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L’interdisciplinarité est-elle possible jusqu’au lycée ? Quels enseignements tirer des espaces de travail où elle trouve à se déployer, comme l’enseignement d’exploration « Littérature et société » en 2nde ? Au lycée Camille Claudel de Digoin, en Saône-et-Loire, Marc Plateau, professeur de lettres, travaille en collaboration avec Sébastien Ducreux, professeur d’histoire-géographie, et Julie Revillier, professeure-documentaliste. Les élèves sont amenés à réaliser des recherches sur un sujet par eux défini, à créer un blog et un « film de poche » pour en rendre compte. L’enseignant lui-même en tire profit : « Cela m’a permis de comprendre les difficultés qu’ont les élèves à s’adapter et à trouver une cohérence dans les enseignements très cloisonnés. Cela m’a obligé à réfléchir avec mes collègues aux éléments de méthodes essentiels à la réussite des élèves au lycée. »

Dans quel cadre ce travail interdisciplinaire a-t-il été mené ?

Le travail a été mené à bien dans le cadre de l’enseignement d’exploration « Littérature et société » en classe de 2nde. Cette option voit intervenir des professeurs d’histoire-géographie, de documentation et de français. Elle occupe une heure et demie par semaine dans l’emploi du temps des élèves. Deux enseignants sont présents durant les séances : le professeur documentaliste, de façon permanente, et un autre enseignant (de français ou d’histoire-géographie) en alternance sur les séances. Ils interviennent tous conjointement à certains moments cruciaux. Le choix qui été fait est d’organiser le travail de l’année par projets. Les élèves doivent en réaliser deux durant l’année. Ils travaillent pour cela par groupes. Ceux-ci se renouvellent à chaque nouveau projet.

Créé à l’origine pour renforcer l’attractivité des filières littéraires, cet enseignement offre à chaque élève (quelles que soient ses ambitions) une autre manière de travailler à travaux des thèmes transversaux assez larges (par exemple Écriture et engagement : discours, fictions, opinions…, Les utopies : à la recherche d’une société idéale, Le paysage, réalités et représentations…). Il mêle recherches documentaires, analyse de documents, de textes, d’images fixes et en mouvement puisés aussi bien dans l’actualité la plus récente que dans les siècles passés.

Comment avez-vous lancé le travail ?

Les projets ont été présentés aux élèves par les trois professeurs lors d’une séance inaugurale : le thème leur a été donné, ils ont eu à choisir ensuite un sujet parmi ceux que nous avons proposés. Ils pouvaient aussi imaginer eux-mêmes des sujets. Les élèves ont découvert la forme de la production finale au cours de cette même séance : un blog accompagné d’un diaporama enrichi d’un film de poche.

Les élèves ont été amenés à travailler leur projet en relative autonomie : pouvez-vous en donner quelques exemples ? quels rôles les différents enseignants jouent-ils durant cette phase de travail ?

Voici quelques exemples de sujets définis par les élèves : « La traite négrière vue par les cinéastes, « La guerre de Troie », « Hitler en caricatures, de 1933 à 1945 », « Les guignols de l’info », « Les présidents en caricatures », « La liberté d’expression aux Etats-Unis », « La figure du monstre dans la littérature », « La Chine à la conquête de la liberté d’expression » …

Nous avons établi un calendrier pour mener à bien le projet : les élèves y ont accès dans leur carnet de bord.

Ils y trouvent aussi des points de méthodes : comment effectuer une recherche documentaire avec le portail E-Sidoc ? comment utiliser la plate-forme de blogs WordPress ? comment réaliser un film de poche ? comment analyser une image fixe ? … Chaque point de méthode est présenté par l’un des enseignant au cours d’une des séances. Une fiche reprend les points méthodiques dans le carnet. On s’appuie aussi sur les méthodes acquises en cours disciplinaires.

Au début de chaque séance, les enseignants fixent les objectifs à atteindre au cours de celle-ci. Ils circulent de groupe en groupe pour résoudre les éventuelles difficultés rencontrées. La moitié des questions posées peut être réglée par tous les enseignants (construire un plan, trouver une problématique, développer sa recherche …) mais celles qui sont plus spécifiques concernant leur discipline sont réservées à l’un d’entre eux. Chaque professeur a aussi ses « spécialités » méthodologiques. Les élèves apprennent assez vite à qui poser certaines questions …

Les groupes sont souvent amenés à poursuivre leur travail au-delà de la séance, chez eux pour rattraper ce qu’ils n’ont pas pu faire mais cela ne leur pose souvent pas de problème. Dès le début de l’année, on leur a appris à utiliser un espace numérique de travail (Google drive, dropbox …), outil indispensable pour travailler à distance et en groupe !

La production finale attendue consiste en un blog et en un film de poche : pouvez-vous en éclairer le contenu, les modalités de travail, les intérêts respectifs ?

Cette production finale a été définie pour permettre de travailler l’écrit et l’oral, pour montrer aussi le passage d’un mode d’expression à un autre.

Le blog permet de travailler l’écrit, de le rendre attractif et visible à un public plus large qu’un dossier papier. C’est la première chose sur laquelle les élèves travaillent, cela constituent le socle du projet.

Le film de poche et la présentation avec diaporama permettent de travailler l’oral. Leur préparation et leur réalisation viennent dans un second temps. Le film de poche permet de travailler l’oral de manière différée, les élèves se mettent souvent en scène dans de courtes saynètes, sous la forme d’interviews, de jeux télévisés, de présentations de la recherche documentaire… Un téléphone, une tablette ou un appareil photo numérique suffisent. La préparation du film permet d’améliorer par des essais répétés une articulation maladroite ou de supprimer des tics gestuels ou langagiers par exemple. La présentation avec diaporama marque la fin du projet : elle inclut des éléments écrits repris du blog et le film de poche éventuellement. Elle se fait devant tous les élèves et les professeurs.

Le travail a donné lieu à une évaluation orale : selon quels dispositifs ? avec quels résultats ?

L’évaluation du projet contient plusieurs parties : l’une concerne la démarche personnelle et l’investissement des élèves au cours de l’élaboration du projet ; une autre concernent la production écrite et le film de poche ; une dernière concerne la présentation orale.

Celle-ci se fait à partir d’une grille établie par les trois professeurs, présents lors des présentations. Chacun évalue personnellement. On met ensuite en commun les grilles pour harmoniser le tout. Les élèves disposent ensuite d’une fiche d’évaluation unique qui se transforme en une note chiffrée.

A la lumière de cette expérience, vous semble-t-il judicieux de favoriser l’interdisciplinarité dans l’enseignement secondaire ?

Le travail en interdisciplinarité me semble essentiel dans l’enseignement secondaire ! J’ai enseigné plus de 15 ans dans un collège où les travaux croisés entre différentes disciplines étaient assez fréquents, favorisés par certains dispositifs (IDD, épreuves d’Histoire des arts, projets divers …). Arrivé au lycée, je me suis rendu compte que les choses avaient évolué beaucoup moins vite : chaque enseignant a tendance à se replier sur sa discipline car il est mobilisé par les contenus et les échéances des examens. Mais j’ai eu la chance d’être intégré dans les TPE, l’accompagnement personnalisé en 2nde et l’option Littérature et société, trois situations pédagogiques à part au lycée qui m’ont permis de retrouver le travail interdisciplinaire.

Cela a été très enrichissant. Cela m’a permis de comprendre les difficultés qu’ont les élèves (surtout en 2nde !) à s’adapter et à trouver une cohérence dans les enseignements très cloisonnés. Cela m’a enfin obligé à réfléchir avec mes collègues (et c’est beaucoup de travail !) aux éléments de méthodes essentiels à la réussite des élèves au lycée. Pour cela, il faut souvent se mettre d’accord sur l’essentiel et trouver un modus vivendi sur certains points. Enfin, j’ai adapté mes cours à ce que je savais du contenu d’autres disciplines et j’ai aussi fait des découvertes qui ont développé mes connaissances.

L’interdisciplinarité, au-delà de la complémentarité des savoirs, permet d’envisager une autre manière d’enseigner. Pour moi, enseigner à plusieurs, c’est obligatoirement renoncer au cours magistral et développer un travail plus autonome pour les élèves. Cela favorise la créativité, un point qui est finalement encore peu valorisé dans le système éducatif français chez les professeurs comme chez les élèves.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par de telles démarches ?

Il faut participer sans hésiter à un projet disciplinaire. Je crois que c’est vraiment une opportunité pour les enseignants de faire évoluer leurs pratiques pour donner plus d’autonomie aux élèves. Même si la tâche parait difficile et chronophage, on en retire une satisfaction personnelle et une amélioration de son enseignement.

Il convient, avant de se lancer, de mettre en place une organisation qui tienne la route avec des plages de concertations régulières (et conviviales), des phases de recherches et de travail personnels et un calendrier assez précis.

Il est important aussi de construire des projets sur plus d’une année : ils demandent un investissement important qu’il faudra rentabiliser. Pérenniser une équipe permet aussi de mieux se connaitre et de s’améliorer petit à petit.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Blog d’élèves « La traite négrière vue par les cinéastes »

Blog d’élèves « Tous pour Troie »

Un film de poche sur la guerre de Troie

Documents de travail sur le site de l’académie de Dijon