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Alors que la Cour des comptes s’apprête à publier, le 29 septembre, un rapport sur les lycées qui devrait faire du bruit, il est peut être temps de revenir sur le rôle du chef d’établissement. Grand sachem ou bureau des pleurs, comment a évolué sa fonction ? Gilbert Longhi, ancien proviseur, revient sur l’histoire d’une fonction pour réfléchir à ce que pourrait êtr eune éthique du chef d’établissement.

Il serait illusoire d’imaginer qu’un chef d’établissement a de l’importance. Les diplômes appartiennent aux élèves, l’enseignement aux professeurs, les programmes aux inspecteurs, les fonctionnaires de l’établissement à leur statut, les bâtiments aux collectivités et la politique éducative au gouvernement voire à la Nation elle-même. Pourtant, on constate parfois la mise au pinacle des principaux et des proviseurs comme s’ils étaient l’alpha et l’oméga du système éducatif.

L’état des chefs

Au début des années soixante les ordres descend de l’académie. Un bon chef d’établissement est une courroie de transmission qui fait obéir les professeurs dans un schéma jacobin indiscutable.

Durant les années soixante-dix (après 68), au contraire, le sens politique et la diplomatie deviennent essentiels. Si la décentralisation n’est pas encore à l’ordre du jour, l’onde de choc du mouvement de contestation transforme le chef d’établissement nouveau en leader éclairé qui peut perdre toute crédibilité s’il est psychorigide et réactionnaire.

Dans les années quatre-vingt, l’enseignement secondaire assume la massification, si bien qu’un chef d’établissement compétent remplit ses classes et en ouvre de nouvelles. Non seulement il doit garder les jeunes à l’école, mais il a pour mission d’y faire revenir les décrocheurs, les chômeurs et autres publics en difficulté. L’apprentissage, la formation continue, les dispositifs d’insertions surmènent les chefs d’établissements en pointe.

Dans les années quatre-vingt-dix, il faut épanouir l’autonomie des EPLE. L’innovation devient un leitmotiv. L’angoisse des parents et des jeunes est une denrée politique. Les chefs d’établissement deviennent donc les cornacs zélés d’un mammouth qui dans les zones les plus sensibles s’engagent significativement dans de résorption de l’échec et l’épanouissement de la citoyenneté. Déjà, quelques finkielkrautistes de la première heure accusent cette espèce de chef de transformer l’école de la République éternelle en vulgaire patronage socio-éducatif.

Au début des années deux mille, la loi organique relative aux lois de finances somment les chefs d’établissements de piloter fermement leur établissement afin réduire le coût global de l’enseignement. Un proviseur plein d’avenir est alors celui qui supprime des options, réduit les choix, compresse les horaires et optimalise les heures de soutien pour les élèves en difficulté… le tout en obtempérant aux injonctions des divers ministres qui se mobilisent en faveur d’une égalité des chances.

Maître Jacques

Les missions d’un chef d’établissement sont disséminées dans une multitude de tâches. On présente souvent cette diversité comme un avantage faisant la richesse de la fonction. En réalité, il s’agit d’une entropie propre à l’éducation nationale qui transforme les chefs d’établissement en Maître Jacques chez Harpagon. Ils ont la charge des biens, des personnes et du sens républicain de la scolarisation. Être responsable de tout, c’est déjà lourd, mais être responsable de la cohérence du tout c’est exténuant.

Néanmoins un établissement scolaire réclame toujours une sorte de grand sachem. Les élèves demandent une protection contre les profs ; les enseignants appellent au secours face aux potaches indélicats ; les parents cherchent un responsable ; les régions et les départements veulent un interlocuteur ; les agents comptables publics ont besoin d’un ordonnateur ; les délégués des personnel exigent une tête de Turc ; l’académie veut un homme-lige ; le journal local veut un bouc émissaire en cas d’intoxication à la cantine… etc.

En définitive, tout chef d’établissement reste un fonctionnaire d’obédience, d’observance et d’obéissance. Obédience, parce qu’il est représentant de l’État et en incarne les valeurs incoercibles. Observance, parce qu’il ne peut pas vivre en ignorant les usages de sa corporation, de sa tribu, de son clan syndical. Obéissance enfin, parce qu’il applique la réglementation et les consignes de sa hiérarchie et de son zèle dépend amplement l’évolution de carrière.

Pour une déontologie de la gouvernance

Dans un contexte où des forces disparates instrumentalisent de toute part, un chef d’établissement devrait s’interroger sur son rôle en termes d’éthique de la direction d’un établissement public local d’enseignement. En l’occurrence, une orientation déontologique de sa réflexion pourrait lui être utile. Précisément voici quelques questions envisageables …

– Ne suis-je pas enclin à préserver mes habitudes au risque de priver l’établissement d’une évolution ?

-Est-ce que je fais progresser mes collaborateurs ? Suis-je convaincu que tout individu et susceptible de s’amender ?

-Ne m’arrive-t-il pas d’utiliser des informations à mon seul profit, d’en différer la transmission dans mon intérêt ?

-M’est-il possible de dissimuler un droit à quelqu’un au profit de mon image ?

-Les opinions, les appréciations que je formule sont-elles nuancées ? Apprécient-elles les capacités des personnes ou sont-elles seulement des jugements ?

-Ai-je tendance à attirer les confidences ? Ne suis-je pas dépassé par l’écoute que je pratique ?

-Suis-je capable de résister aux influences visant à empêcher la neutralité et la pertinence de mes décisions ?

-Puis-je commander sans être imbu de ma personne, sans confondre ma position d’autorité et les qualités que je me prête ?

-Est-ce que je facilite l’expression des personnels et des usagers, sans tenter de la minorer ou de l’entraver ?

-La justice dans les décisions est-elle pour moi une préoccupation plus importante que ma gouvernance ?

Gilbert Longhi