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Comment le dispositif du « plus de maître que de classe » peut-il transformer la manière de travailler des enseignants ? Valérie Lussi-Borer, maître d’enseignement et de recherche à l’université de Genève a présenté, lors de la 15ème université d’automne du Snuipp, les résultats d’une recherche menée dans l’académie de Grenoble. Mis en place suite à la refondation, le dispositif « plus de maîtres que de classes » (PDM) fait l’objet de premiers bilans souvent flatteurs. Les équipes pédagogiques concernées affirment souvent qu’il s’agit là d’une aide précieuse dans la classe, tant pour la gestion des groupes que pour l’amélioration de l’ambiance de classe ou les progrès des élèves. Mais qu’en est-il vraiment ? Comment le dispositif modifie-t-il les pratiques pédagogiques ? Quels sont ses effets sur le niveau des élèves en français et en maths ?

L’étude menée par Valérie Lussi-Borer a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’académie de Grenoble et l’université de Genève. C’est un projet élaboré sur 3 ans, débuté en 2013, avec trois écoles-pilotes. Le projet a été élaboré de telle manière qu’il a permis aux chercheurs de suivre les activités des acteurs dans l’école et de concevoir et mettre en œuvre un dispositif d’accompagnement des personnels et de formation. Un dispositif de formation accompagne les enseignants dans leur développement professionnel. Il a fallu tout d’abord que chercheurs et équipes pédagogiques se rencontrent et s’interrogent sur les modes de travail possibles, puis que les équipes enseignantes soient sensibilisées à la démarche de recherche, notamment à l’usage nécessaire de la vidéo dans leur classe : en effet, les observations en classe sont filmées, puis suivies d’auto-confrontations (individuelles ou croisées), voire d’une discussion collective.

Qu’est-ce que les premiers résultats de cette recherche-formation peuvent dire sur les effets « plus de maîtres » relatifs ? L’originalité du concept des « maîtres + », c’est qu’on propose d’abord de nouvelles ressources plutôt que d’imposer de nouvelles contraintes. De fait, comment faire quelque chose de positif de cette somme d’efficacité en plus ? Comment s’emparer collectivement dans une école de cette ressource, qui devient alors objet de travail collectif ?

Des pratiques différentes

La question se pose de savoir comment les équipes peuvent s’emparer du dispositif pour qu’il soit utilisé à son efficacité maximale. Pour l’instant, les chiffres de l’enquête nationale réalisée sur les pratiques avec un « Maitre+ » par le Comité de suivi nationale prouvent qu’il n’y a pas unicité des pratiques. Les « Maitres+ » sont répartis comme suit, en ce qui concerne le temps d’intervention : 10% en cycle 1, 65% en cycle 2 et 25% en cycle 3. Les modalités de ce co-enseignement sont réparties selon les catégories suivantes :

– 11% où les deux enseignants interviennent en tandem (intervention face au groupe-classe)

– 2% où un enseignant enseigne, l’autre observe

– 7% où l’un enseigne, l’autre circule et aide dans la classe

– 8% où les deux enseignants enseignent dans un même local

– 8% où l’on organise le travail avec plusieurs petits groupes

– 4% où le M+ est une aide ponctuelle dans la classe

– 48% où les deux enseignants enseignent en même temps dans des locaux séparés

– 11% d’autres pratiques mises en place non détaillées.

Un dispositif puissant

C’est en effet un dispositif qui, à certaines conditions, crée de la puissance d’agir, une culture d’école référée à des pratiques :

– en ce qui concerne l’évolution du travail des équipes : les équipes ont pu s’emparer collectivement de cette ressource +, ce qui semble valoriser la constitution d’un collectif de travail au sein des écoles ;

– en ce qui concerne les pratiques et le développement professionnels des enseignants et des conseillers pédagogiques : le dispositif change les pratiques, individuellement et collectivement car le maître supplémentaire joue le rôle de passeur ou de pollinisateur d’activités ; il voit ce qui se passe dans d’autres classes, il devient un relais dans l’école ; par conséquence, les équipes n’hésitent plus à tenter des dispositifs de travail en ateliers qui fonctionnent mieux, à organiser la classe différemment ;

– en ce qui concerne les élèves en difficulté : ils sont suivis sur le long terme ; le « maître + » joue aussi un rôle par rapport au parcours scolaire des élèves puisqu’il fait aussi le relais des difficultés d’apprentissage des élèves. C’est lui qui connaît le mieux les élèves car il les a suivis, il peut aider le directeur et permettre à l’équipe d’assurer une plus grande cohérence autour du parcours des élèves.

Par ailleurs, visionner ensemble l’activité collective en classe grâce aux petits films tournés permet de mettre en évidence des comportements et des manières de faire des enseignants plus intuitives : on améliore ainsi une leçon d’une heure sur l’autre et non plus d’une année sur l’autre.

Des éléments prometteurs

Le fait de planifier, d’organiser, de penser, de réaliser, d’analyser à deux (ou à plusieurs) des séquences d’enseignement oblige à expliciter et clarifier les objectifs poursuivis : les débats menés au sein des équipes portent autant sur les pratiques que sur les valeurs soutenant ces pratiques. De plus, la présence de deux enseignants en classe suscite des « prises de risques » dans la conception et la mise en œuvre de séquences pédagogiques, innovantes et ambitieuses. On se permet de tester des dispositifs qu’on n’aurait pas osé mettre en œuvre tout seul. Ces innovations menées « à deux » peuvent par la suite être reconduites « tout seul » : l’effet « Maitre+ » dure au-delà de la présence « Maitre+ ».

Malgré tout, il reste des dilemmes autour des priorités du projet « Maitre+ » : en effet, doit-on viser premièrement l’efficacité des apprentissages des élèves ou faire de ce dispositif une modalité de l’évolution de la professionnalité enseignante ? Les textes abordent les deux éléments mais mettent au premier plan l’aide aux élèves en difficultés. Par ailleurs, il n’existe pas d’outils permettant de donner une « bonne pratique » : c’est à partir de la photographie de l’organisation du dispositif « Maitre+ » dans une école que les gens peuvent commencer à travailler ensemble.

Ce qui est en jeu ici, c’est donc véritablement de transformer la professionnalité des enseignants en leur donnant un temps de travail collectif pour travailler ensemble sur « pourquoi les élèves n’apprennent pas ».

Un dispositif viable sans formation ?

Ainsi, que peut dire cette expérience de la formation continue des enseignants de manière générale ?

Après deux ans de fonctionnement, il reste une problématique, celle de l’aide aux élèves en difficultés en premier. On n’a pas réellement d’outils qui permettent de donner une bonne pratique de l’utilisation du « Maitre+ », cela nécessite des temps de travail collectifs, notamment sur pourquoi les élèves n’apprennent pas et comment faire pour qu’ils apprennent mieux avec d’autres procédures, d’autres manières de faire.

On observe que tout part de l’expertise des enseignants : les contraintes économiques obligent le système à valoriser les pratiques des enseignants qui sont sur le terrain. Cela amène à une conception différente de la formation continue : il s’agit de développer un modèle de formation où les apports s’inscrivent dans une expérimentation dans les classes, sur une durée qui permettent de les retravailler, dans un collectif et non plus individuellement.

Ainsi, on peut dire que ce modèle est exigeant car il nécessite l’implication des enseignants. Mais cela permet de prendre en compte la richesse des pratiques dans les classes. C’est précisément cette reconnaissance qui participe au processus de professionnalisation : faire valoir l’expertise enseignante et légitimer les choix pédagogiques.

Alexandra Mazzilli

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