troger, la voie professionnelle s’est banalisée. D’abord voie de qualification pour entrer sur le marché de l’emploi, elle est devenue un chemin commode vers le supérieur. Là aussi le changement est rapide. En 2000, 17% des bacheliers professionnels poursuivaient des études post bac. En 2014 ils sont 48%. Un tiers poursuit dans l’enseignement supérieur et 17% en contrats de professionnalisation. Ils représentent aujourd’hui 27% des étudiants des STS.

Or, pour Geneviève Fioraso, « ce flux ne peut pas être absorbé par les BTS ». Depuis 2014, la ministre a mis en place des quotas académiques qui facilitent l’entrée des bacheliers professionnels en STS. Et ça commence à porter des fruits. « Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761) », révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014. Mais le rapport de S. Doucet montre aussi une forte lassitudes des enseignants des STS. Il dénonce une baisse de niveau résultant de la réforme du bac professionnel. Selon le rapport Doucet, pour la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT,  » le nouveau « bac pro » aurait fait perdre (aux jeunes) « l’habitude du travail » du fait de coefficient qui invitent à délaisser les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. L’entrée en STS pourrait, selon le rapport, constituer une « rupture qualitative » pour ces bacheliers. ». Ces propos sont appuyés par des professionnels cités par S. Doucet. « Les représentants de la CPME ont considéré que le « fléchage » des bacheliers professionnels vers les STS risquait de conduire à une baisse du niveau du brevet de technicien supérieur ». Interrogée par le Café pédagogique, elle confirme. « C’est aussi l’avis du syndicat des chefs de travaux. Ils mettent en avant la qualité des BTS et ne veulent pas la perdre en s’ajustant aux bacs pros. La réforme du bac pro pose une question de niveau et de compétences ». Pour S Doucet il y a bien « un risque de décrochage » du BTS.

Combien ça coûte ?

A cela s’ajoute une autre question : celle du coût des BTS. Un étudiant en BTS revient à 13 510 euros en moyenne, soit nettement plus qu’un étudiant ordinaire. Dans le cas des bacheliers professionnels, seuls 60% obtiennent le diplôme du BTS. Il y a donc une forte perte de moyens. Elle est encore plus forte pour les bacheliers professionnels qui continuent en université (8%). Ceux-ci ont 3% de chances d’obtenir une licence en 3 ans. G Fioraso affirme qu’elle n’a pas fait de calcul de coût mais à coup sur c’est un motif pour un autre dispositif. Elle préfère dire, comme dans la lettre à de mission de Christian Lerminiaux, que les bacheliers professionnels ont « pour seules possibilités de se couler avec plus ou moins de bonheur dans des matrices qui n’ont pas été conçues pour eux en une sorte de refus implicite de leur droit à poursuivre des études ». La création d’une filière spécifique apporterait certes de la clarté et de la visibilité à la demande sociale des bacheliers professionnels. Mais C. Lerminiaux envisage une formation par alternance qui serait financée par les entreprises. « Si on leur apporte les compétences dont elles ont besoin il y a peu de souci à avoir pour le financement », nous a-t-il dit.

La nouvelle filière

Pour C Lerminiaux, l’alternance  » permet d’acquérir des compétences au contact avec le métier ». Elle permettrait aussi d’offrir une voie « accessible à tous les publics ». Pour G Fioraso c’est « le moyen pour des jeunes fâchés avec les études de réussir ». Le nouveau  » Brevet professionnel supérieur » (appellation encore provisoire) devrait être un diplôme de niveau III. La ministre nous promet de ne pas bloquer l’accès des bacheliers professionnels aux BTS. Mais « la carte des BTS devra à terme être revue ». Quant à l’entrée en université des bacheliers professionnels elle devra être accompagnée de dispositifs spécifiques comme la licence en 4 ans. A l’issue du nouveau Brevet , les étudiants pourront accéder à des « passerelles » vers des licences professionnelles.

La démocratisation en question

C’est là que les questions commencent. La position des bacs professionnels illustre les ambiguités du système éducatif. Et la démarche de la ministre en est aussi empreinte. Le bac professionnel a permis de démocratiser le bac. C’est à travers le bac professionnel que les jeunes des milieux populaires ont accédé au bac. On compte trois fois plus de titulaires du bac professionnel que du baccalauréat général chez les ouvriers (34,3 % contre 11,4 %) et un rapport inverse chez les cadres (10 % contre 36,1 %). Le système éducatif a démocratisé le bac en créant une nouvelle voie réservée aux enfants des classes populaires plutôt qu’en les aidant à accéder à un bac général.

Il leur a ensuite ouvert l’accès au supérieur mais à travers une filière spéciale et en bloquant les vraies voies de promotion. On l’a vu, le taux de réussite à la licence en trois ans des bacheliers professionnels est de 3,1 % seulement. En comparaison avec les étudiants issus d’un « bac » scientifique, leur chance de réussite est presque 10 fois moins élevée. On retrouve la même inégalité pour le BTS. Seule la moitié des bacheliers professionnels inscrits en STS a obtenu un BTS en trois ans, ce qui est nettement moins que les bacheliers technologiques (73 %) et les bacheliers généraux (85 %). La démocratisation s’est ainsi accompagnée d’une ségrégation croissante entre les filières.

Massification vs démocratisation

Il faut ces éclairages pour comprendre l’enjeu de la « nouvelle filière professionnelle » proposée par la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. Le développement d’une voie spécifique avec une pédagogie adaptée est un réponse au défi posé par les bacheliers professionnels.

En même temps cette nouvelle voie peut être un piège. La création des bacs professionnels a finalement empêché une véritable démocratisation du lycée en reléguant les enfants des milieux populaires dans des lycées particuliers et un diplôme particulier qui signifiait une fin d’études. La création d’une voie nouvelle dans le supérieur pourrait avoir la même signification. Alors que la filière professionnelle était en voie de se banaliser et de devenir un chemin vers le supérieur, la ministre propose une voie séparée pour ces jeunes des milieux populaires. 30 ans après la création du bac professionnel celui-ci n’est toujours pas considéré comme un vrai bac. Que vaudra un  » Brevet professionnel supérieur » qui sera un diplôme spécifique réservé à des jeunes qui, passée la troisième, auront été poussés, malgré ce que dit la ministre, dans un tuyau aboutissant à une qualification particulière ?

François Jarraud

Dans Les Echos

Rapport Doucet

Analyse de V Troger

A Jellab : Enseignement professionnel voie d’émancipation ?